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Faut-il une autre décolonisation pour parler d’un autre théâtre, en Afrique ?

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  • Faut-il une autre décolonisation pour parler d’un autre théâtre, en Afrique ?

    Peut-on réellement parler aujourd’hui d’un « mouvement théâtral » africain ?

    Ahmed Cheniki, spécialiste du théâtre au Maghreb : La question est très délicate, elle interpelle essentiellement les espaces ontologiques et épistémologiques et met en avant une dimension fortement célébrée par Fanon, Kenyatta, Nkrumah et Hampaté Bâ, même si la réalité têtue des faits a mis en pièces certains pans du discours sur l’africanité et une Afrique supranationale, trop marquée par l’obsédante présence de mythes passéistes et une plongée anachronique dans le passé lointain. Comme si l’Afrique pouvait survivre à des résidus d’Histoire. Le défilé d’Alger 2009 a été essentiellement caractérisé par cette propension à un regard exotique, folklorique et peu opératoire, donnant à voir une Afrique passéiste, folklorique et anhistorique. C’est à partir de l’interrogation de la définition de l’Afrique, sa délimitation, son évolution qu’on pourrait parler de l’existence ou non de « mouvement théâtral africain ». Certes, la colonisation a été le point commun de toutes ces contrées. D’ailleurs, l’altérité fut découverte à la suite du contact tragique avec la colonisation. Le théâtre comme les autres formes de représentation dites modernes sont des espaces importés, contribuant ainsi à la marginalisation des formes autochtones, aujourd’hui à l’état résiduel. Ce qui rend toute réponse à votre question extrêmement difficile. Nous sommes aujourd’hui, en présence de pièces construites comme des configurations syncrétiques paradoxales associant la forme autochtone et la structure théâtrale, mais il est évident que le primat de l’appareil européen est primordial. Ceci est valable pour toutes les autres formes de représentation artistiques, culturelles, politiques et économiques

    A l’instar du champ littéraire, la plupart des pièces du théâtre africain restent obsédés par l’actualité politique ?


    Ahmed Cheniki : L’actualité politique est un thème qui revient souvent dans la littérature et le théâtre africains, au Maghreb et en Afrique noire. Mais il faut signaler que les premiers textes romanesques et dramatiques traitaient essentiellement de sujets sociaux, occultant parfois gravement les problèmes politiques. D’où la violente réaction de Fanon dans « Les damnés de la terre » et même dans « Peau noire, masques blancs », paru en 1952. Avant les « indépendances », il y avait très peu de textes abordant des sujets politiques. Mongo Béti et Sembene Ousmane, pour le roman et surtout Keita Fodeba, pour le théâtre vont dénoncer avec violence le colonialisme et ses soutiens locaux. Mais la poésie est le lieu où le thème de la révolte politique a été le plus traité. Mais par la suite, après les « indépendances », de nouveaux auteurs de théâtre comme Ndébéka, Kum’a Ndumbé ou Sony Labou Tansi, déçus, désabusés, s’insurgent contre le triste présent de leurs peuples, le parti unique et la dénonciation du chef. Aujourd’hui, d’autres auteurs arrivent à s’imposer en traitant des thèmes politiques, comme Ngandu Nkashama. Le thème du désenchantement traverse de très nombreuses africaines. Mais il faut savoir que d’autres thèmes sont traités par les auteurs : l’histoire, la société et les problèmes philosophiques. Mais le problème de la frontière des réseaux thématiques et des genres ne permet pas de faire une catégorisation rigoureuse. C’est la même chose pour le roman : où classe t-on les deux romans-phares parus en 1968 qui ont sérieusement orienté le roman « africain », Les soleils des indépendances de Kourouma et Le devoir de violence de Ouologuem ? Il faut signaler que la plupart des textes traitant de thèmes politiques et du désenchantement ont paru en France, en Belgique, en Grande Bretagne, en Irlande ou au Portugal, chez l’ancien colonisateur.

