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La gauche à l'épreuve d'Iztapalapa au Mexique

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  • La gauche à l'épreuve d'Iztapalapa au Mexique

    La tente jaune est plantée à un carrefour de Palmitas, l'un des tortueux recoins d'Iztapalapa, un immense quartier qui s'étend à l'est de Mexico au Mexique. Ce fouillis de bicoques et de HLM, de boutiques et de marchés de gros, d'écoles et de prisons, de milliers d'ateliers installés au ras du bitume, avec près de 2 millions d'habitants, est un bastion de la gauche.

    Le reste du Mexique ne s'y intéresse guère que le vendredi de la Semaine sainte, lorsque sa population joue devant des centaines de milliers de croyants la Passion du Christ, dont la croix est érigée au sommet d'un ancien volcan. Ces jours-ci, Iztapalapa est le théâtre d'un drame politique qui fascine les médias : la Passion de la gauche. Il n'y manque ni le jugement de Pilate ni la flagellation ou la crucifixion. Le seul doute concerne la possibilité d'une résurrection.

    Fermement campé sur l'estrade de Palmitas, un orateur aux cheveux gris, aux côtés d'une femme avenante en robe blanche et d'un petit homme en polo rouge, fustige "la mafia qui nous a volé la présidence, et vient de commettre un nouveau forfait contre nous". La foule le couve des yeux, l'interrompant pour scander des formules rituelles : "Tu n'es pas seul !" ou "Tel est le peuple de Lopez Obrador !".

    Andres Manuel Lopez Obrador, dit "AMLO", avait réuni 15 millions de voix lors de l'élection présidentielle de 2006, mais n'a jamais accepté d'avoir été battu de moins d'un demi-point par le conservateur Felipe Calderon.

    Il y a là de jeunes couples berçant leur bébé, des vieux usés par une vie de travail, beaucoup de gens dont les visages trahissent l'origine indienne et la fatigue des longs trajets vers un emploi toujours précaire. L'orateur leur explique que, pour élire la femme en blanc, il faudra voter pour l'homme en rouge.

    Car les habitants d'Iztapalapa n'auront pas la tâche facile quand ils devront choisir, dimanche 5 juillet, lors d'un scrutin couplé avec les élections législatives, leur chef de délégation (maire de quartier). Surtout s'ils restent fidèles à M. Lopez Obrador.

    Depuis deux ans, l'ancien champion de la gauche a visité 2 038 municipalités, parcouru 150 000 kilomètres, eu un contact direct avec des centaines de milliers de Mexicains. "Il a tissé un réseau national qu'il n'avait pas en 2006", observe Heliodoro Cardenas, journaliste du quotidien Milenio qui l'a suivi dans son marathon. Un sondage le crédite de 16 % des intentions de vote à la présidentielle de 2012 - le double de ce que recueille l'autre prétendant possible de la gauche, le maire de Mexico, Marcelo Ebrard.

    Dans la bataille d'Iztapalapa, AMLO a jeté toutes ses forces, quitte à torpiller son propre parti. Les électeurs, insiste-t-il, ne devront pas cocher le bulletin jaune du Parti de la révolution démocratique (PRD, gauche), auquel il appartient depuis vingt ans ni le nom de Clara Brugada, la candidate qu'il soutient, mais le candidat du petit Parti du travail (PT, gauche), Rafael Acosta, connu à Iztapalapa comme "Juanito". Donc, pour élire Clara, votez Juanito, c'est-à-dire Rafael.

    Confus ? Oui, surtout dans un quartier où nombre d'habitants sont illettrés et se fient, dans l'isoloir, aux sigles des partis. Cette situation ubuesque est le dernier épisode, et non le moindre, des querelles qui opposent les différentes "tribus" du PRD et qui l'ont mené, cette fois, au bord de l'éclatement.

    Clara Brugada a été désignée comme candidate du parti à Iztapalapa au terme d'une élection interne très disputée entre le courant d'AMLO et l'aile sociale-démocrate conduite par Jesus Ortega.

    En 2008, le Tribunal électoral fédéral avait dû trancher, en faveur de M. Ortega, un conflit aussi âpre qu'interminable pour désigner le chef national du PRD. Il a été sollicité une nouvelle fois afin de régler le cas d'Iztapalapa, où le courant social-démocrate contestait le résultat du scrutin interne.

    Or, vingt jours avant le vote, alors que les bulletins étaient déjà imprimés, le Tribunal a légitimé la candidature d'une autre militante du PRD, modérée : cocher "Clara Brugada" revient à l'élire.

    Le clan de M. Lopez Obrador dénonce aussitôt les pressions qui auraient été exercées sur les magistrats par des hommes politiques proches du gouvernement, ainsi que par des dirigeants du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, centre), qui ont tout autant intérêt à priver AMLO d'une base solide à Mexico.

    Mais M. Lopez Obrador improvise une riposte qui laisse pantois ses adversaires : il s'agit de faire élire le candidat du PT, qui s'engage à céder la place à Mme Brugada, le maire de Mexico étant sommé d'avaliser ce tour de passe-passe.

    La droite crie au mépris des institutions, le courant social-démocrate l'accuse de "trahison" et menace de l'exclure du PRD. Rien ne plairait davantage à AMLO, qui a toujours tiré profit du rôle de victime. Sa popularité a atteint des sommets, en 2005, lorsque le gouvernement du président Vicente Fox a tenté de le rendre inéligible.

    Aujourd'hui, sa manoeuvre risquée peut permettre d'esquiver la vague, ou couler pour de bon le navire. Les autres partis s'attendent à des fraudes, voire à des violences au sein du PRD le jour du scrutin.

    "Ce sera très difficile de gagner l'élection d'Iztapalapa", juge Conrado Farias, un commerçant de Palmitas qui ne cache pas son admiration pour AMLO. "C'est le seul qui vaille la peine de toute la classe politique mexicaine, il passera à l'Histoire", assure-t-il.

    Avant de se rendre à une autre réunion électorale, expliquant inlassablement qu'il faut voter Juanito afin d'élire Clara, celui que ses fidèles appellent "Andres Manuel" se laisse prendre en photo joue contre joue avec des enfants ravis. Son sourire est tendre, mais l'oeil noir est perçant, la mâchoire plus dure, le profil plus aigu qu'autrefois : la "mafia" n'en a pas fini avec AMLO.

    Par le Monde
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