Affaire Mohamed Gharbi : on achève bien les patriotes.
C’est dans le terreau de l’amnésie que l’ingratitude prend aussi vite qu’une mauvaise herbe. Car passer par pertes et profits les malheurs et sacrifices de tout un peuple, c’est frayer une voie royale aux pires ignominies. Un ancien maquisard et Patriote de la première heure a vérifié à ses dépens un principe vieux comme le monde.Sans considération aucune pour son passé révolutionnaire, Mohamed Gharbi se voit infliger une condamnation à mort sur cette terre d’Algérie pour laquelle il a tant donné et tout sacrifié. Sans le moindre égard à son engagement quasi sacerdotal contre l’intégrisme islamiste qui menaçait les fondements de la République, au moment où beaucoup de gens s’étaient terrés chez eux ou dans un exil lointain et doré, de peur d’affronter les gourous de l’islamisme armé, il est jeté au cachot comme un vulgaire malfrat pour avoir tué un ancien chef d’une organisation terroriste qui le poursuivait de ses menaces de mort. Cette lourde peine à l’encontre de Gharbi est-elle un gage supplémentaire pour les islamistes qui réclament davantage de concessions comme l’a si bien dit Me Boutamine ? Les amis du repenti tué l’ont, en tout cas, pris ainsi. Pour eux, la grasse et cajoleuse main qui leur est sans cesse tendue par les autorités n’est autre chose qu’un signe de faiblesse. Aussi, ils se font fort arrogants en toisant ceux-là mêmes qui les ont combattus si ce ne sont les parents de leurs propres victimes. Preuve de cette arrogance ? Quand la sentence a été prononcée contre le Patriote Mohamed Gharbi, les anciens affidés de l’“émir” de l’Est ont poussé des hourras de victoire dans l’enceinte même du tribunal. Au grand dam de la famille Gharbi, des “Allah Oukbar” et de stridents youyous de femmes résonnaient dans la salle. Aux cris de joie de ceux qu’il a combattus dans un passé récent, Mohamed Gharbi, accroché viscéralement à ses convictions patriotiques inébranlables, s’est suffi, quand la juge l’a prié de dire son dernier mot, d’une simple mais grandiose réplique : “Vive l’Algérie”.
Mais que peut ce cri du cœur, cet amour fusionnel de la patrie face à une justice flegmatique décidée à juger l’affaire en ne considérant que les seuls faits indépendamment du contexte et de la qualité du prévenu? D’autant plus que celui qui l’a lancé est presque lâché par tout le monde. À commencer par cet État qu’il a servi avec un rare dévouement sa vie durant.
Un patriote lâché par l’État et ses compagnons
C’est d’ailleurs l’opinion de nombre d’habitants de Souk-Ahras. “C’est l’État qu’il a servi hier qui le juge aujourd’hui”, souligne prosaïquement un moudjahid.
“Quand ils avaient besoin de lui, c’étaient eux qui venaient le chercher chez lui. Maintenant qu’ils n’ont plus besoin, ils l’ont lâché”, se désole un citoyen. Même les membres de sa famille ont ce sentiment d’être quelque peu abandonnés. “Nous avons écrit à tout le monde, au président de la République, au ministère de la Justice ainsi qu’au ministère des Moudjahidine. Aucune réponse”, regrette un des fils de Gharbi.
Ce dernier pourtant n’a pas oublié, même du fond de son cachot, de recommander à ses enfants de voter pour Abdelaziz Bouteflika. “Il m’a dit que nous sommes FLN, nous devons voter pour le candidat du FLN Abdelaziz Bouteflika”, se rappelle son fils aîné.
Comme si l’abandon de l’État ne suffit pas, Mohamed Gharbi a été aussi délaissé par ses anciens compagnons, moudjahidine et Patriotes. Et le coup est très mal accusé par sa famille. “Le jour du procès, seuls sa femme et ses sept enfants ont été à ses côtés. Pas un seul des anciens compagons moudjahidine n’est venu le soutenir dans cette dure épreuve. Alors que dans l’autre camp, ils étaient plus de 80 au tribunal le jour du procès. Mieux, ils sont venus presque de toutes les wilayas de l’Est (Jijel, Constantine…)”, rage un des fils Gharbi. Et la femme de Gharbi de renchérir : “Vous savez, depuis 2001 pas un seul ancien moudjahid ou Patriote n’est venu s’inquiéter de notre situation.”
