morjane
03/07/2009, 19h28
En crise, Harvard Business School ? " Certainement pas ! Souvenez-vous que nous avons été fondés, il y a un siècle, précisément en réponse à une grave crise financière. Cette fois aussi, la société américaine a plus besoin de nous qu'avant la crise, pour que nous soyions encore mieux capables de former ses futurs dirigeants. " Jay Light, recteur de la plus fameuse école de gestion des affaires au monde, est un adepte de la méthode Coué.
Il ne peut pas ignorer que sa vénérable institution est aujourd'hui contestée. De l'extérieur, mais aussi, à mots couverts, de l'intérieur.
Lorsque nous l'avons rencontré, il allait réunir ses enseignants pour un séminaire, fin mai, destiné à réfléchir aux changements que le bilan de la crise économique induit pour l'école. Un séminaire " fermé pour qu'aucun sujet ne soit tabou ", assurait Jay Light.900 futurs leaders " qui feront la différence ", chaque année
Le recteur doit pourtant savoir que l'analogie entre la création de l'école de commerce de Harvard, en 1908, et la crise actuelle est peu crédible. HBS a bien été érigée au lendemain d'une " panique des banquiers " aux Etats-Unis. La différence, c'est qu'à l'époque, on attendait qu'elle montre la lumière. Aujourd'hui, on doute qu'elle soit la mieux placée pour le faire. L'école est montrée du doigt comme une des causes de la débâcle. Que lui reproche-t-on ? En premier lieu, avec ses enseignants vedettes et son aura, Harvard aurait été, avec l'Ecole économique de Chicago, l'initiatrice et le héraut des thèses qui ont rendu possible la bulle immobilière et fini par amener l'économie américaine au bord du gouffre.
Malgré les multiples cas d'études (case studies) qui font la renommée de l'école – la débâcle des obligations pourries, la bulle Internet, l'affaire Enron… –, Harvard a " soutenu sans faillir " le château de cartes des produits dérivés de dette, selon un enseignant. Les plus grandes institutions financières attendaient ses élèves à leur sortie de l'école. Ensemble, ils symbolisaient le triomphe de la finance " à risques ", celle qui les a démesurément enrichis pour finir par laisser le shareholder (l'actionnaire) chéri, qu'ils étaient supposés servir, sans voix et sans portefeuille. Où donc avaient-ils appris ces méthodes, sinon à Harvard ?
Il faut être juste : toute la corporation des business et management schools américaines subit l'accusation d'avoir fourni l'argumentaire intellectuel à ces managers qui auraient sacrifié l'Amérique à leur cupidité. Mais Harvard, de par sa position exceptionnelle, la subit plus qu'aucune autre. Pas étonnant : comme un mantra collectif, on vous y rabâche à satiété qu'ici on éduque " les leaders de demain, ceux qui feront la différence ". Jim Aisner, le directeur de la communication, un homme tout en componction old british, vous rappelle, patelin, qu'" on a eu ici Alfred Chandler, le plus grand historien de l'économie ", ou que là se trouve " le bureau de Michael Porter, le plus célèbre enseignant de business au monde ", et que là, près de la Baker Library – " la meilleure bibliothèque de business au monde ", évidemment –, Robert Merton, pape de l'économétrie, reçoit toujours ses élèves.
SYMBOLE DU CAPITALISME AMÉRICAIN
" Et nous avons les étudiants les plus brillants ", précise Jim Aisner, au cas où cela nous aurait échappé. Franck Darmon, vice-président de la société de télécoms Converse France, qui a étudié ici deux mois, en a encore des étoiles dans les yeux : " On a quand même eu des cours de Porter, la référence mondiale du marketing, et des PDG d'Amex et d'IBM "… Qui d'autre offrirait de telles stars au seul usage d'une centaine d'étudiants ? Après le 11-Septembre, un élève de Harvard avait sérieusement évoqué la crainte d'une attaque d'Al-Qaida contre les locaux de l'école. Après tout, n'était-elle pas l'autre symbole, avec Wall Street, du capitalisme américain ?
