Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Lectures croisées des chansons de Cheikh El-Hasnaoui

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Lectures croisées des chansons de Cheikh El-Hasnaoui

    Pas moins de 7 conférenciers, des universitaires et spécialistes de la littérature, se sont employés, lors d’un colloque scientifique organisé par l’association culturelle Issegman, du 20 au 22 juin à la maison de la culture Mouloud- Mammeri de Tizi-Ouzou, à lire et à faire comprendre le fond et la forme de l’œuvre de cheikh El- Hasnaoui aux fans de ce dernier et aux curieux parmi l’assistance qui sont venus chercher des réponses aux nombreuses questions qu’ils se posent à propos de ce grand poète et artiste exilé de l’amour.

    On a fouillé de fond en comble ses chansons à travers les couplets, les refrains, à travers chaque phrase et chaque mot, on a interrogé les métaphores et la rhétorique pour saisir le fond de la pensée et percer l’énigme El-Hasnaoui. L’œuvre s’est avérée d’une richesse inépuisable, le poète d’une sensibilité à fleur de peau et d’un humanisme génial, les expressions recherchées, profondes et très émouvantes.

    Les lectures croisées de ses chansons faites notamment par Ali Chibani, Mme Farida Aït Ferroukh et Abdenour Abdesslam, seules communications auxquelles nous avons assisté, permettent de pénétrer les secrets de cette œuvre impérissable. Nous leur cédons la parole pour nous y conduire. Commentant A Medhuhen liaison avec acu t wagi, Ali Chibani, qui prépare son doctorat à la Sorbonne, pense qu’El-Hasnaoui conçoit la séparation avec Fatma, son premier amour «comme la cause absolue de son mal-être et, par là, comme sa source d’inspiration ». «A l’impossibilité d’atteindre l’objet quêté, à l’origine de l’exil, El- Hasnaoui, homme déçu, ajoute la distance pour élever Fatma au rang d’un idéal narcissique», déclare le conférencier. «C’est une manière de résoudre la crise sans conflit mais après le départ se profile le regret, accentué par la nostalgie.

    De nouvelles expériences s’invitent, renforcent la douleur première… qui affirme la puissance du poète, le renforce et le maintient sur la voie de la création».

    Pour que l’auditeur puisse saisir les turbulences internes du chanteur, El- Hasnaoui opte pour le mode descriptif qui décrit le quotidien de la population Kabyle pour marquer sa présence dans l’histoire et ses pratiques culturelles afin de cerner son identité. Ce choix est motivé par la quête d’un espace tiers en mesure de pallier l’absence de la kabylie et l’échec de l’espace d’accueil à guérir le coeur malade «(…) en d’autres termes, la description est ce qui fournit une certaine motricité au poète et lui permet d’être en mouvement permanent, toujours en quête de guérison», ajoute le conférencier.

    Analysant ce qu’il appelle le prolongement du feu par la répétition, notamment dans la chanson Tenyid-iyi, Ali Chibani s’arrête sur le verbe qui ajoute à la répétition la figure de l’hyperbole en exagérant la séparation avec une image cruelle tezlid iyi où le poète rend palpable ses sentiments «Le chanteur fait entrer l’auditeur dans sa propre émotion.

    Les œuvres d’El Hasnaoui sont à prendre comme un tout qui incarne le sens quêté», affirme le conférencier qui conclut, au terme de son analyse des chansons intitulées Où vas-tu, dis lui de revenir awah rwah, qu’il s’agit là d’une réunion qui dépasse l’écueil de l’exil. Le partage d’une même existence assure l’illusion d’un même destin et rend le désir de jonction possible, fut-il dans l’espace du texte chanté. Ce procédé attire l’idéal vers le domaine du réel et permet de construire sur l’utopie de la guérison la miséricorde divine. Dans «parole de femmes blessées » Mme Aït Ferroukh s’intéresse au je féminin décodé à travers 9 chansons du répertoire d’El- Hasnaoui où celui-ci prend le relais de la voix féminine à travers les supports modernes que sont la radio, le disque et la K7, écoutés par tous à l’inverse des chants traditionnels, des poèmes et formes d’expression utilisés précédemment par la femme kabyle.

