François Hauter, à New York
( Voyage dans l'Amérique d'Obama_6° )
Impossible d'aller à la rencontre de l'Amérique d'Obama sans évoquer Madoff. Avec d'autres moyens, ce roi de l'escroquerie financière s'inscrit dans la grande lignée des hors-la-loi américains. Madoff, c'est New York. Près d'un siècle plus tôt, à Chicago, l'ennemi public s'appelait Al Capone.
Les gens les plus méchants, les plus cruels se disent toujours que, au fond de leur coeur, ils sont bons. Al Capone et Bernie Madoff, deux grands gangsters américains, se voulaient des êtres exemplaires, des modèles d'intégration sociale, des fils respectueux et des maris attentionnés. Des patriotes, des croyants, des hommes normaux, déterminés, pleins d'ardeur, travailleurs, imaginatifs. Dans leurs villes respectives, Chicago et New York, ils étaient respectés et admirés. À quatre-vingts ans de distance, bien des choses rapprochent ces deux hommes. Certes,Madoff est moins archaïque que Capone. En 2009, les gangsters paient leurs impôts. Ils ne mitraillent plus leurs concurrents. Mais, au fond des choses, les principes de leurs escroqueries sont les mêmes. Ils répondent aux lois de l'offre et de la demande.
À New York, c'est le comportement des Américains vis-à-vis de l'argent qui m'intéresse. Après tout, je suis dans la ville qui a précipité le monde dans la crise économique. Madoff en est le symbole. Après lui, personne ne fera plus jamais aveuglément confiance à son banquier.
Bernie et Al ont un même profil. Ce qui les rapproche d'abord, c'est leur férocité. Dans leurs tanières l'hôtel Metropole à Chicago pour Capone ; le 17e étage du Lipstick Building, au 885 de la 3e Avenue à New York pour Madoff , ils préparent leurs crimes en toute discrétion, avant de faire les paons en public. En novembre 1924 à Chicago, le gangster O'Banion est abattu par les hommes de main de Capone. Celui-ci organise des funérailles grandioses pour son ennemi, comme aucun président des États-Unis n'en a jamais eues : cercueil en argent massif, 50 000 dollars de fleurs, 40 000 citoyens mobilisés. «Sur le bloc de marbre où repose le cercueil, on peut lire,en lettres d'or : "Laissez venir à moi les petits enfants"», rapporte The Chicago Tribune, le journal local.
Capitale du désastre, New York fait profil bas
Madoff, qui semble tout droit sorti de Casino, le film de Scorsese,n'est pas en reste. Il ne tue pas directement les gens, mais il ruine méthodiquement les existences de ceux qui lui ont fait une entière confiance. «Mes affaires reposent sur ma réputation», dit-il. Il n'a pas la moindre pitié pour ses «amis» les plus intimes, les organisations caritatives ou les veuves modestes qui lui ont confié des fonds. Il vole et trompe dans le monde entier. Il berne jusqu'à ses proches.Dans un récit fascinant publié par Vanity Fair en juin dernier, Eleanor Squillari, qui fut pendant vingt ans la secrétaire particulière du bandit, raconte sa désillusion : «Bernie nous a volé notre confiance. La plupart d'entre nous étaient des gens honnêtes, des travailleurs acharnés, en charge de familles. Nous pensions vivre un rêve américain, et nous sentions privilégiés de travailler pour un homme aussi merveilleux, brillant, généreux,qui avait fait tant de choses bonnes et charitables. Aujourd'hui, nous avons l'air de fous.» Eleanor n'est pas la seule. Des centaines de millions de personnes de par le monde ont perdu près de la moitié de leurs économies à cause de la cupidité démente des banquiers de Wall Street et des Européens qui les ont imités.
