Par Vincent Benard 07 juillet 2009
Comme je l’ai déjà écrit, la bulle immobilière qui explose aux USA n’a touché qu’une dizaine d’états sur 50. Quand bien même les plus peuplés, à la notable exception du Texas (n°2), y figurent tous, cela laisse plus de 60% de la population dans des zones qui n’ont pas connu l’explosion immobilière qui fait la une de tous les journaux depuis fin 2008.
La raison de cette différence de comportement entre différents marchés soumis aux mêmes conditions délirante de la gestion du crédit aux USA, est bien connue des lecteurs réguliers de ce blog, et a été maintes fois pointée du doigt par moult économistes comme Ed Glaeser, Paul Krugman, Wendell Cox : dans les villes ou la réglementation du sol n’empêche pas de trouver facilement du terrain pour construire les maisons neuves que le marché demande, « une bulle immobilière ne peut même pas démarrer », selon les termes même de Krugman.
La plupart des analystes de la crise s’arrêtent aux questions financières sous jacentes, fussent ils remarquables dans ce domaine. Arnold Kling, Peter Schiff, Stan Leibovitz, et quelques autres, auront indiscutablement contribué à populariser les graves dysfonctionnements du système monétaire et du crédit engendrés par l’interventionnisme mal à propos du gouvernement fédéral dans ces domaines.
Mais tous ignorent le facteur immobilier, que seuls Glaeser, Thomas Sowell ou Wendell Cox ont largement étudié. La question se pose de savoir si les questions liées à la réglementation du sol ont joué un rôle majeur, secondaire ou mineur dans la crise.
Essayons d’imaginer ce qu’aurait été la crise si les USA avaient sur tout leur territoire eu un droit des sols du même type que ceux en vigueur à Dallas ou Houston, toutes les autres conditions (Gestion irresponsable de Fannie Mae et Freddie Mac, réglementation bancaire inadaptée, Alan Greenspan peu inspiré) étant restées identiques à ce qu’elles ont été.
Impact sur les prix
Malgré une demande de logement stratosphérique, les prix des logements à Houston, Dallas, Atlanta, Omaha, Kansas City, Austin, et quelques autres, n’ont augmenté "que" de 10% plus vite que l’inflation entre 1999 et 2006. Les trois premières agglomérations citées sont des mégalopoles de plus de 6 millions d’habitants, qui ont toutes vues leur population presque doubler en 25 ans, et dont le taux de croissance démographique a été bien plus rapide que celui de villes qui ont connu une forte bulle comme LA ou San Francisco. Il est donc impossible d’incriminer une moindre demande, une moindre attractivité ou un moindre dynamisme économique comme facteur décisif de non-formation de la bulle.
Ces cités ont été classées par la très réputée institution (de centre Gauche) Brookings comme disposant d’un droit du sol « réactif», c'est-à-dire fournissant en permanence un excès de foncier disponible à la construction aux développeurs. Au contraire, les villes bullaires disposent quasiment toutes soit d’un droit du sol "prescriptif", c'est-à-dire stipulant par défaut qu’un terrain est non constructible jusqu’à ce qu’il obtienne l’autorisation. Deux exceptions, Las Vegas et Phoenix, où le droit du sol est réactif sur le papier, mais où le sol développable autour des cœurs de ville sont essentiellement la propriété de l’état (local), lesquels ont pratiqué de la rétention foncière ("land banking") pour maximiser leurs revenus à partir de 2004, lors de ces dernières années de folie spéculative. Ces villes maintiennent donc artificiellement la disponibilité du sol en dessous de sa demande potentielle.
Dans les villes « non bullaires », l’augmentation moyenne des prix a été de 30% en 7 ans. Dans les villes « bullaires », la moyenne a été de 130%, avec des pointes à 180% en Californie.
Si toute l’Amérique avait disposé d’un droit du sol réactif, il est probable que le prix des marchés immobiliers serait resté autour de sa norme historique, autour de 2.5 à 3 fois le revenu médian des ménages, avec des pointes à 4-5 fois pour quelques emplacements « premium » particulièrement recherchés (Central Park, Laguna Beach…) forcément limités géographiquement, et sans impact statistique.
Impact qu’aurait eu la stabilité des prix sur les comportements des agents économiques : du point de vue du système financier
Il est important de comprendre que si 2/3 des maisons américaines étaient sous le coup d’un emprunt hypothécaire (soit environ 50 millions de ménages sur 75), ce n’est pas parce que les deux tiers des ménages ont changé de maison dans les 10 ou 20 dernières années, mais parce qu’une part non négligeable de ces ménages ont pratiqué pendant les années « bulle » le « borrow against equity ». Autrement dit, des ménages ayant totalement ou partiellement payé leur maison (parfois depuis très longtemps) ont ré-emprunté sur hypothèque à hauteur de la valeur estimée de la maison, pour financer qui une entreprise (ce qui est normal, l’emprunt hypothécaire sert avant tout à ça), qui de la consommation immédiate d’écrans plats et de SUV.
