S’il y a un fait nouveau dans l’interminable triste histoire de la Palestine, c’est le changement manifeste que subit l’opinion publique au Royaume-Uni, écrit Ilan Pappé.
Je me souviens de mon arrivée dans les îles Britanniques, en 1980, quand le soutien à la cause palestinienne était uniquement le fait de la gauche, et encore, celle d’un courant idéologique bien spécial. L’immunité dont jouissait Israël était due en grande partie au traumatisme postérieur à l’holocauste et au complexe de culpabilité qu’il avait engendré, aux intérêts militaires et économiques et à la fable selon laquelle Israël était la seule démocratie du Moyen-Orient. Ils étaient apparemment peu nombreux ceux qui se sentaient concernés par un état qui avait dépossédé la moitié de la population palestinienne autochtone dont il avait détruit les villes et les villages, qui en outre discriminait la minorité palestinienne vivant dans ses frontières par un système d’apartheid et répartissait dans des enclaves, deux millions et demi d’entre eux sous une occupation militaire dure et oppressive.
Près de 30 ans plus tard, il semble que tous ces écrans et aveuglements aient disparu. La plupart des gens connaissent l’ampleur du nettoyage ethnique de 1948 ; même le Président des États-Unis a qualifié la souffrance de la population dans les territoires occupés comme insupportable et inhumaine. Il est aussi question quotidiennement de la destruction et du dépeuplement du Grand Jérusalem et nombreux sont ceux qui dénoncent et condamnent le caractère raciste des politiques israéliennes envers les Palestiniens.
Selon les Nations unies, la situation actuelle est « une catastrophe humaine ». Le secteur de la société britannique conscientisée et honnête sait très bien qui est à l’origine de la catastrophe. Celle-ci ne découle plus de circonstances insaisissables ou de « conflits »— il est évident que cette catastrophe provient des politiques suivies par Israël au fil des années. Lorsqu’on a demandé à l’archevêque Desmond Tutu sa réaction devant ce qu’il avait vu dans les territoires occupés, il a tristement répondu que c’était pire que l’apartheid. Et il savait de quoi il parlait.
Comme dans le cas de l’Afrique du Sud, ces citoyens intègres disent leur indignation - que ce soit à titre individuel ou en tant que membres d’organisations - devant l’oppression, la colonisation, le nettoyage ethnique et la famine infligés en permanence aux Palestiniens. Ils cherchent le moyen de manifester leur réprobation et certains espèrent même convaincre leur gouvernement d’abandonner son attitude indifférente et sa passivité devant la destruction continue de la Palestine et des Palestiniens. Parmi les protestataires, beaucoup sont juifs étant donné que ces atrocités sont commises en leur nom selon la logique de l’idéologie sioniste ; bon nombre d’entre eux ont participé aux luttes pour les droits civils dans ce pays et pour des causes similaires dans le monde entier. Ils n’appartiennent pas tous au même parti politique et ils viennent de tous les milieux.
Jusqu’ici, le gouvernement britannique n’a pas été ébranlé. Il a été tout aussi passif lorsque que le mouvement antiapartheid de ce pays a exigé que des sanctions soient prises contre l’Afrique du Sud. Il a fallu plusieurs décennies pour que le militantisme de la base atteigne le sommet politique. Le délai est plus long dans le cas de la Palestine : le sentiment de culpabilité au sujet de l’holocauste a déformé la narration historique et faussé la représentation contemporaine d’Israël qui devient ainsi une démocratie aspirant à la paix tandis que les Palestiniens sont d’éternels terroristes islamistes, image qui a empêché la sympathie populaire de se manifester. Toutefois, celle-ci commence à se frayer un chemin et à s’affirmer en dépit des accusations selon lesquelles une telle attitude est antisémite et malgré la diabolisation de l’islam et des Arabes. Le secteur tertiaire - lien important entre les civils et les organismes d’État - nous a montré le chemin. Un syndicat après l’autre, un groupe professionnel après l’autre, ont récemment dit sans ambages : ça suffit. Nous protestons au nom de la décence, de la moralité et d’un engagement civil de base qui nous impose de ne pas rester inactifs face aux atrocités du type qu’Israël a commises et continue à infliger au peuple palestinien.