NewYork, capitale de ce désastre, fait profil bas en ce moment. Elle flotte sur un océan d'obligations spéculatives pourries. Personne encore n'en mesure la profondeur. Felix Rohatyn, un expert, explique : «Je suis aujourd'hui incapable de déchiffrer un bilan de banque.» Les golden boys, les héros d'hier qui faisaient flamber l'immobilier de l'Upper East Side, sont toujours là, mais ils se terrent. Ils vous renvoient sur les «RP», les «relations publiques» de leurs banques, pour ne pas s'exprimer. Si l'on est introduit par un ami d'ami, ils posent leurs conditions. Les conversations devront se dérouler en catimini, dans les bars sombres de grands hôtels.
«La crise ? C'est la faute de la classe moyenne»
Les voilà donc, mes golden boys. Ils viennent en bande, pour se donner du courage. Ils «pèsent» chacun entre 100 et 300 millions de dollars. Ils sont jeunes, beaux, brillants et arrogants. «Non, remarquent-ils, notre milieu n'est pour rien dans la crise actuelle. Tout est de la faute de Bush. Il a coulé tout ce qu'il a touché. Faire élire BarackObama est la seule chose qu'il ait réussi à faire. Cet Obama d'ailleurs n'aime pas l'entreprise, il ne la connaît pas. Il s'est entouré uniquement d'universitaires. Pas de gens d'affaires. Il est un homme dangereux, car avec ses mesures sociales, il va freiner la compétitivité des États-Unis. Nous, c'est bien simple, si l'on nous empêche de travailler comme on le faisait avant cette crise, nos fortunes, nous les déplacerons ailleurs. Aux Bahamas. La crise ? C'est la faute de la classe moyenne, qui a vécu au dessus de ses moyens.» La faute de la classe moyenne ! Je suis choqué, j'annule cavalièrement le dîner qui devait suivre avec ces garçons. Je juge leur discours obscène. Au nom de la compassion pour ceux qui se retrouvent à la rue, ne pourraient-ils pas avoir la décence de ne pas se défausser sur les pauvres ? Mon état d'âme n'a aucun sens ici.
Pour les Américains, les golden boys sont des hommes remarquables. Aux États-Unis, la réussite n'a qu'une seule mesure. L'argent. Les Européens ont toujours du mal à comprendre cette passion américaine pour les jouissances matérielles. «Nous sommes un pays bâti sur le commerce ; l'Amérique, c'est l'argent. Et l'argent, c'est l'indépendance, la liberté. Voila ce que nous sommes, nous autres les Américains»,me déclare Alison Silver, une journaliste. Maureen Henegan, une chef d'entreprise de Manhattan, ajoute : «Nous aimons l'argent, car le rêve américain est très réel. Nous pensons que quelles que soient nos origines, en travaillant beaucoup, nous rencontrerons le succès. Et le succès, c'est l'argent.» Stanislas Vilgrain, un industriel français installé depuis un quart de siècle aux États-Unis, le constate justement : «En France, c'est le fait d'avoir, de posséder qui démontre l'appartenance à la société. Ici, c'est donner qui importe. Pour les protestants, réussir, c'est montrer que l'on est un élu de Dieu. On s'élève dans la société en redistribuant ensuite cet argent.» L'homme honorable aux États-Unis se distingue donc en rétrocédant à la société une large partie de ce qu'elle lui a permis d'amasser. Bill Gates et Warren Buffett, les deux hommes les plus riches du pays, en sont les exemples. Ils vivent discrètement, se consacrant aux fondations qu'ilsont créées.
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( Voyage dans l'Amérique d'Obama_6° )
Impossible d'aller à la rencontre de l'Amérique d'Obama sans évoquer Madoff. Avec d'autres moyens, ce roi de l'escroquerie financière s'inscrit dans la grande lignée des hors-la-loi américains. Madoff, c'est New York. Près d'un siècle plus tôt, à Chicago, l'ennemi public s'appelait Al Capone.
