LA CRISE BERBERISTE DANS LE MOUVEMENT NATIONAL 1949
Par Benyoucef Benkhedda
LE BERBERISME, PRODUIT DE LA COLONISATION
En 1949, le PPA-MTLD eut à surmonter une crise interne grave qui menaça son unité et celle de la nation: le berbérisme.
Les expressions “Berbérie” et “Berbères” couvrent, la première, une réalité géographique, la seconde, une donnée ethnique. Mais le berbérisme en lui-même est un phénomène conçu et exploité par le colonialisme dont la devise “diviser pour régner ” consistait à vouloir coûte que coûte opposer, après les avoir suscités, un “bloc arabe ” à un “bloc kabyle ”.
La politique coloniale dont le but est de saper les fondements de la société maghrébine, soutenait que l’Afrique du Nord est berbère, que les Arabes sont des envahisseurs, des colonisateurs venus en Afrique du Nord au même titre que les Romains, les Vandales, les Byzantins, les Turcs et, plus tard, les Français. Elle déniait au Maghreb son arabité (El-Ourouba) .
Elle finit par influencer une partie de l’élite algérienne francophone qui parlait d’ “Arabo-Berbères” pour désigner la population nord-africaine. Le Parti communiste algérien (PCA) avait fait sienne cette formule qui s’insérait dans sa conception de la “Nation algérienne en formation ”.
L’apparition du berbérisme dans le PPA-MTLD remonte aux années 1946-1947, lorsqu’un groupe de jeunes militants originaires de Kabylie, ulcérés par les massacres de mai 1945 dans le Constantinois et la répression en Kabylie, et sous l’effet du désarroi engendré par “l’ordre et le contre-ordre” insurrectionnel de mai 1945, décidèrent de prendre le maquis. La motivation, chez eux, est alors patriotique. Parmi eux: Ali Laïmèche et Hocine Aït-Ahmed du lycée de Ben Aknoun, Ammar Ould-Hamouda et Omar Oussedik de l’Ecole normale de Bouzaréa. Ils sont en relation à Alger avec Ouali Bennaï, maraîcher de profession qui militait activement dans les rangs du PPA. Grand de taille, d’un tempérament fougueux, Bennaï est le type même de l’entraîneur d’hommes.
Le groupe fait des recrues parmi les étudiants de l’Université d’Alger, de la médersa Et-thaâlibia d’Alger et des lycéens. Ali Laïmèche meurt prématurément en 1946. Aït-Ahmed, Ould Hammouda, Oussedik et Bennaï forment alors le noyau du groupe. Ils appartiennent tous les quatre au Comité central du PPA-MTLD, l’instance qui désigne la direction et trace la politique du Parti. Ils exercent par ailleurs des responsabilités importantes dans l’appareil de celui-ci. Aït-Ahmed après avoir été membre du Bureau politique du Parti en 1947-1948 est à la tête de l’OS où il a succédé à Mohammed Belouizdad atteint de maladie Ould Hammouda est le chef de l’OS de la Grande Kabylie après avoir été chef de l’organisation politique (OP) de l’Oranie, tandis qu’Omar Oussedik se retrouve à la tête de l’organisation du Grand Alger pendant un certain temps. Il est en même temps l’adjoint d’Ahmed Bouda membre du Bureau politique et le responsable de l’OP à l’échelle nationale à cette date.
Les berbéristes revendiquaient l’identité berbère tout en rejetant l’apport arabe et islamique. Ils étaient influencés non seulement par les idéologues de la colonisation, mais par l’idéologie communiste. Les communistes, rappelons-le, étaient contre le concept d’une “nation algérienne” déjà formée avec ses constantes arabe et musulmane ils défendaient le principe de la “nation algérienne en formation” à partir de la coexistence sur le même territoire des différentes communautés arabe, berbère, turque, juive, italienne, maltaise, espagnole, française, rejetant ainsi le fondement arabo-islamique de la société algérienne. Ils étaient alors en pleine ascension au lendemain de la deuxième guerre mondiale. En ces années 1946-1947, le Parti communiste algérien, fort de l’appui du Parti communiste français - premier parti de France avec un million d’adhérents, plus de cinq millions d’électeurs, 166 députés à l’Assemblée nationale française, paré du prestige protecteur de l’URSS et de sa victoire sur l’Allemagne nazie - répandait alors une abondante littérature en Algérie où il visait particulièrement la jeunesse des lycées et de l’Université.
Les berbéristes étaient séduits par le marxisme ainsi que par la Constitution de l’Union soviétique qui vantait le système de ses républiques “musulmanes”: l’Azerbaïdjan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, etc., où chaque peuple, affirmait-elle, chaque ethnie, jouit de sa propre langue, de sa propre culture et bénéficie de “l’autonomie” de gestion dans ses affaires. C’était là un argument qu’on rencontrait souvent chez les convertis au berbérisme.
