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Les sources de la culture algérienne

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  • Les sources de la culture algérienne

    Les sources de la culture algérienne

    Par : Yves Lacoste

    Si certaines nations de formation relativement récente, les Etats-Unis par exemple, ont originalisé leur culture nationale bien après l’apparition du fait national et la constitution de l’Etat national, d’autres nations jeunes, particulièrement nombreuses parmi les pays sous-développés, sont les héritières d’un riche et très vieux passé de culture. L’Algérie est de celles-là.
    Toutefois, si l’existence de cultures vietnamienne, malgache ou marocaine par exemple n’est pas mise en doute, il n’en est pas de même de la culture algérienne. En effet, les particularités de la colonisation de l’Algérie, l’étroitesse de sa subordination à la métropole, les politiques plus ou moins anciennes d’ «assimilation» ou d’«intégration» ont déterminé une attitude généralement négative à l’égard de la culture algérienne : l’Algérie avant la conquête française n’aurait eu aucune individualité positive et n’aurait constitué, malgré son islamisation quasi-totale et son arabisation très marquée, qu’une sorte de no man’s land culturel.
    Nombre d’auteurs ont insisté sur le prétendu immobilisme des Berbères, seulement capables, dit-on, d’imiter les exemples donnés par un maître étranger. On s’est même plu à définir en termes lapidaires le soi-disant dilemme de l’Afrique du Nord et tout spécialement de l’Algérie : « Civilisation et servitude, ou liberté et barbarie. » Des littérateurs, dont l’influence n’a pas été négligeable, ont pu affirmer, au mépris de la simple évidence historique, que tout ce qui était valable au Maghreb, n’était en fait que la partie de l’héritage romain et chrétien, qui avait échappé aux effets destructeurs des invasions des Arabes communément présentés sous des traits de nomades pillards et anarchiques, destructeurs des structures politiques et sociales de la Berbérie.
    Ainsi, le Berbère présenté comme immuablement primitif, sans « aucune individualité positive » (1), l’Arabe, « fataliste » ou « nomade envahisseur et pillard », et le ramassis des janissaires turcs et des pirates barbaresques, tous dominés par l’Islam (« religion du désert », du fatalisme et de la résignation) apparaissent-ils du moins, dans les termes où ils sont souvent présentés, comme des éléments fort peu susceptibles d’engendrer une culture suffisamment évoluée pour servir d’élément constitutif d’une nationalité. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces jugements de valeur, aussi simplistes qu’arbitraires, ne sont pas politiquement désintéressés. Ils procèdent de la prise en considération d’une fraction seulement des réalités historiques, qui isolée des autres aspects du passé de l’Afrique du Nord, est érigée, avec le plus grand arbitraire en donnée fondamentale et éternelle.
    Ainsi, les Berbères ne peuvent apparaître attachés à leurs antiques traditions que dans la mesure où l’on ne veut considérer que les populations (relativement peu nombreuses), maintenues dans un état économique et social peu avancé par l’isolement ou certaines circonstances historiques. Mais le fait berbère ne peut être réduit qu’à ses seules survivances. Les Berbères ont connu dans le passé des formes d’organisation politique et sociale bien supérieures. Ils ont été capables de créer de grands empires et d’atteindre à certaines époques un niveau de civilisation que l’Europe aurait pu alors leur envier. Toute considération sérieuse sur l’ensemble des réalisations des peuples berbères, qui représentent l’essentiel du peuplement nord-africain, se doit d’envisager non seulement celles des populations qui parlent encore essentiellement les dialectes berbères, mais aussi les réalisations des Berbères, très nombreux, qui ont adopté la langue arabe.