Personne ne s'étonnera qu'une fois la bise venue, Harvard soit apparue comme le creuset de toutes les dérives. Les critiques à son égard sont de deux ordres. D'abord, elle s'est complètement enfermée dans une " vision unique ", ultralibérale. Voulez-vous mettre mal à l'aise ses dirigeants ? Posez la question suivante : pourquoi les rares à avoir anticipé la crise – les Nouriel Roubini (New York University), George Akerlof (Berkeley), Robert Shiller (Yale) – sont-ils des généralistes de l'économie, pas des spécialistes des affaires ? Jay Light balaie l'argument : " Personne n'a prévu cette crise-là. " Mauro Guillén, professeur de management à la Business School de Wharton à Philadelphie, tente une explication : " Ceux qui étaient hors du système avaient l'avantage de la distance. " Etonnant plaidoyer : les financiers prétendaient jusque-là que pour comprendre leur monde, il fallait l'appréhender " de l'intérieur ". Et voilà qu'être " dedans " aurait constitué un handicap pour percevoir la crise…
On en vient là à la seconde critique à l'égard de Harvard et de ses consœurs : la " collusion d'intérêts ". Les théoriciens de ces écoles vantaient d'autant plus la " maximalisation du profit de l'actionnaire " et la culture du risque qu'eux-mêmes trouvaient un intérêt au " système ". Le cas de Robert Merton est souvent cité : professeur à Harvard, il fut associé et membre de la direction du hedge fund Long-Term Capital Management (LTCM), l'un des premiers que la prise de risque avait mené jusqu'à une quasi-faillite menaçant le système financier mondial. C'était en 1998. L'année précédente, Robert Merton avait reçu le prix Nobel d'économie. Le crash de LTCM n'a en rien modifié sa position à Harvard, au contraire. En 2005, la Baker Library lui a consacré une exposition exceptionnelle.
Que reproche-t-on à Merton, ses pairs et leurs émules ? D'avoir fourni l'arsenal théorique – " un vernis de légitimité académique ", dit Simon Johnson, professeur à l'Ecole de management du Massachusetts Institute of Technology (MIT) – et aussi bénéficié d'une évolution qui a vu la finance passer en trente ans de 16 % à 41 % des profits réalisés aux Etats-Unis. Merton n'est qu'un exemple : les passerelles entre postes d'enseignant et de consultant dans des institutions financières se sont multipliées.
Sur le site de Harvard, la fiche biographique de Jay Light explique qu'il est " directeur de plusieurs sociétés privées et conseiller ou administrateur de firmes de capital-investissement ". HBS se serait très éloignée de la maxime de son premier recteur, Edward Gay : l'école devait enseigner comment " gagner honnêtement un bénéfice correct ".
Il ne peut pas ignorer que sa vénérable institution est aujourd'hui contestée. De l'extérieur, mais aussi, à mots couverts, de l'intérieur.
Lorsque nous l'avons rencontré, il allait réunir ses enseignants pour un séminaire, fin mai, destiné à réfléchir aux changements que le bilan de la crise économique induit pour l'école. Un séminaire " fermé pour qu'aucun sujet ne soit tabou ", assurait Jay Light.900 futurs leaders " qui feront la différence ", chaque année
Le recteur doit pourtant savoir que l'analogie entre la création de l'école de commerce de Harvard, en 1908, et la crise actuelle est peu crédible. HBS a bien été érigée au lendemain d'une " panique des banquiers " aux Etats-Unis. La différence, c'est qu'à l'époque, on attendait qu'elle montre la lumière. Aujourd'hui, on doute qu'elle soit la mieux placée pour le faire. L'école est montrée du doigt comme une des causes de la débâcle. Que lui reproche-t-on ? En premier lieu, avec ses enseignants vedettes et son aura, Harvard aurait été, avec l'Ecole économique de Chicago, l'initiatrice et le héraut des thèses qui ont rendu possible la bulle immobilière et fini par amener l'économie américaine au bord du gouffre.
Malgré les multiples cas d'études (case studies) qui font la renommée de l'école – la débâcle des obligations pourries, la bulle Internet, l'affaire Enron… –, Harvard a " soutenu sans faillir " le château de cartes des produits dérivés de dette, selon un enseignant. Les plus grandes institutions financières attendaient ses élèves à leur sortie de l'école. Ensemble, ils symbolisaient le triomphe de la finance " à risques ", celle qui les a démesurément enrichis pour finir par laisser le shareholder (l'actionnaire) chéri, qu'ils étaient supposés servir, sans voix et sans portefeuille. Où donc avaient-ils appris ces méthodes, sinon à Harvard ?
