la rubrique allemande des chiens écrasés

[aurassien]

La rubrique allemande des chiens écrasés

par K. Selim

Il a fallu une longue semaine pour que la presse et les journaux télévisés allemands daignent évoquer la mort tragique d'une jeune mère de famille égyptienne, assassinée en plein tribunal à cause de son adhésion visible à l'Islam. Marwa El Cherbiny, ravissante pharmacienne de trente-deux ans, avait en effet le «tort» de porter le foulard islamique : elle a été lardée de coups de couteau par un Allemand qui ne supportait pas qu'elle puisse exister.

Selon les standards de la presse occidentale, c'est une affaire exemplaire qui doit être traitée en boucle et susciter des commentaires et des prises de positions véhémentes. On imagine clairement l'effet qu'aurait une histoire similaire d'un Arabe tuant une Allemande dans un tribunal. L'histoire se serait corsée si le policier arabe de faction au tribunal avait, par réflexe conditionné, tiré sur le mari de la victime en le prenant pour le meurtrier. Il est aisé de deviner la grande émotion planétaire devant tant de barbarie s'accomplissant dans un lieu aussi solennel qu'un palais de justice. Et on imagine sans peine la révulsion des hommes politiques allemands et européens devant un silence des autorités du pays arabe concerné.

Tout cela est bien arrivé. Marwa El Cherbiny a été tuée de dix-huit coups de couteau, son mari a reçu une balle du policier qui, par définition, a dû penser qu'un Arabe est forcément coupable. Dans la presse allemande, l'affaire est passée, c'est le cas de le dire, dans la rubrique des chiens écrasés. Elle n'est devenue l'affaire Marwa El Cherbiny qu'après des manifestations organisées dans son pays natal.

Les médias allemands ont fini par aborder le sujet, sur le mode du «on a des ennuis avec les Arabes» et non sur la prise de conscience du caractère insupportablement raciste et islamophobe du crime. Certains de ces journaux allemands ont même tendance à faire accroire que les musulmans jouent aux victimes et chercheraient à culpabiliser l'Allemagne. L'islamophobie ne serait qu'un mythe inventé par les «islamo-gauchistes» ! Il n'y aurait pas d'affaire Marwa, il y a juste des manifestations anti-allemandes dans certains pays arabes.

On a de la peine à croire les explications embarrassées de certains officiels allemands expliquant qu'ils n'ont pas réagi car ils n'étaient pas certains de la «nature» de l'affaire. Il n'y avait pourtant rien à décoder dans une affaire aussi brutale qu'évidente. Le Conseil interculturel allemand, qui combat l'islamophobie depuis des années, les a avertis à temps et il n'a pas été entendu. A ce jour, la seule manifestation du genre a été une commémoration publique, bien tardive, organisée samedi dernier à Dresde en présence d'autorités locales.

Le silence médiatique allemand n'est pas un mystère. Une bonne partie de la presse dans ce monde-là est depuis des années sur le thème de la guerre des civilisations et de la cinquième colonne musulmane. Beaucoup de médias allemands, censés être instruits par l'histoire, restent à la pointe de la propagande néoconservatrice la plus vulgaire et la plus manichéenne. La stigmatisation de musulmans et la représentation négative des Arabes font partie de la ligne éditoriale générale depuis le 11 septembre 2001. En renvoyant le crime dans la rubrique des faits divers, cette presse allemande a fait fonctionner un mécanisme d'autoprotection : celui de refuser de voir dans ce crime le fruit d'une islamophobie décomplexée.
le Quotien d'oran