Sur les billets de banque, son effigie s'impose peu à peu. Le visage du roi Mohammed VI remplace celui de son père, Hassan II. Mais sur certaines coupures, les deux portraits cohabitent encore avec parfois, en arrière-plan, celle du grand-père, Mohammed V.
Dans les bâtiments publics, les hôtels ou les boutiques des commerçants, l'évolution est identique. Les portraits officiels de Mohammed VI, monté sur le trône il y a tout juste dix ans, grignotent au fil du temps ceux de son père. La transition d'une génération royale à l'autre est lente. Presque imperceptible.
On pourrait en dire autant de l'empreinte du nouveau monarque sur le Maroc. Depuis le début du règne de Mohammed VI - "M6" comme on le surnomme -, le royaume n'a pas connu de rupture. Des inflexions, des changements de rythme sur certains dossiers, parfois des ouvertures, quelques régressions aussi, mais pas de remise en cause fondamentale ni de changement de cap majeur. Le fils aîné s'est coulé dans ce que furent les dernières années de règne d'Hassan II, les plus libérales.
Ceux qui, au début du règne, rêvaient d'une évolution "à l'espagnole" de la monarchie marocaine en ont été pour leurs frais. Aujourd'hui comme hier, le roi concentre entre ses mains la totalité du pouvoir, y compris religieux. "commandeur des croyants", Mohammed VI n'est-il pas le descendant du prophète Mahomet, selon la généalogie officielle ?
De cette toute-puissance reçue en héritage, Mohammed VI use de façon déconcertante. Presque chaque jour l'essentiel du journal télévisé est consacré au monarque inaugurant un tronçon de route, une piscine, un hôpital, ou participant à une causerie religieuse. Si cet rôle-là, visible, est célébré jusqu'à plus soif, qu'en est-il de celui du souverain qui, à bientôt 47 ans, règne sur plus de 30 millions de sujets ?
Mohammed VI ne semble guère goûter le métier de chef de l'Etat. Les conseils des ministres, que la Constitution lui impose de présider, sont très rares : cinq en tout et pour tout en 2008 ; deux depuis le début de l'année - ce qui contribue à gripper la machine étatique.
A l'inverse de son père, il fuit la presse. Il n'a jamais rencontré de journalistes marocains et les très rares interviews accordées à la presse étrangère (cinq au total, dont la plus récente remonte à janvier 2005) sont convenues et laissent dans l'ombre les questions politiques. Rencontrer les responsables politiques lui pèse. C'est d'ailleurs ce que confirme en creux la réponse du premier ministre, Abbas El Fassi, interrogé par l'hebdomadaire Jeune Afrique sur sa relation avec le roi : "Il arrive qu'il me reçoive..."
Le roi est tout aussi discret sur la scène internationale. S'il effectue des visites officielles à l'étranger, Mohammed VI reçoit avec parcimonie ses pairs et ne participe qu'exceptionnellement aux "grandes messes" internationales où il n'est pas à son aise.
La tâche est sous-traitée à son frère cadet, Moulay Rachid, qu'il s'agisse de représenter le Maroc à la création de l'Union pour la Méditerranée ou, plus récemment, aux obsèques du président Omar Bongo, au Gabon. Parfois, ses soeurs sont mises à contribution, ou son épouse.
Ce désintérêt pour la diplomatie internationale, qui contraste avec l'activisme de feu son père, dessert les intérêts marocains sur ce qui demeure le dossier numéro un de la diplomatie du royaume : l'avenir du Sahara occidental, cette immense zone désertique au sud du royaume que se disputent depuis des décennies Rabat et le Front Polisario (soutenu par l'Algérie).
"Au début de son règne, au titre du droit d'inventaire, Mohammed VI aurait pu, sans grand risque pour la monarchie, accepter un référendum d'autodétermination", assure un ancien prisonnier politique, Fouad Abdelmoumni. Aujourd'hui, le dossier du Sahara occidental est enlisé.
Afficher sa proximité avec un monarque de droit divin inaccessible au commun des mortels, c'est détenir un pouvoir qui fait trembler jusqu'au sommet de l'Etat, y compris les ministres. Une anecdote racontée par un représentant de la société civile, bien en cour au palais royal, l'illustre.