    Chaque chanson a son champ thématique

    El-Hasnaoui fait comme s’il était une femme pour parler d’elle au singulier ou au pluriel. Il s’agit d’un locuteur auteur qui prête sa voix à la narratrice dans les chansons adressées spécialement à la femme. C’est un chanteur professionnel qui brosse un tableau absolument extraordinaire des épouses d’émigrés, des femmes délaissées à la fleur de l’âge, devant attendre le retour hypothétique du mari… Il s’agit d’une histoire au sens de contes et d’une histoire avec un grand H, événementielle déclinée d’une façon fragmentée où chaque femme d’émigré peut se reconnaître.

    Après avoir chanté des thèmes diversifiés, El-Hasnaoui prête sa voix aux femmes, qui ont du mal à se faire entendre, soit pour réclamer, soit pour rouspéter, soit pour quémander, soit pour supplier soit, enfin, pour se venger, indique la conférencière qui cite, à l’appui des termes ci-dessus, des couplets ou des refrains tirés des chansons objets de son analyse. Les termes qui se répètent à savoir la séparation, l’attente, la patience, la souffrance ou la vengeance deviennent des mots acteurs qui font comme une ronde jusqu’à faire évanouir celle qui les écoute. Chaque chanson a son champ thématique, l’amour, la beauté, la séparation, la douleur, l’attente, la patience… Toutes donnent une idée de la souffrance de la narratrice et au même temps de l’intensité de ses sentiments. Derrière la souffrance et l’attente interminable, il y a également le cri d’amour, de fidélité, de dignité… On ne peut pas écouter El-Hasnaoui sans émotion, dit-elle, pour clore son introduction à l’analyse, une par une, des chansons choisies.

    Dans la chanson Meden akou sand, elle relève la ferveur de l’amour qui s’empare de la femme, la transgression de la pudeur légendaire des femme kabyles et la violation, par l’auteur, de la logique linguistique. Le terme tomber dans ou entre ses bras a, en kabyle, des significations diamétralement opposées à celle émanant de la chanson empruntée au vocabulaire français, observe Mme Aït Ferroukh à juste titre.

    Dans tous les cas, chez El- Hasnaoui, les mots se suivent et se répètent mais ils n’ont pas toujours la même signification. La redondance chez lui est très importante, elle est de 16 à 24 fois selon les chansons. Dans celle portant le titre Sani sani atrou had, elle signale l’alternance du ludique, où la femme tente de retenir et de faire sourire son bien aimé, et du tragique où l’on se résout à la séparation. «La répétition traduit, chez la narratrice, la volonté, la fureur et la rage de se faire entendre», souligne- t-elle. Les mots sont dits et redits pour appuyer mais sans dire la même chose. El-Hasnaoui nous invite ainsi à rentrer dans la douleur des femmes, dans leur intériorité profonde nécessitant une écoute profonde et intérieure, il ne s’adresse pas uniquement à notre cerveau gauche mais à notre âme afin d’accéder à l’intériorité de la femme. El-Hasnaoui écoute les femmes, ils les entend, il reste proche de leurs sensations, de leurs sentiments. Tout cela est perceptible dans les chansons et notamment dans les refrains qui sont les cris des déchirures, selon la conférencière, qui consacre, en guise de conclusion, un long commentaire sur le sort de la femme dans la société kabyle.

  • #2
    «La poésie d’El-Hasnaoui est un moyen d’expression qui libère»

    «La poésie d’El-Hasnaoui, une approche thématique» est le titre d’une communication d’un Berbère marocain dont M. Menouar Aït Oumeziane, lui-même conférencier du colloque, a donné lecture aux participants à cette rencontre scientifique.

