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    Contre ceux qui assassinent les morts
    par Kamel Daoud
    F aut-il parler de l'affaire dite des moines de Tibhirine ? La France le veut, l'Algérie ne le veut pas. Et les Algériens ? Leur jugement insonore est tranché : cette époque n'existe pas et n'a jamais existé. C'est vrai qu'il y a eu des morts, des survivants, de la haine et de la tragédie, mais cela n'a même pas abouti à de la vérité. Nous sommes sortis d'une tragédie pour entrer dans l'enjambement. La raison ? La colère. Tous les Algériens presque pratiquent une sorte de grève par le souvenir pour que le Pouvoir n'utilise pas leur mémoire à des fins de fraude. Le système des soldes du Pouvoir a voulu en transformer la douleur en quitus politique, les Algériens y répondent par un refus de se souvenir publiquement. C'est comme si, après qu'on leur ait volé leur histoire nationale, ces mêmes Algériens refusent aujourd'hui qu'on leur vole la décennie 90. C'est pour cette raison que les ex-émirs du GIA, les repentis, les anciens généraux, les journalistes embeded, les partis gardes communaux, les associations de victimes et tous les acteurs de cette décennie et les Français post-pieds-noirs s'arrachent un fémur là où le reste de l'Algérie protège de la prédation un plus vaste cimetière. C'est pourquoi lorsque, aujourd'hui, un ex-Emir parle, un général français « révèle », un homme « d'Etat » dépose une gerbe de fleurs ou un Bouteflika se confectionne une réconciliation, le reste des Algériens ne se sentent pas concernés : il ne s'agit pas de la même décennie 90. La leur n'est pas monnayable, ne fait pas de politique, ne se troque pas et ne sert pas à régler des comptes ou faire des chantages. Elle est à peine exprimable et n'est entièrement comprise que par leurs morts ou leur déshérence.

    Et, lorsqu'une partie de la France veut faire du commerce avec des moines décapités, qu'un Ex-Emir du GIA répond à la place de l'Etat et que tout ce beau monde s'emballe en soufflant sur thèses, les Algériens restent propres, gardent leurs ossements, ferment leurs cimetières et jouent aux indifférents. Pour eux, cette décennie attend son heure de clôture, pour tous les morts et pas seulement pour les moines de Tibhirine. Et ce qui se passe aujourd'hui, entre quête de la vérité sélective en France et piètre silence des «locaux» ici, n'est que conciergeries malignes. La décennie 90 ne s'est pas accommodée d'une réconciliation en plastique, elle ne va s'intéresser à des vérités en valises diplomatiques !

    Le Quotidien d'Oran .
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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