    Cette arabisation fut dans une grande mesure fonction de l’intégration des populations berbères à la vie urbaine, aux grands courants commerciaux et intellectuels, et aux activités politiques dirigeantes. Les populations berbères arabisées, loin de se borner à de serviles imitations à l’ombre de férules étrangères, se sont montrées capables, en particulier au Moyen Age, de développer dans l’indépendance une civilisation, certes d’expression arabe pour le principal, mais qui n’en pas moins propre au Maghreb. Fortement teintée d’influences berbères, elle joint à la grandeur et à la fécondité, une incontestable originalité. On a trop souvent limité l’apport des peuples d’Afrique du Nord à ce que les Berbères ont réalisé dans les contrées écartées ou pendant les périodes d’isolement et de difficultés. C’est également au travers de leurs réussites qu’ils convient de juger de la richesse de leur culture.
    L’opposition si souvent évoquée d’une race berbère et d’une race arabe d’envahisseurs n’est pas plus justifiée. Les groupes humains véritablement originaires d’Arabie ont été relativement peu nombreux. Pour l’essentiel, les « Arabes » d’Afrique du Nord sont des Berbères autochtones pour qui le développement des activités économiques et sociales ou les circonstances géographiques et politiques ont favorisé l’adoption de la langue arabe comme langue de civilisation et d’échanges internationaux.
    Un des facteurs les plus importants de la constitution d’une culture maghrébine originale est que la domination politique de l’Empire arabe sur le Maghreb fut de très courte durée. Le pouvoir des souverains de Damas puis de Bagdad, s’exerça pendant moins d’un siècle sur ce qui constitue aujourd’hui l’Algérie. L’arabisation de l’Afrique du Nord s’effectua progressivement dans le cadre d’un pays indépendant, dont les chefs et les groupes sociaux dirigeants furent des autochtones. Le Maghreb n’en appartint pas moins à la communauté musulmane, et son intégration fut d’autant plus grande que son indépendance politique n’était plus contestée. Sans avoir à supporter les méfaits d’une domination étrangère qu’il avait vigoureusement rejetée, le Maghreb développa, dans l’indépendance, ses relations économiques et culturelles avec l’Orient et entretint d’étroits contacts avec les musulmans d’Espagne.
    L’adoption progressive, et pour l’essentiel, spontanée de la religion musulmane par les peuples du Maghreb, leur libre intégration culturelle à la communauté musulmane est incompréhensible en l’absence de toute coercition politique, si l’on s’obstine à ne voir dans l’Islam que résignation et fatalisme, que négativité d’une religion et d’une organisation sociale soi-disant marquée par le désert. C’est bien le contraire d’une régression qui incita le Maghreb, une fois libre, à adhérer à la communauté musulmane : ce sont plutôt les aspects fortement positifs et progressistes que celle-ci présentait alors.
    Si l’Antiquité avait connu le « Miracle grec », la véritable grandeur du Moyen Age fut pour une très grande part un véritable « Miracle arabe », trop souvent dénigré ou passé sous silence. Il n’est pas faux ni injuste de constater que du VIIIe au XIIe siècles, tout ce qui fut pensé, tout ce qui fut écrit, tout ce qui fut créé de véritablement puissant et nouveau, fut pensé, écrit, créé dans le monde musulman.
    (à suivre)
    وإن هذه أمتكم أمة واحدة