Il y a quelques années, le ministère de la justice, cédant à la pression des courants les plus conservateurs de la société, avait sévi contre des adolescents coupables de trop aimer le hard-rock. Accusés de "pratiques sataniques" à cause de leurs accoutrements lors de concerts dans un café de Casablanca, certains musiciens, issus de la bonne bourgeoisie, avaient même été incarcérés. La presse privée s'en était émue.
Face au ministre de la justice qui le recevait, notre homme n'y alla pas par quatre chemins : "Le roi te fait savoir que cette affaire lui déplaît. Il souhaite la libération des jeunes et qu'on n'en parle plus." L'invitation était un ordre. Il fut exécuté dans l'heure. Bien entendu, jamais le messager n'avait été chargé de la mission par Mohammed VI. Il agissait de sa propre initiative. Mais sa place à la cour imposait qu'on obéisse au bon plaisir du roi.
Ces mêmes ressorts expliquent la place prise dans la vie du royaume par un groupe de "quadras" qui gravitent dans le premier cercle du souverain. De la même génération que Mohammed VI (certains l'ont accompagné sur les bancs du collège royal), ils sont aux commandes du royaume, qu'ils tiennent avec fermeté depuis les attentats islamistes de mai 2003.
Ne leur échappe que la défense - l'armée et la gendarmerie - restée entre les mains de généraux septuagénaires choisis naguère par Hassan II. "Ils sont trop âgés et trop riches pour inquiéter la monarchie", note un diplomate occidental sous le couvert de l'anonymat. Mais la "génération M6" contrôle les services de sécurité, a la haute main sur les grands dossiers économiques et pèse sur la vie politique. "La monarchie des potes", titrait il y a peu l'hebdomadaire Le Journal.
Au sein de l'équipe, Fouad Ali El-Himma est le "M. Politique". A peine quitté le gouvernement en 2007, où il faisait déjà figure de "grand vizir", il s'est lancé dans une opération de haute voltige qui lui a permis de faire main basse sur des formations politiques proches du palais royal, mais qui vivotaient, pour les fondre au sein d'un nouveau parti, le Parti authenticité et modernité (PAM).
Jean-Pierre Tuquoi
lemonde
Dans les bâtiments publics, les hôtels ou les boutiques des commerçants, l'évolution est identique. Les portraits officiels de Mohammed VI, monté sur le trône il y a tout juste dix ans, grignotent au fil du temps ceux de son père. La transition d'une génération royale à l'autre est lente. Presque imperceptible.
On pourrait en dire autant de l'empreinte du nouveau monarque sur le Maroc. Depuis le début du règne de Mohammed VI - "M6" comme on le surnomme -, le royaume n'a pas connu de rupture. Des inflexions, des changements de rythme sur certains dossiers, parfois des ouvertures, quelques régressions aussi, mais pas de remise en cause fondamentale ni de changement de cap majeur. Le fils aîné s'est coulé dans ce que furent les dernières années de règne d'Hassan II, les plus libérales.
Ceux qui, au début du règne, rêvaient d'une évolution "à l'espagnole" de la monarchie marocaine en ont été pour leurs frais. Aujourd'hui comme hier, le roi concentre entre ses mains la totalité du pouvoir, y compris religieux. "commandeur des croyants", Mohammed VI n'est-il pas le descendant du prophète Mahomet, selon la généalogie officielle ?
De cette toute-puissance reçue en héritage, Mohammed VI use de façon déconcertante. Presque chaque jour l'essentiel du journal télévisé est consacré au monarque inaugurant un tronçon de route, une piscine, un hôpital, ou participant à une causerie religieuse. Si cet rôle-là, visible, est célébré jusqu'à plus soif, qu'en est-il de celui du souverain qui, à bientôt 47 ans, règne sur plus de 30 millions de sujets ?
Mohammed VI ne semble guère goûter le métier de chef de l'Etat. Les conseils des ministres, que la Constitution lui impose de présider, sont très rares : cinq en tout et pour tout en 2008 ; deux depuis le début de l'année - ce qui contribue à gripper la machine étatique.