    L’auteur qui souhaite garder l’anonymat fait l’analyse des principaux thèmes de la poésie d’El-Hasnaoui qu’il qualifie de poète chanteur génial… un artiste hors du commun qui a laissé un héritage monumental. Des chansons qui témoignent de la vie quotidienne, des préoccupations et qui contiennent la nostalgie de ces hommes et femmes qui pensaient alors que l’exil ne durerait pas «(…)A travers les notions d’exil, d’authenticité, d’amour, de regret, de nostalgie, d’émotion la poésie d’El-Hasnaoui défend, grâce au langage poétique, des thèmes universels», remarque le correspondant du colloque. «En chantant l’amour, El- Hasnaoui a cassé les tabous du rigorisme social tout en s’efforçant d’élever le niveau de la chanson de façon à susciter la compréhension et l’adhésion du public.» «Il démontre la maîtrise de la langue et de ses possibilités à être une véritable arme de la pensée. Par le jeu des métaphores et des supports, elle permet à chacun de donner sa propre interprétation. Elle fait apparaître également les sonorités, les effets d’insistance avec l’interpellation du lecteur.

    La poésie d’El-Hasnaoui élève les valeurs de la société amazighe, elle interpelle la quiétude et le silence des consciences attachées à leur confort, elle suggère le réveil de la conscience qui, à travers la beauté des mots, peut avoir un effet plus important qu’une leçon de morale, un conseil ou une loi. Il met la poésie au service des humains pour témoigner de la vie et de la mort, de la tristesse et du bonheur, des évènements de son époque pour que rien ne sombre dans l’oubli», souligne-t-il plus loin. «La poésie d’El-Hasnaoui est un moyen d’expression qui libère, qui apaise les tensions. Elle répond au monde matériel par l’appel à la sensibilité de l’âme, au partage, à l’écoute, à l’acceptation de l’autre sans jugement. Elle est émotion, elle fait remonter en surface les sentiments occultés, elle est, avec sa chaleur et sa fraternité, capable de fendre les roches les plus dures, de faire tomber les masques de la société», conclut le correspondant du colloque scientifique sur El- Hasnaoui.

    En linguiste, spécialiste de la langue kabyle, fervent militant de l’amazighité, Abdennour Abdesselam, par ailleurs auteur de plusieurs ouvrages, a intitulé sa communication comme suit : «Cheikh Ahsnaw, maître de la rhétorique », le comparant à Si Mohand u Hand et à cheikh Mohand Oulhocine, maniant la langue avec dextérité, faisant appel à la parabole et à l’hyperbole pour enrichir le sens commun des mots et exprimer des notions complexes, soulignant par-là la capacité du kabyle en tant langue de communication. Vers la fin de sa communication, seule partie à laquelle nous avons assisté, il a mis l’accent sur l’audace d’El-Hasnaoui qui a défié le rigorisme social et sur son génie poétique et linguistique, notamment lorsqu’il recours à des termes contradictoires pour exprimer des situations et figures allégoriques. Il s’agit là de l’interprétation que nous donnons des propos du conférencier qui, en militant conséquent de l’amazighité, a fait sa communication entièrement en kabyle.

    Signalons, par ailleurs, que les organisateurs du colloque ont été rendus destinataires d’une lettre de la veuve du poète/chanteur où elle écrit entre autres : «C’est dommage que de son vivant personne ne s’en soit occupé pour le convaincre de laisser à la postérité des œuvres aussi rares que la culture kabyle ait connue.» Evoquant à peine leur vie commune, elle affirme avoir eu un époux formidable, «nos 57 ans de vie communes furent un bonheur intense et resteront à jamais gravés dans mes souvenirs», signalant qu’elle ne l’avait jamais vu chanter en public, qu’elle était son premier public puisqu’il lui demandait son avis avant de produire. Elle ajoute : «Je savais déjà qu’il était un artiste unique en son genre.» Elle déplore qu’il ne reste plus rien, même pas son mandole...

    Les déménagements qu’ils ont connus, surtout quand il a mis un trait définitif sur sa carrière, les ont obligés, rappelle-t-elle avec regret, d’abandonner beaucoup de choses qui leur paraissaient encombrantes «et qui, aujourd’hui, auraient certainement contribué à entretenir le souvenir impérissable de cet artiste hors du commun. Il m’arrive d’écouter ses chansons, c’est un bonheur ! Je revois le film de notre vie, avec tous ces moments de bonheur qui ne finissent jamais. Sa musique est comme un vent doux qui me transporte jusqu’au ciel», souligne-t-elle avant de souhaiter qu’on l’aide à percevoir les droits d’auteur.

    Par Le soir

    Commentaire

    Chargement...
    X