  • #2
    Les sources de la culture algérienne (II)


    L’islam, jusqu’aux environs du XIe siècle, lors de l’essor de la civilisation musulmane, fut une religion, non pas fataliste, mais prônant le succès recherché, l’initiative tant au point de vue intellectuel que commercial. Des côtes de la Méditerranée, d’Arabie, des Indes jusqu’à celles de Chine et du Japon, de le mer Noire jusqu’aux confins de la grande forêt équatoriale africaine, se constitua une aire d’échanges de marchandises, d’hommes et d’idées. Le développement du monde musulman provoqua un véritable renouveau de l’économie universelle jusqu’alors empêtrée dans les séquelles de la décadence de l’Antiquité.
    Non seulement le commerce, mais l’industrie et l’agriculture connurent un grand développement. La métallurgie, la céramique, la chimie, le travail textile, la production du papier, l’irrigation sont des techniques qui doivent beaucoup aux Arabes, lesquels introduirent, par ailleurs, dans les contrées méditerranéennes, de nouvelles plantes : le riz, les oranges, la pêche, la canne à sucre, le coton, l’abricot, l’artichaut, l’épinard, etc. Dans les grandes cités se développa une classe de riches marchands qui jouèrent dans la vie sociale un rôle de premier plan. Cette bourgeoisie entreprenante, ouverte aux idées nouvelles, cette civilisation urbaine et marchande s’engagera du point de vue intellectuel dans la voie de la recherche pratique et scientifique, et celle de la pensée rationaliste. La civilisation d’expression arabe sauva de l’oubli et de la destruction l’héritage scientifique et philosophique de la Grèce ; les recherches et les traductions arabes permirent dans une grande mesure à l’Europe de connaître la Renaissance plusieurs siècles plus tard. Grâce aux Arabes, certains aspects des cultures chinoise, indienne et iranienne parvinrent sur les rives de la Méditerranée où ils exercèrent une influence considérable sur le développement ultérieur des connaissances tant en Orient qu’en Europe. La philosophie, la médecine, la chimie, les mathématiques, l’astronomie, les sciences naturelles firent des progrès considérables et certaines de ces sciences sont de véritables créations arabes. Les mots d’origine arabe, alambic, alcali, alchimie, alcool, algèbre, chiffre, élixir, zéro, zénith, mots fondamentaux dans le langage scientifique, attestent l’importance des Arabes en matière scientifique à cette époque.
    Le Maghreb dans ce monde musulman, ne fut pas une sorte de Far-West assez frustre, à l’importance culturelle secondaire, capable seulement d’imiter et d’adopter les différents éléments de la civilisation musulmane. Son éloignement, son indépendance politique, les caractéristiques culturelles des Berbères en firent une contrée marquée d’une solide individualité. Nombre de Maghrébins comptent parmi les plus grands noms dont peut s’enorgueillir la civilisation musulmane.
    La place tenue par l’Afrique du Nord dans l’ensemble du monde d’expression arabe fut, à divers égards, très importante. Ce fut ainsi un mouvement religieux et politique parti d’Afrique du Nord qui, au Xe siècle, permit la constitution d’un vaste empire moyen-oriental centré sur l’Egypte, où des armées berbères fondèrent l’actuelle ville du Caire. Plus importante encore est la place tenue par le Maghreb dans la vie économique non seulement de l’islam, mais aussi de l’Europe chrétienne. Du Ixe siècle jusqu’aux environs du XVe siècle le Maghreb contrôla la route de l’or soudanais, source principale du métal précieux pour tout le monde méditerranéen médiéval. Les Maghrébins, pour l’essentiel, organisèrent les caravanes qui allaient chercher l’or au sud du Sahara, en échange de produits fabriqués en Afrique du Nord ou importés d’Orient ou d’Europe. Ce trafic de l’or fit du Maghreb un des carrefours commerciaux fondamentaux du monde de cette époque. De grandes villes marchandes, de puissants Etats tirèrent leur activité, leur splendeur et leur force de cet afflux de métal précieux. C’est à cette époque, et particulièrement entre le Ixe et le XIVe siècles, que se constituèrent progressivement les éléments fondamentaux de la culture maghrébine.
    Cette culture n’est pas celle d’un peuple replié sur lui-même, n’assurant son originalité que dans l’isolement et dans la limitation de ses activités à des formes assez rudimentaires, ni celle d’une population abandonnée aux influences cosmopolites. La culture maghrébine procède du comportement historique d’un peuple libre, doté d’une puissante individualité et qui, de ce fait, a pu s’ouvrir à de multiples influences orientales, africaines, andalouses, sans pour autant s’y dissoudre.