Certes, on ne pouvait nier l’existence d’un particularisme kabyle. Sous le colonialisme, la Kabylie était une région pauvre et ses habitants connaissaient une situation économique difficile. Des cailloux de leurs montagnes ils s’efforçaient de faire jaillir leur subsistance, réglant leurs conflits grâce aux djemaâs (assemblées des sages) qui mettaient en application leur code de l’honneur et de l’éthique inspirés des valeurs islamiques pour tenter de s’opposer à la loi française envahissante. Les missions chrétiennes des “pères blancs” exploitaient leur misère matérielle et entreprenaient des essais systématiques d’évangélisation: recueil d’orphelins, distribution de secours en nature (semoule, figues, huile, denrées diverses), fondation d’écoles religieuses. Les résultats n’ont pas été à la mesure des efforts déployés si l’on en juge par les rares kabyles christianisés.
De plus, la Kabylie était supposée plus apte à recevoir les bienfaits de la civilisation européenne. La scolarisation y était plus poussée que dans d’autres régions du pays, et cela afin d’y dégager une élite francophone. Insidieusement, on prêtait même volontiers une ascendance romaine, voire aryenne aux Kabyles, histoire de signifier qu’ils étaient beaucoup plus “proches” des Français, en tout cas plus “assimilables”, parce que, prétendait-on, moins marqués par l’empreinte de l’Islam que le reste de la population.
Beaucoup d’habitants de la région, poussés par le chômage, émigraient en France ou se fixaient dans les villes d’Algérie, exerçant divers petits métiers ou diverses professions: tailleurs, commerçants, colporteurs, employés dans les administrations, ouvriers, petits propriétaires, ou encore s’engageaient comme travailleurs agricoles dans les domaines des colons.
La Kabylie était un bastion du Parti, tout comme certaines autres régions telles que la Mitidja, Alger, Skikda, Annaba, Constantine, Oran, l’Aurès. Beaucoup de ses fils qui avaient émigré en France avaient participé activement au lancement de l’Etoile nord-africaine et à celui du Parti du peuple algérien, contribuant ainsi au rayonnement de ces deux formations.
En Algérie les berbéristes essayaient de recruter en milieu étudiant, à Alger et en Kabylie. A la base, ils n’avaient pas encore diffusé leurs idées mais ne se privaient pas de dénigrer la direction pour saper son autorité et faire douter de la ligne politique arabo-islamique qu’elle prônait et qui était celle du Parti. Quand ils osaient professer leurs idées et ouvrir les discussions, la quasi-totalité des militants rejetaient leur doctrine qui ne pouvait mener le Parti et le peuple qu’à la division et l’affrontement. /...
Par Benyoucef Benkhedda
LE BERBERISME, PRODUIT DE LA COLONISATION
En 1949, le PPA-MTLD eut à surmonter une crise interne grave qui menaça son unité et celle de la nation: le berbérisme.
Les expressions “Berbérie” et “Berbères” couvrent, la première, une réalité géographique, la seconde, une donnée ethnique. Mais le berbérisme en lui-même est un phénomène conçu et exploité par le colonialisme dont la devise “diviser pour régner ” consistait à vouloir coûte que coûte opposer, après les avoir suscités, un “bloc arabe ” à un “bloc kabyle ”.
La politique coloniale dont le but est de saper les fondements de la société maghrébine, soutenait que l’Afrique du Nord est berbère, que les Arabes sont des envahisseurs, des colonisateurs venus en Afrique du Nord au même titre que les Romains, les Vandales, les Byzantins, les Turcs et, plus tard, les Français. Elle déniait au Maghreb son arabité (El-Ourouba) .
Elle finit par influencer une partie de l’élite algérienne francophone qui parlait d’ “Arabo-Berbères” pour désigner la population nord-africaine. Le Parti communiste algérien (PCA) avait fait sienne cette formule qui s’insérait dans sa conception de la “Nation algérienne en formation ”.
L’apparition du berbérisme dans le PPA-MTLD remonte aux années 1946-1947, lorsqu’un groupe de jeunes militants originaires de Kabylie, ulcérés par les massacres de mai 1945 dans le Constantinois et la répression en Kabylie, et sous l’effet du désarroi engendré par “l’ordre et le contre-ordre” insurrectionnel de mai 1945, décidèrent de prendre le maquis. La motivation, chez eux, est alors patriotique. Parmi eux: Ali Laïmèche et Hocine Aït-Ahmed du lycée de Ben Aknoun, Ammar Ould-Hamouda et Omar Oussedik de l’Ecole normale de Bouzaréa. Ils sont en relation à Alger avec Ouali Bennaï, maraîcher de profession qui militait activement dans les rangs du PPA. Grand de taille, d’un tempérament fougueux, Bennaï est le type même de l’entraîneur d’hommes.