    Beaucoup d’auteurs se sentent interpellés par le quotidien de leurs peuples. Mais leur engagement est parsemé de risques. On ne peut être reconnu dans son pays que si on est édité à Paris ou à Bruxelles. C'est un passage obligé. Une fois consacré, le dramaturge peut rentrer sans trop de risque. Mais parfois, la réputation et la consécration internationale ne semblent pas décourager les pressions et la persécution. C'est le cas de l'écrivain nigérian Wole Soyinka qui fut condamné à mort par le pouvoir en place. Un écrivain connu, Ken Saro-Wiwa fut exécuté après une parodie de procès par le président Abacha, mort dans les bras d’une prostituée en 1998.

    -il est aussi un théâtre influencé par la culture orale. Un commentaire ?

    Ahmed Cheniki Il n’y a pas si longtemps, j’ai présidé un jury de doctorat dans une université française, l’étudiant qui a travaillé sur cette question a démontré que la présence de l’oralité a été imposée par la manière d’enseigner à l’école William Ponty. Il se trouve que j’en ai parlé dans mon ouvrage sur le théâtre africain, paru en 2006, recherche effectuée grave au soutien du centre national du livre français. A l’école William Ponty d’où sont sortis Bernard Dadié, Amon d’Aby et Gadeau, on demandait aux étudiants de partir de leurs traditions pour construire leurs pièces. C’est le cas de Cordereau en Algérie. Certes, le théâtre comme les autres formes artistiques et littéraires sont travaillés par l’oralité, mais la structure théâtrale domine le fonctionnement de la représentation. Vous savez, même les chantres de la négritude, Senghor, Damas et Césaire, restent marqués par les jeux ludiques et poétiques de Rimbaud, Perse, les surréalistes…Il se trouve qu’aujourd’hui, tous les espaces sociaux sont dominés par la texture européenne. L’oralité reste un lieu en déshérence. Soyons sérieux. C’est ce que n’ont pas bien compris les organisateurs du FESPAC 2009 qui s’accrochent à une définition anhistorique, essentialiste et à un regard folklorique et exotique. Une lecture de Ngugy, de Soyinka ou de Sony Labou Tansi ou Nokan nous permettrait de comprendre la place réelle de la culture autochtone, peu importante, dans les textes. Nous sommes quelques chercheurs africains à dénoncer depuis quelques années cette propension à verser dans le passéisme et dans une quête effrénée vers le passé. Fanon, Memmi et Edward Said vont dans cette direction. Il faut savoir que cette convocation, ces dernières décennies de la « tradition » orale en Afrique et dans le monde arabe nous vient tout simplement de l’Europe, Artaud, Brook et Mnouchkine. J’ai eu des débats chauds avec Berrechid, Assaf, Wannous et Alloula autour de cette question. Ces expériences ont-elles réussi ? Déjà, les premiers initiateurs se sont rendu compte de l’inaboutissement de leurs quêtes : Ariane Mnouchkine fait désormais autre chose, Brook semble abandonner la partie. En Afrique noire, le Malien Habib Dembele, le Guinéen Siba Fasou et le Centrafricain Perkys Mbainoudjim font cohabiter formes populaires, danses et images plastiques. Certes, de nombreuses pièces font volontairement appel aux formes populaires : kotéba, griot, mvet, Shango…

    Comment voyez-vous la réception du théâtre africain en Afrique, d’abord, puis à l’Occident ?