Les banques ont massivement adhéré à ces pratiques de refinancement fort risquées, d’une part parce que les réglementations et le système monétaire qui encadre le crédit les poussait au crime (je n’y reviens pas), mais aussi parce que la croyance était en train de s’établir selon laquelle les cours de l’immobilier ne pouvaient pas baisser parce que si cela devait arriver, la banque centrale agirait pour faire baisser les taux à tout prix, afin d’éviter tout dégonflement de la bulle en cours de formation (Greenspan lui-même avait déclaré dès 2004 que la FED agirait ainsi en cas de risque de baisse des cours). Personne ne semblait se préoccuper du fait que bizarrement, les prix immobiliers de la Middle America étaient stables. L’explication la plus courante de ce phénomène, pour ceux qui prenaient la peine de le remarquer, tenait simplement de « l’effet retard » : la bulle, le Texas y viendrait, comme tout le monde.
L’on connaît le résultat : des millions de prêts ont été accordés en fonction non pas de la capacité de remboursement réelle des emprunteurs, mais en fonction de la valeur supposée de revente d’un bien saisi en cas de faillite de l’emprunteur. Nous en esquisserons l’impact macro-économique général plus tard.
Bornons nous pour l’instant à noter que l’encours des prêts hypothécaires est passé de 5000 milliards à 12 000 milliards de dollars entre 1999 et 2007. 85% de l’augmentation de cet encours est localisée sur les zones « bullaires ».
Si ces zones avaient connu la même augmentation de prix qu’à Atlanta, l’encours de ces mêmes prêts, à supposer qu’ils aient été contractés, aurait été inférieur de 4 000 milliards de dollars (estimation de Wendell Cox corroborée par mes propres calculs). De surcroît, ce sont les 4000 milliards les plus risqués marginalement qui n'auraient pas été inscrits dans les bilans des banques et autres établissements.
Pour l'instant, ce sont un peu plus de 1000 milliards de dépréciations d'actifs qui ont été passées par les banques américaines. Les estimations des dépréciations restant à inscrire sont variables, mais Nouriel Roubini, l'un des rares à avoir prévu l'ampleur de la crise avant qu'elle n'arrive, estimait le total des dépréciations à enregistrer aux alentours de 2000 milliards.
Disons le tout de suite, l'immense majorité de ces dépréciations n'aurait pas eu à être inscrites au compte des banques, de Fannie Mae ou de Freddie Mac si le droit du sol avait empêché la formation de la bulle.
Toutefois, le changement de comportement des prix du marché aurait modifié d'autres paramètres, positivement sans doute, négativement parfois. Il convient de passer en revue ces différents points. Et tout d'abord, que ce serait-il passé dans les bureaux du banquier ou du « broker » spécialiste du « placement » (comment ça, « refourgage » ? ) de prêts aux John Doe de passage.
Point de vue des ménages ?
Quelle est la proportion de ménages ayant emprunté pour s’offrir une nouvelle maison au dessus de leurs moyens réels, et quelle est celle des ménages ayant emprunté pour consommer plus ? C'est assez difficile à dire, d'autant plus que certains ménages ayant emprunté d'abord pour payer leur maison ont « refinancé » leur prêt une fois celle ci partiellement payée, par « borrowing against equity », pour s'offrir, avec la hausse de valeur imputée à la maison, un peu de consommation supplémentaire.
Pourquoi les ménages ont-ils si massivement sauté dans le train du crédit facile ? Pas uniquement à cause des taux. Mais aussi parce que pour conclure le deal, les banquiers étaient prêts à accepter que la défaillance éventuelle de l'emprunteur se paie par une procédure de « foreclosure », c'est à dire saisie de la maison par la banque pour solde de tout compte. Cette clause contractuelle (et semble-t-il obligatoire dans certains états de l'union, je n'ai pas trouvé d'indication précise sur cette question) est inenvisageable dans la plupart des pays d'Europe, où la saisie du bien hypothéqué dont la revente ne couvrirait pas la totalité du capital restant dû n'effacerait pas le solde de la dette.
Par conséquent, les brokers, dont l'intérêt était de toucher une commission, à charge pour la banque émettrice et Fannie Mae ou Freddie Mac de gérer le risque de long terme, ont vendu aux personnes tièdes pour prendre de tels risques qu'avec de telles évolutions des prix de l'immobilier, il leur suffirait, en cas de difficulté, de laisser la clé au banquier, et de relouer dans un logement un peu plus petit.