Ces huit dernières années, la politique criminelle d’Israël a connu une escalade et les militants palestiniens ont cherché de nouveaux moyens d’y faire face. Ils ont tout essayé : la lutte armée, la guérilla, le terrorisme et la diplomatie : tout cela en vain. Et pourtant, ils ne baissent pas les bras et ils proposent maintenant une stratégie non-violente - celle du boycott, du désinvestissement et des sanctions. Par ce moyen, ils essaient de sauver, non seulement les gouvernements occidentaux - mais ironiquement, aussi les juifs d’Israël - d’une catastrophe imminente et sanglante. Cette stratégie a inspiré l’appel au boycott culturel d’Israël, appel qui émane de toutes les parties de la société palestinienne : la société civile sous occupation et les Palestiniens vivant en Israël. L’appel est appuyé par les réfugiés palestiniens et il est dirigé par les membres des communautés palestiniennes en exil. Il est arrivé à un moment propice et a donné aux individus et aux organisations du Royaume-Uni l’occasion d’exprimer leur dégoût pour les politiques israéliennes et de faire eux aussi pression sur le gouvernement pour qu’il cesse de couvrir les actions israéliennes sur le terrain.
Il est déconcertant que ce revirement de l’opinion publique ne se soit pas encore répercuté sur la politique gouvernementale ; mais une fois de plus, ceci nous ramène à la voie tortueuse que la campagne contre l’apartheid a dû parcourir avant de devenir une politique officielle. Il convient également de rappeler que ce sont deux courageuses femmes de Dublin, travaillant à la caisse d’un supermarché local, qui ont lancé l’immense mouvement en refusant de vendre des marchandises sud-africaines.
Vingt-neuf ans plus tard, la Grande-Bretagne rejoignit les autres qui imposaient des sanctions contre l’apartheid. Par conséquent, alors que les gouvernements hésitent encore à sauter le pas pour des raisons cyniques, soit qu’ils craignent d’êtres accusés d’antisémitisme, soit peut-être en raison de leurs inhibitions islamophobes, des citoyens et des militants font tout leur possible, symboliquement et physiquement, pour informer, protester et revendiquer. Ils ont une action plus organisée, celle du boycott culturel, où ils peuvent rejoindre leurs syndicats dans une politique de pression coordonnée. Ils peuvent également utiliser leur nom ou leur célébrité pour nous faire savoir que les gens décents de ce monde ne peuvent pas appuyer les actions d’Israël et les valeurs que celui-ci défend. Ils ne savent pas si leur effort produira un changement immédiat ou s’ils auront la chance d’être les témoins d’un changement dans leur vie. Mais fidèles à leurs propres règles définissant qui ils sont et ce qu’ils ont fait dans leur vie, ils seront classés par l’histoire au rang de ceux qui ne sont pas restés indifférents alors que l’inhumanité faisait rage sous l’apparence de la démocratie dans leur propre pays ou ailleurs.
En revanche, ce n’est pas simplement sur les faits que se trompent les citoyens de ce pays, spécialement les célébrités, qui continuent à propager, souvent par ignorance ou pour des raisons plus sinistres, la fable selon laquelle Israël est une société occidentale cultivée ou « la seule démocratie au Moyen-Orient ». Ils fournissent une immunité pour une des plus grandes atrocités de notre époque. Certains exigent que nous laissions la culture en dehors de notre action politique. Cette approche à l’égard de la culture et des universités israéliennes en tant qu’entités séparées de l’armée, de l’occupation et de la destruction, cette approche est moralement corrompue et a perdu toute logique. Un jour, l’indignation venue de la base, y compris en Israël, produira une nouvelle politique- l’actuelle administration étasunienne en montre déjà des signes. L’histoire n’a pas été tendre pour les cinéastes qui ont collaboré avec le sénateur étasunien Joseph McCarthy pendant les années 50 ni avec ceux qui ont appuyé l’apartheid. Elle jugera de la même façon ceux qui gardent actuellement le silence au sujet de la Palestine.
