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Les déplacés de Swat indésirables à Karachi

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  • Les déplacés de Swat indésirables à Karachi

    C'est un camp de toile, de cailloux et de fournaise, battu par des bourrasques de poussière, en bord d'autoroute, au nord de Karachi. Le souffle chaud du mois de juin fait vaciller les tentes blanches et danser les buissons secs. Assis sous une bâche, des fonctionnaires locaux, badge plastifié pendu au cou, s'ennuient. Les occupants sont rares, il n'y a pas grand-chose à administrer. "On peut héberger 450 familles, mais 16 seulement sont arrivées jusqu'ici", précise l'un de gardiens du lieu.

    Alors que les camps accueillant les déplacés de Swat, fuyant l'offensive lancée fin avril par l'armée contre les talibans, sont saturés entre Islamabad et Peshawar, provoquant une crise humanitaire sans précédent dans l'histoire du Pakistan contemporain, le camp de Karachi est fantôme. Qui aurait envie de s'y replier ? Cette étuve austère, dépourvue d'électricité et de matelas, est inhospitalière.

    C'est peu dire que la province méridionale du Sind, dont Karachi est le chef-lieu, rechigne à accueillir les déplacés de la région de Swat. La population locale y est tout simplement hostile. A l'appel de partis nationalistes sindis, elle a même manifesté, affronté la police aux cris de "Non aux déplacés".

    Le Sind se cabre dans un égoïsme autochtone, sourd aux appels à la solidarité nationale en ce moment critique du combat contre les talibans. "Nous avons de la sympathie pour ces réfugiés, mais leur venue dans le Sind n'a aucun sens, explique Mumtaz Bhutto, dirigeant du Sindh National Front (SNF), un petit parti nationaliste sindi. Karachi est si loin de chez eux. Pourquoi ne restent-ils pas du côté d'Islamabad ? Nous n'avons pas ici les ressources pour les accueillir. Il y a déjà de graves problèmes chez nous de chômage et de déficit en électricité."

    M. Bhutto récuse l'accusation de xénophobie. Il rappelle l'"hospitalité historique" du Sind, mais cela a fini en "tragédie", dit-il. Au lendemain de la partition en 1947 de l'ex-empire britannique des Indes, Karachi et d'autres villes du Sind ont en effet accueilli l'essentiel des 7 millions de musulmans ayant fui l'Inde fraîchement indépendante.

    Ces réfugiés d'Inde, appelés "Mohajirs", ont fait de Karachi leur fief, où ils formaient l'élite intellectuelle et économique. Mais la relation s'est envenimée avec les Sindis autochtones, qui contestaient leur position dominante, jusqu'à dégénérer en conflit violent avec l'Etat lui-même. La révolte des Mohajirs, orchestrée par le Mohajir Qaumi Mahaz (MQM), a pris un tour sanglant dans les années 1990. "Après un tel passé, ajoute M. Bhutto, il est bien normal que les Sindis s'inquiètent de l'afflux de nouveaux réfugiés."

    L'ironie veut que Sindis et Mohajirs, rivaux historiques, se serrent aujourd'hui les coudes contre une nouvelle génération d'intrus : les déplacés de la région de Malakand (dont Swat fait partie), issus des communautés pachtounes du nord-ouest du Pakistan. "C'est déplorable, s'insurge Shahi Sayed, le président provincial de l'Awami National Party (ANP), le parti défendant les intérêts des Pachtounes. Selon les termes de la Constitution, tout citoyen pakistanais est libre de circuler et de s'installer où il l'entend." Mais Sindis et Mohajirs se moquent de l'argument juridique. A leurs yeux, l'enjeu n'est autre que le fragile équilibre ethnique de la cité.

    BURQA BLEU PASTEL

    Les Pachtounes forment déjà une minorité influente à Karachi : entre 6 millions et 8 millions de personnes, soit entre le quart et le tiers de la population urbaine. Ils sont même plus nombreux à Karachi qu'à Peshawar, leur capitale historique. Ils y contrôlent le marché de la construction et des transports et, surtout, leurs colonies sont situées à des endroits stratégiques de la ville, tels le voisinage du port ou au départ des autoroutes en périphérie. Il n'en fallait pas davantage pour que le MQM, politiquement maître de Karachi, agite l'épouvantail de la "talibanisation" de la ville.

    "Tous les Pachtounes ne sont pas talibans, mais tous les talibans sont pachtounes, met en garde Haider Abbas Rizvi, un dirigeant local du MQM. Il est évident que des talibans s'infiltrent dans la ville, déguisés en réfugiés." On évalue à environ 50 000 le nombre de déplacés de Malakand entrés ces dernières semaines à Karachi. Boudant les misérables camps que l'administration locale feint d'installer, ils sont hébergés chez leurs parents dans les quartiers pachtounes.

    Sohrab Goth est l'une des plus fameuses de ces colonies. Un aggloméré d'immeubles de type HLM aux façades lépreuses, dressés à la sortie nord de la ville. Dans une venelle, des jeunes jouent au cricket. Ils s'écartent au passage d'une femme drapée dans une burqa bleu pastel, profil vestimentaire plutôt rare dans la ville très laïque qu'est Karachi. Assis sur un muret en ciment, Hakimullah Mehsud tue l'oisiveté en sirotant un thé au lait. Il a le visage glabre. L'a-t-il toujours eu ? Originaire du Sud-Waziristan, il est affilié à la tribu Mehsud dont est issu le fameux Baitullah Mehsud, le chef du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), le mouvement taliban pakistanais.

    Hakimullah ne cache pas son admiration pour Baitullah. "C'est un bon gars, qui suit la loi islamique", juge-t-il. Les Waziris sont présents en force à Sohrab Goth. "La source de financement des talibans, elle est ici, à Karachi", observe un diplomate occidental. Capitale économique et financière du Pakistan, Karachi "est la base arrière des talibans", confirme Maqbool Ahmed, journaliste au mensuel Herald, qui en tire cette insolite conclusion : "C'est pour cette raison qu'ils ne veulent pas la déstabiliser."

    Une analyse des attentats récents au Pakistan montre en effet que Karachi a été préservée du type d'opérations-suicides qui a ensanglanté Lahore ou Peshawar. Mais cela n'empêche pas le feu des tensions ethniques entre Pachtounes et Mohajirs de couver. "Tout le monde ici attend la grande explosion", rapporte le diplomate occidental.

    Fusillade à Karachi avec des talibans présumés

    Cinq islamistes présumés ont été tués, samedi 27 juin à Karachi, dans le sud du Pakistan, lors d'une fusillade avec la police. "Nous avons effectué une descente dans une maison après avoir été avertis que des activistes préparaient des attaques dans la ville", a déclaré le chef de la police de la ville, Waseem Ahmed. Selon lui, ces islamistes étaient des fidèles de Baitullah Mehsud, qui dirige le Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), mouvement des talibans pakistanais. Après la reconquête de la vallée de Swat, l'armée pakistanaise prépare une vaste offensive dans la zone tribale du Sud-Waziristan, territoire bordant l'Afghanistan et fief de Baitullah Mehsud

    Par le Monde -Reuters
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