Il faut être juste : toute la corporation des business et management schools américaines subit l'accusation d'avoir fourni l'argumentaire intellectuel à ces managers qui auraient sacrifié l'Amérique à leur cupidité. Mais Harvard, de par sa position exceptionnelle, la subit plus qu'aucune autre. Pas étonnant : comme un mantra collectif, on vous y rabâche à satiété qu'ici on éduque " les leaders de demain, ceux qui feront la différence ". Jim Aisner, le directeur de la communication, un homme tout en componction old british, vous rappelle, patelin, qu'" on a eu ici Alfred Chandler, le plus grand historien de l'économie ", ou que là se trouve " le bureau de Michael Porter, le plus célèbre enseignant de business au monde ", et que là, près de la Baker Library – " la meilleure bibliothèque de business au monde ", évidemment –, Robert Merton, pape de l'économétrie, reçoit toujours ses élèves.
SYMBOLE DU CAPITALISME AMÉRICAIN
" Et nous avons les étudiants les plus brillants ", précise Jim Aisner, au cas où cela nous aurait échappé. Franck Darmon, vice-président de la société de télécoms Converse France, qui a étudié ici deux mois, en a encore des étoiles dans les yeux : " On a quand même eu des cours de Porter, la référence mondiale du marketing, et des PDG d'Amex et d'IBM "… Qui d'autre offrirait de telles stars au seul usage d'une centaine d'étudiants ? Après le 11-Septembre, un élève de Harvard avait sérieusement évoqué la crainte d'une attaque d'Al-Qaida contre les locaux de l'école. Après tout, n'était-elle pas l'autre symbole, avec Wall Street, du capitalisme américain ?
Personne ne s'étonnera qu'une fois la bise venue, Harvard soit apparue comme le creuset de toutes les dérives. Les critiques à son égard sont de deux ordres. D'abord, elle s'est complètement enfermée dans une " vision unique ", ultralibérale. Voulez-vous mettre mal à l'aise ses dirigeants ? Posez la question suivante : pourquoi les rares à avoir anticipé la crise – les Nouriel Roubini (New York University), George Akerlof (Berkeley), Robert Shiller (Yale) – sont-ils des généralistes de l'économie, pas des spécialistes des affaires ? Jay Light balaie l'argument : " Personne n'a prévu cette crise-là. " Mauro Guillén, professeur de management à la Business School de Wharton à Philadelphie, tente une explication : " Ceux qui étaient hors du système avaient l'avantage de la distance. " Etonnant plaidoyer : les financiers prétendaient jusque-là que pour comprendre leur monde, il fallait l'appréhender " de l'intérieur ". Et voilà qu'être " dedans " aurait constitué un handicap pour percevoir la crise…
On en vient là à la seconde critique à l'égard de Harvard et de ses consœurs : la " collusion d'intérêts ". Les théoriciens de ces écoles vantaient d'autant plus la " maximalisation du profit de l'actionnaire " et la culture du risque qu'eux-mêmes trouvaient un intérêt au " système ". Le cas de Robert Merton est souvent cité : professeur à Harvard, il fut associé et membre de la direction du hedge fund Long-Term Capital Management (LTCM), l'un des premiers que la prise de risque avait mené jusqu'à une quasi-faillite menaçant le système financier mondial. C'était en 1998. L'année précédente, Robert Merton avait reçu le prix Nobel d'économie. Le crash de LTCM n'a en rien modifié sa position à Harvard, au contraire. En 2005, la Baker Library lui a consacré une exposition exceptionnelle.
Que reproche-t-on à Merton, ses pairs et leurs émules ? D'avoir fourni l'arsenal théorique – " un vernis de légitimité académique ", dit Simon Johnson, professeur à l'Ecole de management du Massachusetts Institute of Technology (MIT) – et aussi bénéficié d'une évolution qui a vu la finance passer en trente ans de 16 % à 41 % des profits réalisés aux Etats-Unis. Merton n'est qu'un exemple : les passerelles entre postes d'enseignant et de consultant dans des institutions financières se sont multipliées.
Sur le site de Harvard, la fiche biographique de Jay Light explique qu'il est " directeur de plusieurs sociétés privées et conseiller ou administrateur de firmes de capital-investissement ". HBS se serait très éloignée de la maxime de son premier recteur, Edward Gay : l'école devait enseigner comment " gagner honnêtement un bénéfice correct ".