Je me souviens de mon arrivée dans les îles Britanniques, en 1980, quand le soutien à la cause palestinienne était uniquement le fait de la gauche, et encore, celle d’un courant idéologique bien spécial. L’immunité dont jouissait Israël était due en grande partie au traumatisme postérieur à l’holocauste et au complexe de culpabilité qu’il avait engendré, aux intérêts militaires et économiques et à la fable selon laquelle Israël était la seule démocratie du Moyen-Orient. Ils étaient apparemment peu nombreux ceux qui se sentaient concernés par un état qui avait dépossédé la moitié de la population palestinienne autochtone dont il avait détruit les villes et les villages, qui en outre discriminait la minorité palestinienne vivant dans ses frontières par un système d’apartheid et répartissait dans des enclaves, deux millions et demi d’entre eux sous une occupation militaire dure et oppressive.
Près de 30 ans plus tard, il semble que tous ces écrans et aveuglements aient disparu. La plupart des gens connaissent l’ampleur du nettoyage ethnique de 1948 ; même le Président des États-Unis a qualifié la souffrance de la population dans les territoires occupés comme insupportable et inhumaine. Il est aussi question quotidiennement de la destruction et du dépeuplement du Grand Jérusalem et nombreux sont ceux qui dénoncent et condamnent le caractère raciste des politiques israéliennes envers les Palestiniens.
Selon les Nations unies, la situation actuelle est « une catastrophe humaine ». Le secteur de la société britannique conscientisée et honnête sait très bien qui est à l’origine de la catastrophe. Celle-ci ne découle plus de circonstances insaisissables ou de « conflits »— il est évident que cette catastrophe provient des politiques suivies par Israël au fil des années. Lorsqu’on a demandé à l’archevêque Desmond Tutu sa réaction devant ce qu’il avait vu dans les territoires occupés, il a tristement répondu que c’était pire que l’apartheid. Et il savait de quoi il parlait.
Comme dans le cas de l’Afrique du Sud, ces citoyens intègres disent leur indignation - que ce soit à titre individuel ou en tant que membres d’organisations - devant l’oppression, la colonisation, le nettoyage ethnique et la famine infligés en permanence aux Palestiniens. Ils cherchent le moyen de manifester leur réprobation et certains espèrent même convaincre leur gouvernement d’abandonner son attitude indifférente et sa passivité devant la destruction continue de la Palestine et des Palestiniens. Parmi les protestataires, beaucoup sont juifs étant donné que ces atrocités sont commises en leur nom selon la logique de l’idéologie sioniste ; bon nombre d’entre eux ont participé aux luttes pour les droits civils dans ce pays et pour des causes similaires dans le monde entier. Ils n’appartiennent pas tous au même parti politique et ils viennent de tous les milieux.
Jusqu’ici, le gouvernement britannique n’a pas été ébranlé. Il a été tout aussi passif lorsque que le mouvement antiapartheid de ce pays a exigé que des sanctions soient prises contre l’Afrique du Sud. Il a fallu plusieurs décennies pour que le militantisme de la base atteigne le sommet politique. Le délai est plus long dans le cas de la Palestine : le sentiment de culpabilité au sujet de l’holocauste a déformé la narration historique et faussé la représentation contemporaine d’Israël qui devient ainsi une démocratie aspirant à la paix tandis que les Palestiniens sont d’éternels terroristes islamistes, image qui a empêché la sympathie populaire de se manifester. Toutefois, celle-ci commence à se frayer un chemin et à s’affirmer en dépit des accusations selon lesquelles une telle attitude est antisémite et malgré la diabolisation de l’islam et des Arabes. Le secteur tertiaire - lien important entre les civils et les organismes d’État - nous a montré le chemin. Un syndicat après l’autre, un groupe professionnel après l’autre, ont récemment dit sans ambages : ça suffit. Nous protestons au nom de la décence, de la moralité et d’un engagement civil de base qui nous impose de ne pas rester inactifs face aux atrocités du type qu’Israël a commises et continue à infliger au peuple palestinien.