Mais pourquoi ce peu de solidarité des anciens moudjahidine à l’égard de leur ami ? Certains leur trouvent une excuse : leur très faible niveau d’instruction ne leur permet pas d’imaginer une quelconque riposte. Certaines mauvaises langues expliquent leur inertie par leur crainte de compromettre leurs intérêts. D’autres encore soutiennent qu’ils ne veulent pas s’inscrire contre la politique de réconciliation nationale initiée par le président de la République qu’ils ont soutenu. Rencontré dans un café, un groupe de moudjahidine s’ouvre non sans une certaine retenue sur cette affaire. Les moudjahidine ont exprimé leur mécontentement, mais sans plus. “Il faut écrire que les moudjahidine de Souk-Ahras sont mécontents du verdict prononcé contre Mohamed Gharbi”, recommande un moudjahid. Ne peuvent-ils pas faire quelque chose pour sauver leur compagnon ? “Que voulez-vous qu’on fasse ? C’est l’État qu’il avait servi qui l’a condamné. On ne peut rien contre la justice”, rétorque-t-il. Mais à la décharge des anciens moudjahidine et des Patriotes, ils ne sont pas les seuls à se désintéresser du sort réservé à ce Patriote de la première heure. Nombre d’habitants de Souk-Ahras ne s’en inquiètent guère.
“C’est le désintérêt général. Ici c’est le chacun pour soi”, regrette un cadre du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), le premier parti à appeler à la résistance citoyenne contre l’islamisme armé.
“Nous concernant, nous sommes contre la condamnation de ce Patriote”, précise-t-il. Rencontré au siège de son parti, un militant du Rassemblement national démocratique (RND), un parti qui compte dans ses rangs beaucoup de Patriotes, assure que “c’est par le biais de la presse que les habitants de Souk-Ahras ont appris le verdict. Ils n’ont aucune réaction. L’affaire Gharbi n’a pas un caractère particulier. C’est une affaire de justice comme une autre”. Plus grave encore, à s’en tenir aux dires de la famille Gharbi, aucun avocat de Souk-Ahras n’a voulu assurer la défense de leur père. “Nous avons sollicité au moins quatre avocats et personne n’a voulu de notre affaire. C’est pourquoi la défense de notre père est assurée par des avocats d’Annaba”, fulmine un des fils du Patriote.
Les raisons de l’oubli
Mais pourquoi cette indifférence presque générale au sort réservé à un Patriote qui a été pour beaucoup dans l’atténuation de la nuisance terroriste dans la région ? D’aucuns assurent que les islamistes et autres repentis ont toujours de l’influence dans cette ville de l’extrême nord-est du pays. “Ici, le pouvoir n’est pas entre les mains du juge, mais plutôt entre celles des anciens militants du FIS. Une bonne partie des commerces de la ville de Souk-Ahras est tombée dans leur escarcelle”, fera remarquer un ancien moudjahid. “Ces gens-là ont le bras long. Ils ont des appuis dans l’administration et la justice”, précise un autre citoyen. À contre-courant de cette version, un cadre du RCD estime que les gens de Souk-Ahras ont beaucoup plus peur de l’administration que des militants de l’ex-FIS.
D’autres encore estiment que l’ex-“émir” n’avait pas fait de mal à Souk-Ahras, contrairement à son alter ego du GIA, le sinistre Bouchouk. Il s’est même taillé la réputation de protecteur des enfants de la région. “C’était grâce à lui que nombre d’habitants de Souk-Ahras interceptés dans de faux barrages ont été tirés des griffes des terroristes”, dira un chauffeur de taxi.
“C’était très rusé de sa part. Dans les faux barrages, il se faisait le devoir d’interpeller les gens par leur nom. De retour dans la ville, ils lui font une certaine publicité”, explique le cadre du RCD avant de remarquer qu’“entre nous, pour être “émir” d’une organisation terroriste, il faut être le plus sanguinaire. Même s’il n’a pas tué à Souk-Ahras, rien ne dit qu’il ne l’a pas fait à Jijel ou dans une autre région de l’est du pays qui était sous sa responsabilité”. Un raisonnement que partage un ancien moudjahid. “Il ne faut pas oublier que cet homme est le premier responsable des terroristes dans toute la région de l’Est. Comment peut-on croire qu’il n’a rien fait ? Après tout, il est responsable des actes de ses acolytes”, explique-t-il. Bref, pour bon nombre de citoyens de Souk-Ahras, l’ex-“émir” de la région est de l’AIS n’est pas blanc comme neige.
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