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Reportage en IAKOUTIE- Federation de RUSSIE

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  • Reportage en IAKOUTIE- Federation de RUSSIE

    05/07/2009 18:32
    Barbara, fille de la terre iakoute


    Valérie François et Géraldine Bérard sont allées à la rencontre des femmes de Sibérie. Une série en cinq épisodes. La première, Barbara, vit dans un village de l’une des régions les plus isolées de Sibérie : la République autonome de Sakha-Iakoutie. Des kolkhozes à la ferme familiale, elle a traversé les époques et leurs bouleversements


    Barbara dans sa maison. Cette passionnée des plantes tente de tout faire pousser dans sa maison même pendant les durs mois d'hiver (Photo Valérie FRANCOIS).

    Les yeux rieurs, les tempes hautes, la bouille ronde et cuivrée, typique des femmes iakoutes, Barbara embrasse du regard son village. Enfouies sous la neige, des isbas s’étalent sur plusieurs kilomètres. Ici et là, des vaches semblent apprécier la douceur relative de ce mois d’avril après avoir été enfermées pendant six mois dans leur khoton (une étable en bois recouverte de terre).

    « Cette année, l’hiver a été particulièrement rude. Nous avons eu de longues journées à – 50°. Depuis quelques jours, il ne fait plus que – 10° et les vaches peuvent enfin sortir ! » explique-t-elle.

    Barbara, 58 ans, sait de quoi elle parle. Ses parents ont vécu dans un kolkhoze (1). Son mari travaillait dans un sovkhoze (2). La perestroïka a fait d’eux des fermiers. « Dans les kolkhozes, nos parents recevaient de la nourriture contre leur labeur. Mon père rapportait d’énormes mottes de beurre, qu’il allait vendre au marché pour récupérer quelques roubles. Nous n’avions pas le droit de posséder un passeport, ni de sortir d’une zone délimitée », raconte Barbara. « On ne part pas d’une vie si belle et si radieuse !, ironise Inokentii, son mari depuis 34 ans, également fils de kolkhoziens. Mais on ne se plaignait pas. Nous ne nous sentions pas malheureux. Il y avait toujours de quoi manger. Et surtout nous n’avions rien à quoi comparer notre vie. »

    Un village sans eau courante
    Inokentii, après des études d’ingénieur agronome, devient chef d’équipe au sovkhoze. Barbara, infirmière, travaille à l’hôpital du village. Du chef à l’ouvrier, les bons comme les mauvais travailleurs, tous gagnent alors 120 roubles par mois. Le couple, comme beaucoup d’autres, croit fermement au rêve communiste. Ils ne sont jamais augmentés mais acceptent avec honneur diplômes et médailles de reconnaissance.


    Dès le mois de mars Barbara et son mari Inokentii sèment les graines dans un bac rempli de terre qui envahiront, de la chambre au salon, chaque pièce de la maison jusqu'en juin (Photo Valérie FRANCOIS).

    Ils vivent alors avec leurs deux enfants dans la maison qu’Inokentii a construite de ses mains. « Je voulais absolument une maison avec un étage », raconte fièrement Barbara. « Des voisins jaloux nous ont dénoncés. Inokentii a été convoqué au Parti. Il était accusé de voler le bien du peuple. Heureusement, c’était un bon chef. Nous n’avons pas subi de représailles et j’ai eu mon étage ! »

    Pendant leur temps libre, Inokentii cultive, discrètement pour ne pas faire d’envieux, des légumes et du fourrage pour nourrir les vaches et améliorer le quotidien. Barbara, komsomol (nom des Jeunesses communistes) active et passionnée de théâtre, passe ses soirées en réunions ou en répétitions.

    Dans la cuisine, face à une tasse de thé au lait fumant, Barbara sourit à son mari qui rentre les bras chargés d’un bloc de glace. « Voilà l’eau courante ! », s’exclame-t-il en le déposant dans un seau près du poêle. À cause du permafrost (sol gelé en permanence), le village, comme presque toute la Iakoutie, ne dispose pas d’eau courante. En hiver, des blocs de glace sont soigneusement empilés le long des maisons.

    Pour l’été, Inokentii a creusé un abri dans le sous-sol de son jardin. « Même lorsqu’il fait + 35°, les températures restent négatives dans cette cave, explique-t-il. C’est un excellent congélateur naturel. L’eau recueillie sert pour la cuisine et notre toilette. Une fois par semaine, je fais chauffer le bania (bain de vapeur) pour nous laver. Et, pour le potager qui doit être arrosé chaque jour à partir de juin, nous récupérons l’eau d’un bras de la Léna qui coule au bout de notre exploitation. »

    "Lorsque la perestroïka est arrivée, tout s’est écroulé"
    En avril, « la petite mère Léna », comme l’appellent les Iakoutes, est encore prise par les glaces. Une route aménagée sur le fleuve permet aux véhicules de circuler facilement. Mais d’ici à deux semaines, les autorités vont en fermer l’accès aux voitures pour des raisons de sécurité : la glace fond vite à cette période de l’année. Ce qui n’empêchera pas quelques automobilistes intrépides de traverser, au risque d’une amende ou d’une noyade.