Le groupe fait des recrues parmi les étudiants de l’Université d’Alger, de la médersa Et-thaâlibia d’Alger et des lycéens. Ali Laïmèche meurt prématurément en 1946. Aït-Ahmed, Ould Hammouda, Oussedik et Bennaï forment alors le noyau du groupe. Ils appartiennent tous les quatre au Comité central du PPA-MTLD, l’instance qui désigne la direction et trace la politique du Parti. Ils exercent par ailleurs des responsabilités importantes dans l’appareil de celui-ci. Aït-Ahmed après avoir été membre du Bureau politique du Parti en 1947-1948 est à la tête de l’OS où il a succédé à Mohammed Belouizdad atteint de maladie Ould Hammouda est le chef de l’OS de la Grande Kabylie après avoir été chef de l’organisation politique (OP) de l’Oranie, tandis qu’Omar Oussedik se retrouve à la tête de l’organisation du Grand Alger pendant un certain temps. Il est en même temps l’adjoint d’Ahmed Bouda membre du Bureau politique et le responsable de l’OP à l’échelle nationale à cette date.
Les berbéristes revendiquaient l’identité berbère tout en rejetant l’apport arabe et islamique. Ils étaient influencés non seulement par les idéologues de la colonisation, mais par l’idéologie communiste. Les communistes, rappelons-le, étaient contre le concept d’une “nation algérienne” déjà formée avec ses constantes arabe et musulmane ils défendaient le principe de la “nation algérienne en formation” à partir de la coexistence sur le même territoire des différentes communautés arabe, berbère, turque, juive, italienne, maltaise, espagnole, française, rejetant ainsi le fondement arabo-islamique de la société algérienne. Ils étaient alors en pleine ascension au lendemain de la deuxième guerre mondiale. En ces années 1946-1947, le Parti communiste algérien, fort de l’appui du Parti communiste français - premier parti de France avec un million d’adhérents, plus de cinq millions d’électeurs, 166 députés à l’Assemblée nationale française, paré du prestige protecteur de l’URSS et de sa victoire sur l’Allemagne nazie - répandait alors une abondante littérature en Algérie où il visait particulièrement la jeunesse des lycées et de l’Université.
Les berbéristes étaient séduits par le marxisme ainsi que par la Constitution de l’Union soviétique qui vantait le système de ses républiques “musulmanes”: l’Azerbaïdjan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, etc., où chaque peuple, affirmait-elle, chaque ethnie, jouit de sa propre langue, de sa propre culture et bénéficie de “l’autonomie” de gestion dans ses affaires. C’était là un argument qu’on rencontrait souvent chez les convertis au berbérisme.
Certes, on ne pouvait nier l’existence d’un particularisme kabyle. Sous le colonialisme, la Kabylie était une région pauvre et ses habitants connaissaient une situation économique difficile. Des cailloux de leurs montagnes ils s’efforçaient de faire jaillir leur subsistance, réglant leurs conflits grâce aux djemaâs (assemblées des sages) qui mettaient en application leur code de l’honneur et de l’éthique inspirés des valeurs islamiques pour tenter de s’opposer à la loi française envahissante. Les missions chrétiennes des “pères blancs” exploitaient leur misère matérielle et entreprenaient des essais systématiques d’évangélisation: recueil d’orphelins, distribution de secours en nature (semoule, figues, huile, denrées diverses), fondation d’écoles religieuses. Les résultats n’ont pas été à la mesure des efforts déployés si l’on en juge par les rares kabyles christianisés.
De plus, la Kabylie était supposée plus apte à recevoir les bienfaits de la civilisation européenne. La scolarisation y était plus poussée que dans d’autres régions du pays, et cela afin d’y dégager une élite francophone. Insidieusement, on prêtait même volontiers une ascendance romaine, voire aryenne aux Kabyles, histoire de signifier qu’ils étaient beaucoup plus “proches” des Français, en tout cas plus “assimilables”, parce que, prétendait-on, moins marqués par l’empreinte de l’Islam que le reste de la population.
Beaucoup d’habitants de la région, poussés par le chômage, émigraient en France ou se fixaient dans les villes d’Algérie, exerçant divers petits métiers ou diverses professions: tailleurs, commerçants, colporteurs, employés dans les administrations, ouvriers, petits propriétaires, ou encore s’engageaient comme travailleurs agricoles dans les domaines des colons.
La Kabylie était un bastion du Parti, tout comme certaines autres régions telles que la Mitidja, Alger, Skikda, Annaba, Constantine, Oran, l’Aurès. Beaucoup de ses fils qui avaient émigré en France avaient participé activement au lancement de l’Etoile nord-africaine et à celui du Parti du peuple algérien, contribuant ainsi au rayonnement de ces deux formations.
En Algérie les berbéristes essayaient de recruter en milieu étudiant, à Alger et en Kabylie. A la base, ils n’avaient pas encore diffusé leurs idées mais ne se privaient pas de dénigrer la direction pour saper son autorité et faire douter de la ligne politique arabo-islamique qu’elle prônait et qui était celle du Parti. Quand ils osaient professer leurs idées et ouvrir les discussions, la quasi-totalité des militants rejetaient leur doctrine qui ne pouvait mener le Parti et le peuple qu’à la division et l’affrontement. /...
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