Comme je l’ai déjà écrit, la bulle immobilière qui explose aux USA n’a touché qu’une dizaine d’états sur 50. Quand bien même les plus peuplés, à la notable exception du Texas (n°2), y figurent tous, cela laisse plus de 60% de la population dans des zones qui n’ont pas connu l’explosion immobilière qui fait la une de tous les journaux depuis fin 2008.
La raison de cette différence de comportement entre différents marchés soumis aux mêmes conditions délirante de la gestion du crédit aux USA, est bien connue des lecteurs réguliers de ce blog, et a été maintes fois pointée du doigt par moult économistes comme Ed Glaeser, Paul Krugman, Wendell Cox : dans les villes ou la réglementation du sol n’empêche pas de trouver facilement du terrain pour construire les maisons neuves que le marché demande, « une bulle immobilière ne peut même pas démarrer », selon les termes même de Krugman.
La plupart des analystes de la crise s’arrêtent aux questions financières sous jacentes, fussent ils remarquables dans ce domaine. Arnold Kling, Peter Schiff, Stan Leibovitz, et quelques autres, auront indiscutablement contribué à populariser les graves dysfonctionnements du système monétaire et du crédit engendrés par l’interventionnisme mal à propos du gouvernement fédéral dans ces domaines.
Mais tous ignorent le facteur immobilier, que seuls Glaeser, Thomas Sowell ou Wendell Cox ont largement étudié. La question se pose de savoir si les questions liées à la réglementation du sol ont joué un rôle majeur, secondaire ou mineur dans la crise.
Essayons d’imaginer ce qu’aurait été la crise si les USA avaient sur tout leur territoire eu un droit des sols du même type que ceux en vigueur à Dallas ou Houston, toutes les autres conditions (Gestion irresponsable de Fannie Mae et Freddie Mac, réglementation bancaire inadaptée, Alan Greenspan peu inspiré) étant restées identiques à ce qu’elles ont été.
Impact sur les prix
Malgré une demande de logement stratosphérique, les prix des logements à Houston, Dallas, Atlanta, Omaha, Kansas City, Austin, et quelques autres, n’ont augmenté "que" de 10% plus vite que l’inflation entre 1999 et 2006. Les trois premières agglomérations citées sont des mégalopoles de plus de 6 millions d’habitants, qui ont toutes vues leur population presque doubler en 25 ans, et dont le taux de croissance démographique a été bien plus rapide que celui de villes qui ont connu une forte bulle comme LA ou San Francisco. Il est donc impossible d’incriminer une moindre demande, une moindre attractivité ou un moindre dynamisme économique comme facteur décisif de non-formation de la bulle.
Ces cités ont été classées par la très réputée institution (de centre Gauche) Brookings comme disposant d’un droit du sol « réactif», c'est-à-dire fournissant en permanence un excès de foncier disponible à la construction aux développeurs. Au contraire, les villes bullaires disposent quasiment toutes soit d’un droit du sol "prescriptif", c'est-à-dire stipulant par défaut qu’un terrain est non constructible jusqu’à ce qu’il obtienne l’autorisation. Deux exceptions, Las Vegas et Phoenix, où le droit du sol est réactif sur le papier, mais où le sol développable autour des cœurs de ville sont essentiellement la propriété de l’état (local), lesquels ont pratiqué de la rétention foncière ("land banking") pour maximiser leurs revenus à partir de 2004, lors de ces dernières années de folie spéculative. Ces villes maintiennent donc artificiellement la disponibilité du sol en dessous de sa demande potentielle.
Dans les villes « non bullaires », l’augmentation moyenne des prix a été de 30% en 7 ans. Dans les villes « bullaires », la moyenne a été de 130%, avec des pointes à 180% en Californie.
Si toute l’Amérique avait disposé d’un droit du sol réactif, il est probable que le prix des marchés immobiliers serait resté autour de sa norme historique, autour de 2.5 à 3 fois le revenu médian des ménages, avec des pointes à 4-5 fois pour quelques emplacements « premium » particulièrement recherchés (Central Park, Laguna Beach…) forcément limités géographiquement, et sans impact statistique.
Impact qu’aurait eu la stabilité des prix sur les comportements des agents économiques : du point de vue du système financier
Il est important de comprendre que si 2/3 des maisons américaines étaient sous le coup d’un emprunt hypothécaire (soit environ 50 millions de ménages sur 75), ce n’est pas parce que les deux tiers des ménages ont changé de maison dans les 10 ou 20 dernières années, mais parce qu’une part non négligeable de ces ménages ont pratiqué pendant les années « bulle » le « borrow against equity ». Autrement dit, des ménages ayant totalement ou partiellement payé leur maison (parfois depuis très longtemps) ont ré-emprunté sur hypothèque à hauteur de la valeur estimée de la maison, pour financer qui une entreprise (ce qui est normal, l’emprunt hypothécaire sert avant tout à ça), qui de la consommation immédiate d’écrans plats et de SUV.