    Sur l’autre rive, la capitale de la Iakoutie, Iakoutsk, se prépare à l’isolement. Pendant ce mois de débâcle, le fleuve charrie des blocs de glace et s’élargit parfois sur plusieurs kilomètres. La tumultueuse Léna, encore dépourvue de pont, devient un dangereux obstacle pour les hommes et les embarcations, une menace pour les villages installés à proximité. Seul l’avion ou l’hélicoptère permettent alors de quitter ou de rejoindre la ville. En octobre, elle est à nouveau coupée du monde, jusqu’à ce que le froid immobilise les eaux du fleuve pour les 6 prochains mois.

    Penchée sur la table de la cuisine, Barbara, place délicatement dans un bac rempli de terre une armée de graines. De son côté, Inokentii dorlote les fragiles pousses vertes rangées dans des caisses en bois qui, de la chambre au salon, envahissent chaque pièce de la maison. Cette année, le travail est double. La mairie leur a commandé 3 000 plants de fleurs pour décorer le village pour les fêtes d’Yssyakh (3). Ensuite, ils devront s’occuper des légumes.

    « Lorsque la perestroïka est arrivée, tout s’est écroulé », se souvient-elle, en recouvrant de terre les graines de tomates. En 1992, le sovkhoze ferme ses portes et l’hôpital de Barbara ne lui paie plus qu’une partie de son salaire alors que, à 43 ans, elle attend un troisième enfant. Dans le village, tous s’adaptent tant bien que mal. Beaucoup se réunissent en coopérative pour survivre.

    "Nous avons préféré monter notre affaire seuls"
    « Nous avons préféré monter notre affaire seuls. Il a fallu travailler du matin au soir pendant quatre ans avant de percevoir les premiers bénéfices de nos efforts. Les banques refusaient de nous prêter de l’argent et l’État ne nous a pas aidés. Nous survivions grâce aux allocations familiales. Nous avons eu faim et souvent pleuré. Mais nous n’avons jamais baissé les bras. Doucement, mais sûrement, on y est arrivé. On a pu acheter un tracteur et s’agrandir. »

    Choux, patates, tomates, concom bres, betteraves…, aujourd’hui 33 sortes de légumes, de fleurs, d’herbes aromatiques poussent sur les deux hectares de terre qu’ils possèdent aux environs de Sotintsy. Début juin, les meilleures pousses sont plantées sous serre ou dans les champs. Jusqu’à mi-juillet, rien n’est sûr. Il peut encore geler. « Une année, nous avons tout perdu en une nuit », soupire Barbara.

    L’été est une période très dure pour le couple. Ils n’ont que trois mois pour tout faire pousser, récolter et vendre. Les nuits blanches leur permettent de travailler jusqu’à dix-huit heures par jour dans des conditions épuisantes. Il fait une chaleur caniculaire et les moustiques attaquent par milliers. L’année dernière, Inokentii s’est cassé la jambe. Cet accident a réduit de moitié leur production et souligné la fragilité de leur situation.

    L'arrivée du train va tout changer
    Ils ne se plaignent pas. Ils ne sont pas riches, mais ont de quoi vivre. Au village, pratiquement la moitié des habitants vit au-dessous du seuil de pauvreté. L’alcool tue à petit feu. « Il y a quatre ans, notre maire, une femme, a bien essayé d’en interdire la vente. Mais c’était la fin de son mandat et elle n’a pas été réélue. »

    Barbara tourne son visage vers le cimetière. Les Iakoutes enterrent leurs morts, la tête à l’est. Ceux qui se sont suicidés sont enterrés la tête à l’ouest, pour conjurer le sort et protéger leurs descendants d’une telle fin. Sur la colline, des tombes percent la neige immaculée. Personne ne visite les morts. Il ne faut pas laisser de traces près des tombeaux, elles pourraient vous désigner comme le prochain sur la liste. « Tant de jeunes se tuent », soupire Barbara.

    D’ici à quelques années, le train va arriver jusqu’à Iakoutsk. Ils ne seront plus coupés du monde. C’est bien pour le développement de la région, mais personne ne semble s’en réjouir. Les yeux rieurs de Barbara s’assombrissent : « Aujourd’hui, nous n’avons pratiquement pas de criminalité et peu de problèmes de drogue. Avec le train, tout cela risque d’arriver. Qui va protéger nos enfants ? Ce n’est pas l’isolement, le vrai problème. Il leur manque avant tout un idéal à construire, des valeurs à retrouver qui ne soient pas uniquement celles de l’argent. Il ne faut pas oublier que, nous, les Iakoutes, nous sommes des enfants de la terre. »

    Valérie François et Géraldine BERARD, à IAKOUTSK (Sibérie)

    (1) Coopérative agricole appartenant à un groupe de paysans qui ont mis en commun leurs terres, leurs outils, leur bétail.
    (2) Ferme d’État.
    (3) Fête traditionnelle iakoute, qui a lieu le 21 juin, jour du solstice d’été. Ce jour-là, les Iakoutes honorent le soleil avant le long hiver à venir.
    source
    http://www.la-croix.com/article/inde...824&rubId=4077
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