Ces huit dernières années, la politique criminelle d’Israël a connu une escalade et les militants palestiniens ont cherché de nouveaux moyens d’y faire face. Ils ont tout essayé : la lutte armée, la guérilla, le terrorisme et la diplomatie : tout cela en vain. Et pourtant, ils ne baissent pas les bras et ils proposent maintenant une stratégie non-violente - celle du boycott, du désinvestissement et des sanctions. Par ce moyen, ils essaient de sauver, non seulement les gouvernements occidentaux - mais ironiquement, aussi les juifs d’Israël - d’une catastrophe imminente et sanglante. Cette stratégie a inspiré l’appel au boycott culturel d’Israël, appel qui émane de toutes les parties de la société palestinienne : la société civile sous occupation et les Palestiniens vivant en Israël. L’appel est appuyé par les réfugiés palestiniens et il est dirigé par les membres des communautés palestiniennes en exil. Il est arrivé à un moment propice et a donné aux individus et aux organisations du Royaume-Uni l’occasion d’exprimer leur dégoût pour les politiques israéliennes et de faire eux aussi pression sur le gouvernement pour qu’il cesse de couvrir les actions israéliennes sur le terrain.
Il est déconcertant que ce revirement de l’opinion publique ne se soit pas encore répercuté sur la politique gouvernementale ; mais une fois de plus, ceci nous ramène à la voie tortueuse que la campagne contre l’apartheid a dû parcourir avant de devenir une politique officielle. Il convient également de rappeler que ce sont deux courageuses femmes de Dublin, travaillant à la caisse d’un supermarché local, qui ont lancé l’immense mouvement en refusant de vendre des marchandises sud-africaines.
Vingt-neuf ans plus tard, la Grande-Bretagne rejoignit les autres qui imposaient des sanctions contre l’apartheid. Par conséquent, alors que les gouvernements hésitent encore à sauter le pas pour des raisons cyniques, soit qu’ils craignent d’êtres accusés d’antisémitisme, soit peut-être en raison de leurs inhibitions islamophobes, des citoyens et des militants font tout leur possible, symboliquement et physiquement, pour informer, protester et revendiquer. Ils ont une action plus organisée, celle du boycott culturel, où ils peuvent rejoindre leurs syndicats dans une politique de pression coordonnée. Ils peuvent également utiliser leur nom ou leur célébrité pour nous faire savoir que les gens décents de ce monde ne peuvent pas appuyer les actions d’Israël et les valeurs que celui-ci défend. Ils ne savent pas si leur effort produira un changement immédiat ou s’ils auront la chance d’être les témoins d’un changement dans leur vie. Mais fidèles à leurs propres règles définissant qui ils sont et ce qu’ils ont fait dans leur vie, ils seront classés par l’histoire au rang de ceux qui ne sont pas restés indifférents alors que l’inhumanité faisait rage sous l’apparence de la démocratie dans leur propre pays ou ailleurs.
En revanche, ce n’est pas simplement sur les faits que se trompent les citoyens de ce pays, spécialement les célébrités, qui continuent à propager, souvent par ignorance ou pour des raisons plus sinistres, la fable selon laquelle Israël est une société occidentale cultivée ou « la seule démocratie au Moyen-Orient ». Ils fournissent une immunité pour une des plus grandes atrocités de notre époque. Certains exigent que nous laissions la culture en dehors de notre action politique. Cette approche à l’égard de la culture et des universités israéliennes en tant qu’entités séparées de l’armée, de l’occupation et de la destruction, cette approche est moralement corrompue et a perdu toute logique. Un jour, l’indignation venue de la base, y compris en Israël, produira une nouvelle politique- l’actuelle administration étasunienne en montre déjà des signes. L’histoire n’a pas été tendre pour les cinéastes qui ont collaboré avec le sénateur étasunien Joseph McCarthy pendant les années 50 ni avec ceux qui ont appuyé l’apartheid. Elle jugera de la même façon ceux qui gardent actuellement le silence au sujet de la Palestine.
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