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Les bassidjis font régner l'ordre à Téhéran

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  • Les bassidjis font régner l'ordre à Téhéran

    Quand Ali est rentré un soir la chemise maculée de sang, son épouse Fatemeh n'a pas eu besoin de longues explications. Ainsi marche la milice des pro-Ahmadinejad.

    La clé tourne dans la serrure. Une fois de plus, le dîner a eu le temps de refroidir. Sur le sofreh - la nappe sur laquelle on dispose le repas, à même le sol -, l'assiette d'Ali attend depuis quatre heures. La tête dans ses livres, Fatemeh prend à peine le temps de lui dire «bonsoir». À la faculté d'économie, les examens ont été maintenus, malgré les troubles de ces derniers jours. Mais là, ses yeux restent collés sur la chemise de son mari : elle est rouge de sang. «Ça a encore bastonné. Je suis allé donner un coup de main pour emmener les blessés à l'hôpital…», marmonne-t-il en guise d'explication. Pas la peine d'en dire plus. Elle a compris. Chez les bassidjis, les ordres sont les ordres. Ça ne se discute pas. Fidèle à sa hiérarchie, Ali a dû troquer son tablier de cogérant d'un petit restaurant contre la matraque pour aller mater les opposants pro-Moussavi…

    Ni uniforme, ni blason

    En période de «crise», il en est ainsi pour les petits soldats volontaires de la République islamique. Il suffit d'un seul «signal» donné par le guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, et les voilà tous aux abois, prêts à en découdre contre les «émeutiers» qui mettent en danger «la sécurité nationale».

    Combien sont-ils ? Difficile à dire.

    La journée, Ali et ses camarades sont quasi invisibles. Ils ne portent ni uniforme ni blason. Ils n'ont pas besoin de pointer à la caserne du coin. Ils travaillent comme épiciers, chauffeurs de taxi, petits fonctionnaires. Ils étudient, pour certains, à l'université - où un *quota spécial leur est réservé. Mais en un coup de fil, ils sont capables de tout laisser tomber pour enfourcher leur moto et prêter main-forte à la police et aux forces antiémeutes. Ces dernières font plus peur que mal. Mais les membres du Bassidj (littéralement la «mobilisation»), eux, s'accordent tous les droits. Armés de bâtons et de poignards - parfois de pistolets, selon les témoins -, ils n'ont pas peur de tuer.

    À première vue, Ali et Fatemeh ont pourtant tout du gentil couple iranien. Il a 34 ans. Elle en a 28. Unis, il y a sept ans, par un «mariage arrangé» - une coutume fréquente dans les milieux traditionnels -, ils habitent un appartement modeste, au nord de Téhéran.

    La semaine, il travaille d'arrache-pied dans une gargote, tandis qu'elle étudie avec assiduité, dans l'espoir de décrocher un poste de comptable. Le week-end, ils s'échappent à la montagne, où Ali a investi ses économies dans un petit lopin de terre. Héritiers d'une révolution qu'ils n'ont pas choisie, mais pour laquelle leurs parents ont tout sacrifié il y a trente ans, leur vie reste imprégnée d'une idéologie dans laquelle ils ont grandi. Malgré eux.

    Quand la guerre Iran-Irak éclate, en 1980, leurs aînés font partie des premiers bassidjis de la toute jeune République islamique. Originaires des faubourgs populaires de Téhéran, ils foncent, les yeux fermés, vers les champs de bataille, au nom de la patrie et du chiisme. Mort «en martyr», un des oncles de Fatemeh repose aujourd'hui dans le grand cimetière Behecht-é Zahra, où les tombeaux des «héros» s'alignent à perte de vue. À l'époque, une de leur mission consiste également à traquer les «ennemis» de l'intérieur - c'est-à-dire les opposants au régime et les membres apolitiques d'une bourgeoisie considérée comme trop occidentalisée.

    Au sortir de la guerre, en 1988, les survivants sont récompensés. Le père de Fatemeh est promu commandant de quartier. Celui d'Ali rejoint une petite usine semi-étatique. Leurs familles bénéficient de nombreux privilèges : coupons alimentaires, accès à certaines coopératives… En fonction de leurs grades - souvent tenus au plus grand secret -, les bassidjis suivent des entraînements au maniement des armes, où ils sont formés aux techniques de guerre asymétrique.

    L'esprit «Scout toujours», à la sauce islamique

    Bercé par le culte de la guerre et frustré d'avoir été trop jeune pour pouvoir en faire partie, Ali se rattrape sur la lecture des Mémoires de martyrs. Il se les procure au passage Mahestan, la «Mecque» des jeunes bassidjis, au sud de Téhéran, où s'entassent CD coraniques, fouets pour la fête religieuse de l'Achoura et documentaires pro régime. Le vendredi, jour férié en Iran, il fait la chasse aux mal-voilées. En 1997, la tolérance prônée par le nouveau président réformateur, Khatami, le pousse à adoucir légèrement son discours. Comme de nombreux jeunes bassidjis, il s'investit alors dans des œuvres à caractère social, comme l'aide aux sinistrés du séisme de Bam. Fatemeh, elle, participe aux campagnes de vaccination.

    Si elle prend progressivement goût aux nouvelles libertés sociales - au point de voter, en 2005, pour Rafsandjani et de troquer son tchador noir contre un simple foulard -, il reste fidèle aux «conseils du guide» et donne sa voix à Ahmadinejad, «un des nôtres», dit-il. Ce dernier a parfaitement su flatter l'ego de ces jeunes «volontaires», qui peinent à se trouver une place dans cet Iran réformiste des «fils à papa», selon l'expression d'Ali. Les manœuvres paramilitaires reprennent discrètement. Dans les mosquées, l'esprit «scout toujours» à la sauce islamique soude les troupes. Le 12 juin dernier, c'est donc en toute logique qu'Ali prête allégeance, les yeux fermés, à son politicien préféré. Si Fatemeh doute des résultats, il y voit, lui, «le signe d'une fidélité à la République islamique». «La défense du régime passe avant la famille», lâche-t-il sans détour.

    Par Le Figaro
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