    Cette culture a tiré une grande part de son originalité et de leur contact incessant : rudes paysans montagnards, citadins raffinés, villageois jardiniers et arboriculteurs, pasteurs semi-nomades, chameliers sahariens, habitants des palmeraies et des oasis. Ces populations loin de s’ignorer et de se confiner sur elles-mêmes, entretenaient les unes avec les autres des rapports constants, du fait des données géographiques et des nécessités historiques. Certes, les conflits existèrent aussi ; mais loin d’être la conséquence, comme on se complaît à le répéter, de l’hostilité constante de groupes homogènes – les nomades contres les sédentaires – ces luttes procédaient d’une vie politique compliquée, fait inhérent à une situation semi-féodale. Autour de diverses capitales, dans le cadre d’alliances complexes et changeantes s’opposaient des armées de composition hétérogène associant de part et d’autre des contingents de sédentaires et les escadrons de pasteurs chameliers ou cavaliers. Cette participation des divers groupes humains à la vie politique (ce fait apparaît comme assez typique du Maghreb), le morcellement politique d’allure féodale du pays (qui n’excluait pas son unification à plusieurs reprises au sein d’empires puissants) ont favorisé l’apparition d’une culture relativement homogène empruntant ses caractères tant aux villes qu’aux campagnes, tant aux steppes qu’aux montagnes, tant aux oasis du Sud qu’aux villes côtières, tant aux berbérophones qu’aux populations arabisées. De plus, ces divers éléments de la population nord-africaine entretenaient des rapports économiques constants dans un pays où l’activité des grandes voies du commerce international renforçaient les échanges locaux ou régionaux autour des grandes foires et des « souks ». Enfin, l’islam établissait un lien entre tous ces groupes, pas seulement sur la base d’une communauté de religion mais aussi d’une instruction, d’une organisation juridique et sociale communes. Ainsi se constitua au sein du monde musulman une culture maghrébine qui associa harmonieusement au raffinement citadin des influences andalouses et orientales la rude solidité des montagnards, le goût d’aventure des marchands caravaniers et les chevauchées des pasteurs des steppes.
    Dès le Moyen age, l’individualité de l’Afrique du Nord se concrétise au point de vue religieux par son adhésion au rite le plus stricte de l’islam, le malékisme, et au point de vue linguistique, par la persistance des parlers berbères et l’apparition d’un arabe dialectal maghrébin, langue populaire sensiblement différente de l’arabe classique. Le Maghrébin, même installé en Orient, restait très souvent fidèle au burnous de laine sombre et à d’autres pièces vestimentaires qui attestaient de ses origines nord-africaines et d’une certaine fierté à en témoigner. Certes, bien souvent, des raffinés orientaux, imbus de leur antériorité historique tant dans le domaine religieux qu’intellectuel, ne songeaient pas à masquer leur condescendance à l’égard de la culture de ce « lointain Maghreb », qu’ils jugeaient frustre et assez barbare. Ce jugement de valeur s’explique en partie par cette participation de tous les éléments de la population nord-africaine à la vie politique des Etats et à l’activité des cités, et en particulier par le rôle des populations rurales à la vie politique et citadine souvent dominée par des maîtres étrangers au pays. Si nombre de Maghrébins entretenaient un certain complexe d’infériorité à l’égard des Orientaux, au point de s’inventer souvent une ascendance orientale, la fierté d’être Maghrébin, et d’origine berbère n’était pas pourtant un sentiment inconnu.
    Un des plus grands penseurs de l’islam, le grand historien Ibn Khaldoun, qui n’était cependant pas d’origine berbère, a consacré des pages admirables aux Berbères. Dans plusieurs passages, il énumère et magnifie les grands hommes qui ont fait la gloire du Maghreb. Sous le terme de Berbère, il ne désigne pas seulement les hommes de langue berbère, mais aussi ceux qui ont adopté la langue arabe, c’est-à-dire l’ensemble des Maghrébins. Ibn Khaldoun, dans son Histoire universelle, a relaté le passé de nombreux peuples ; mais seuls les Berbères eurent droit à un tel panégyrique : « En traitant de la race berbère, des nombreuses populations dont elle se compose…nous avons fait mention des victoires qu’elle remporta sur les princes de la terre et de ses luttes avec les divers empires pendant des siècles… Nous croyons avoir cité une série de faits qui prouvent que les Berbères ont toujours été un peuple puissant, redoutable, brave et nombreux, un vrai peuple comme tant d’autres dans ce monde tels que les Arabes, les Persans, les Grecs et les Romains… Citons les vertus qui font honneur à l’homme et qui étaient devenues pour les Berbères une seconde nature : leur empressement à s’acquérir des qualités louables, la noblesse d’âme qui les porta au premier rang parmi les nations ; les actions par lesquelles ils méritèrent les louanges de l’univers : bravoure et promptitude à défendre leurs hôtes et leurs clients, fidélité aux promesses, aux engagements et aux traités, patience dans l’adversité, fermeté dans les grandes afflictions, douceur de caractère, indulgence pour les défauts d’autrui, éloignement pour la vengeance, bonté pour les malheureux, respect pour les vieillards et les hommes dévôts, empressement à soulager les infortunés, industrie, hospitalité, charité, magnanimité, haine de l’oppression, valeur déployée contre les empires qui les menaçaient, victoires remportées sur les princes de la terre, dévouement à la cause de Dieu et de sa religion, voilà pour les Berbères une foule de titres à une haute illustration, titres hérités de leurs pères et dont l’exposition mise par écrit aurait pu servir d’exemple aux nations à venir… »



    (Histoire des Berbères, trad. de Slane, tome I, p. 200.)


    Yves Lacoste

    (Remerciements à Brahim Younessi pour avoir mis ce texte en ligne.
    Source : Le quotidien d'Algérie)
    Dernière modification par okba30, 14 juillet 2009, 19h59.
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