    Ahmed Cheniki Il se trouve que de très nombreuses pièces ont été écrites, publiées et jouées à l’étranger. Pour les troupes et les auteurs locaux, la chose se passe autrement. Il faut savoir que les auteurs et les troupes sont souvent aidés par des structures de pays européens comme le festival de la francophonie de Limoges. La présence d’un millier de langues africaines rend la communication très difficile. D’où l’usage de l’anglais ou du français. Wole Soyinka et Chinua Achebe par exemple ont toujours posé ce problème de la réception.… L'absence de liberté d'expression et de démocratie dans les pays africains pousse les auteurs à s'exiler en Europe, ce qui pose un sérieux problème de communication avec le public auquel ils sont censés s'adresser. Les textes les plus contestataires sont édités à l'étranger (en France essentiellement). Les dramaturges vivant à l'extérieur du pays dénoncent les bourgeoisies arrivistes et mettent en scène des problèmes sociopolitiques. L'Ivoirien Charles Nokan, par exemple, dans Les malheurs de Tchakô et La traversée de la nuit dense tente de démonter les mécanismes du fonctionnement des structures sociales et politiques. D'ailleurs, la plupart des textes sont édités à l'étranger alors que les films sont souvent produits par des Européens.

  • #2

    A-t-il pu répondre à l’horizon d’attente du public ?


    Ahmed Cheniki En Afrique noire, comme d'ailleurs dans d'autres pays anciennement colonisés, la question linguistique traverse tous les débats et sous-tend même la notion de spectacle et des choix esthétiques. Ecrire des pièces implique la rencontre avec un public qui, souvent, ne maîtrise pas la langue française utilisée par la plupart des hommes de théâtre qui, dans de nombreux cas, préfèrent l'exil dans les pays européens à une vie morose, sans éclat dans leurs pays marqués par une absence manifeste de la liberté d'expression et des pratiques démocratiques. Il faut ajouter à tout cela l'existence de plus d'un millier de langues parlées mais souvent ne disposant pas de tradition textuelle et d'écriture. Les choix linguistiques déterminent fondamentalement les publics- cibles. Ainsi, écrire en français, c'est convoquer une élite, un public ayant fréquenté l'école française et exclure le public populaire auquel on veut, en principe, s'adresser. Les intentions des auteurs qui veulent mettre en place un théâtre populaire sont vite contredites par la réalité. Le peuple ne fréquente pas le théâtre. Il préfère de loin les formes populaires. Ainsi, le griot, le mvet ou le kotéba, espaces populaires, aujourd’hui résiduels, utilisant les lieux linguistiques et esthétiques de la cité, séduisent encore, même si leur diffusion rétrécit dramatiquement, et réussissent à drainer un certain nombre de personnes, d'autant plus que le lieu où se déroulent les spectacles est ouvert, non clos. Ce qui facilite la communication et renforce l'idée de la proximité qui convoque un spectateur actif qui n'hésite pas à participer à l'action.

    Le problème linguistique demeure encore posé. Des tentatives d'écriture en langues locales n'ont pas connu le succès attendu. Le théâtre reste encore une discipline récente, étrange et étrangère, réservée surtout à une élite occidentalisée qui épouse les valeurs européennes. Ecrire en ouolof ou en bambara implique la présence de réseaux de distribution fiables, encore indisponibles en Afrique.

    Peut-on toucher une vocation « africaine » dans le théâtre algérien ?

    Ahmed Cheniki Il faudrait d’abord définir ce qu’on entend par Afrique. Ce qui n’est pas une mince affaire. Nous sommes un pays africain et le théâtre est avant tout un art européen que nous avons adopté il n’y a pas très longtemps. D’ailleurs au même titre que les formes politiques, architecturales, économiques. Comme l’idée de nation qui pose toujours problème dans les espaces des pays anciennement colonisés ou au Machreq après ce qu’on a appelé la « Nahda » qui est beaucoup plus une francisation des élites et des structures formelles. Mais comme les autres pays colonisés, nous avons connu la même évolution, les mêmes tendances théâtrales. Fanon a bien expliqué le phénomène.

    Quels sont les vrais défis qui s’opposent au développement du théâtre africain ?

    Ahmed Cheniki Pour parler du théâtre africain, il faut tout d’abord qu’il y ait l’Afrique, en dehors des structures formelles comme l’Union Africaine. Tout se décide et se fait depuis longtemps à Paris, à Londres, à Bruxelles, ou à Lisbonne. Faut-il une autre décolonisation pour parler d’un autre théâtre ?

    Par El Khabar

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