Les banques ont massivement adhéré à ces pratiques de refinancement fort risquées, d’une part parce que les réglementations et le système monétaire qui encadre le crédit les poussait au crime (je n’y reviens pas), mais aussi parce que la croyance était en train de s’établir selon laquelle les cours de l’immobilier ne pouvaient pas baisser parce que si cela devait arriver, la banque centrale agirait pour faire baisser les taux à tout prix, afin d’éviter tout dégonflement de la bulle en cours de formation (Greenspan lui-même avait déclaré dès 2004 que la FED agirait ainsi en cas de risque de baisse des cours). Personne ne semblait se préoccuper du fait que bizarrement, les prix immobiliers de la Middle America étaient stables. L’explication la plus courante de ce phénomène, pour ceux qui prenaient la peine de le remarquer, tenait simplement de « l’effet retard » : la bulle, le Texas y viendrait, comme tout le monde.
L’on connaît le résultat : des millions de prêts ont été accordés en fonction non pas de la capacité de remboursement réelle des emprunteurs, mais en fonction de la valeur supposée de revente d’un bien saisi en cas de faillite de l’emprunteur. Nous en esquisserons l’impact macro-économique général plus tard.
Bornons nous pour l’instant à noter que l’encours des prêts hypothécaires est passé de 5000 milliards à 12 000 milliards de dollars entre 1999 et 2007. 85% de l’augmentation de cet encours est localisée sur les zones « bullaires ».
Si ces zones avaient connu la même augmentation de prix qu’à Atlanta, l’encours de ces mêmes prêts, à supposer qu’ils aient été contractés, aurait été inférieur de 4 000 milliards de dollars (estimation de Wendell Cox corroborée par mes propres calculs). De surcroît, ce sont les 4000 milliards les plus risqués marginalement qui n'auraient pas été inscrits dans les bilans des banques et autres établissements.
Pour l'instant, ce sont un peu plus de 1000 milliards de dépréciations d'actifs qui ont été passées par les banques américaines. Les estimations des dépréciations restant à inscrire sont variables, mais Nouriel Roubini, l'un des rares à avoir prévu l'ampleur de la crise avant qu'elle n'arrive, estimait le total des dépréciations à enregistrer aux alentours de 2000 milliards.
Disons le tout de suite, l'immense majorité de ces dépréciations n'aurait pas eu à être inscrites au compte des banques, de Fannie Mae ou de Freddie Mac si le droit du sol avait empêché la formation de la bulle.
Toutefois, le changement de comportement des prix du marché aurait modifié d'autres paramètres, positivement sans doute, négativement parfois. Il convient de passer en revue ces différents points. Et tout d'abord, que ce serait-il passé dans les bureaux du banquier ou du « broker » spécialiste du « placement » (comment ça, « refourgage » ? ) de prêts aux John Doe de passage.
Point de vue des ménages ?
Quelle est la proportion de ménages ayant emprunté pour s’offrir une nouvelle maison au dessus de leurs moyens réels, et quelle est celle des ménages ayant emprunté pour consommer plus ? C'est assez difficile à dire, d'autant plus que certains ménages ayant emprunté d'abord pour payer leur maison ont « refinancé » leur prêt une fois celle ci partiellement payée, par « borrowing against equity », pour s'offrir, avec la hausse de valeur imputée à la maison, un peu de consommation supplémentaire.
Pourquoi les ménages ont-ils si massivement sauté dans le train du crédit facile ? Pas uniquement à cause des taux. Mais aussi parce que pour conclure le deal, les banquiers étaient prêts à accepter que la défaillance éventuelle de l'emprunteur se paie par une procédure de « foreclosure », c'est à dire saisie de la maison par la banque pour solde de tout compte. Cette clause contractuelle (et semble-t-il obligatoire dans certains états de l'union, je n'ai pas trouvé d'indication précise sur cette question) est inenvisageable dans la plupart des pays d'Europe, où la saisie du bien hypothéqué dont la revente ne couvrirait pas la totalité du capital restant dû n'effacerait pas le solde de la dette.
Par conséquent, les brokers, dont l'intérêt était de toucher une commission, à charge pour la banque émettrice et Fannie Mae ou Freddie Mac de gérer le risque de long terme, ont vendu aux personnes tièdes pour prendre de tels risques qu'avec de telles évolutions des prix de l'immobilier, il leur suffirait, en cas de difficulté, de laisser la clé au banquier, et de relouer dans un logement un peu plus petit.
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