A l'inverse de son père, il fuit la presse. Il n'a jamais rencontré de journalistes marocains et les très rares interviews accordées à la presse étrangère (cinq au total, dont la plus récente remonte à janvier 2005) sont convenues et laissent dans l'ombre les questions politiques. Rencontrer les responsables politiques lui pèse. C'est d'ailleurs ce que confirme en creux la réponse du premier ministre, Abbas El Fassi, interrogé par l'hebdomadaire Jeune Afrique sur sa relation avec le roi : "Il arrive qu'il me reçoive..."
Le roi est tout aussi discret sur la scène internationale. S'il effectue des visites officielles à l'étranger, Mohammed VI reçoit avec parcimonie ses pairs et ne participe qu'exceptionnellement aux "grandes messes" internationales où il n'est pas à son aise.
La tâche est sous-traitée à son frère cadet, Moulay Rachid, qu'il s'agisse de représenter le Maroc à la création de l'Union pour la Méditerranée ou, plus récemment, aux obsèques du président Omar Bongo, au Gabon. Parfois, ses soeurs sont mises à contribution, ou son épouse.
Ce désintérêt pour la diplomatie internationale, qui contraste avec l'activisme de feu son père, dessert les intérêts marocains sur ce qui demeure le dossier numéro un de la diplomatie du royaume : l'avenir du Sahara occidental, cette immense zone désertique au sud du royaume que se disputent depuis des décennies Rabat et le Front Polisario (soutenu par l'Algérie).
"Au début de son règne, au titre du droit d'inventaire, Mohammed VI aurait pu, sans grand risque pour la monarchie, accepter un référendum d'autodétermination", assure un ancien prisonnier politique, Fouad Abdelmoumni. Aujourd'hui, le dossier du Sahara occidental est enlisé.
Afficher sa proximité avec un monarque de droit divin inaccessible au commun des mortels, c'est détenir un pouvoir qui fait trembler jusqu'au sommet de l'Etat, y compris les ministres. Une anecdote racontée par un représentant de la société civile, bien en cour au palais royal, l'illustre.
Il y a quelques années, le ministère de la justice, cédant à la pression des courants les plus conservateurs de la société, avait sévi contre des adolescents coupables de trop aimer le hard-rock. Accusés de "pratiques sataniques" à cause de leurs accoutrements lors de concerts dans un café de Casablanca, certains musiciens, issus de la bonne bourgeoisie, avaient même été incarcérés. La presse privée s'en était émue.
Face au ministre de la justice qui le recevait, notre homme n'y alla pas par quatre chemins : "Le roi te fait savoir que cette affaire lui déplaît. Il souhaite la libération des jeunes et qu'on n'en parle plus." L'invitation était un ordre. Il fut exécuté dans l'heure. Bien entendu, jamais le messager n'avait été chargé de la mission par Mohammed VI. Il agissait de sa propre initiative. Mais sa place à la cour imposait qu'on obéisse au bon plaisir du roi.
Ces mêmes ressorts expliquent la place prise dans la vie du royaume par un groupe de "quadras" qui gravitent dans le premier cercle du souverain. De la même génération que Mohammed VI (certains l'ont accompagné sur les bancs du collège royal), ils sont aux commandes du royaume, qu'ils tiennent avec fermeté depuis les attentats islamistes de mai 2003.
Ne leur échappe que la défense - l'armée et la gendarmerie - restée entre les mains de généraux septuagénaires choisis naguère par Hassan II. "Ils sont trop âgés et trop riches pour inquiéter la monarchie", note un diplomate occidental sous le couvert de l'anonymat. Mais la "génération M6" contrôle les services de sécurité, a la haute main sur les grands dossiers économiques et pèse sur la vie politique. "La monarchie des potes", titrait il y a peu l'hebdomadaire Le Journal.
Au sein de l'équipe, Fouad Ali El-Himma est le "M. Politique". A peine quitté le gouvernement en 2007, où il faisait déjà figure de "grand vizir", il s'est lancé dans une opération de haute voltige qui lui a permis de faire main basse sur des formations politiques proches du palais royal, mais qui vivotaient, pour les fondre au sein d'un nouveau parti, le Parti authenticité et modernité (PAM).
Jean-Pierre Tuquoi
lemonde
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