Les gens les plus méchants, les plus cruels se disent toujours que, au fond de leur coeur, ils sont bons. Al Capone et Bernie Madoff, deux grands gangsters américains, se voulaient des êtres exemplaires, des modèles d'intégration sociale, des fils respectueux et des maris attentionnés. Des patriotes, des croyants, des hommes normaux, déterminés, pleins d'ardeur, travailleurs, imaginatifs. Dans leurs villes respectives, Chicago et New York, ils étaient respectés et admirés. À quatre-vingts ans de distance, bien des choses rapprochent ces deux hommes. Certes,Madoff est moins archaïque que Capone. En 2009, les gangsters paient leurs impôts. Ils ne mitraillent plus leurs concurrents. Mais, au fond des choses, les principes de leurs escroqueries sont les mêmes. Ils répondent aux lois de l'offre et de la demande.
À New York, c'est le comportement des Américains vis-à-vis de l'argent qui m'intéresse. Après tout, je suis dans la ville qui a précipité le monde dans la crise économique. Madoff en est le symbole. Après lui, personne ne fera plus jamais aveuglément confiance à son banquier.
Bernie et Al ont un même profil. Ce qui les rapproche d'abord, c'est leur férocité. Dans leurs tanières l'hôtel Metropole à Chicago pour Capone ; le 17e étage du Lipstick Building, au 885 de la 3e Avenue à New York pour Madoff , ils préparent leurs crimes en toute discrétion, avant de faire les paons en public. En novembre 1924 à Chicago, le gangster O'Banion est abattu par les hommes de main de Capone. Celui-ci organise des funérailles grandioses pour son ennemi, comme aucun président des États-Unis n'en a jamais eues : cercueil en argent massif, 50 000 dollars de fleurs, 40 000 citoyens mobilisés. «Sur le bloc de marbre où repose le cercueil, on peut lire,en lettres d'or : "Laissez venir à moi les petits enfants"», rapporte The Chicago Tribune, le journal local.
Capitale du désastre, New York fait profil bas
Madoff, qui semble tout droit sorti de Casino, le film de Scorsese,n'est pas en reste. Il ne tue pas directement les gens, mais il ruine méthodiquement les existences de ceux qui lui ont fait une entière confiance. «Mes affaires reposent sur ma réputation», dit-il. Il n'a pas la moindre pitié pour ses «amis» les plus intimes, les organisations caritatives ou les veuves modestes qui lui ont confié des fonds. Il vole et trompe dans le monde entier. Il berne jusqu'à ses proches.Dans un récit fascinant publié par Vanity Fair en juin dernier, Eleanor Squillari, qui fut pendant vingt ans la secrétaire particulière du bandit, raconte sa désillusion : «Bernie nous a volé notre confiance. La plupart d'entre nous étaient des gens honnêtes, des travailleurs acharnés, en charge de familles. Nous pensions vivre un rêve américain, et nous sentions privilégiés de travailler pour un homme aussi merveilleux, brillant, généreux,qui avait fait tant de choses bonnes et charitables. Aujourd'hui, nous avons l'air de fous.» Eleanor n'est pas la seule. Des centaines de millions de personnes de par le monde ont perdu près de la moitié de leurs économies à cause de la cupidité démente des banquiers de Wall Street et des Européens qui les ont imités.
NewYork, capitale de ce désastre, fait profil bas en ce moment. Elle flotte sur un océan d'obligations spéculatives pourries. Personne encore n'en mesure la profondeur. Felix Rohatyn, un expert, explique : «Je suis aujourd'hui incapable de déchiffrer un bilan de banque.» Les golden boys, les héros d'hier qui faisaient flamber l'immobilier de l'Upper East Side, sont toujours là, mais ils se terrent. Ils vous renvoient sur les «RP», les «relations publiques» de leurs banques, pour ne pas s'exprimer. Si l'on est introduit par un ami d'ami, ils posent leurs conditions. Les conversations devront se dérouler en catimini, dans les bars sombres de grands hôtels.
«La crise ? C'est la faute de la classe moyenne»
Les voilà donc, mes golden boys. Ils viennent en bande, pour se donner du courage. Ils «pèsent» chacun entre 100 et 300 millions de dollars. Ils sont jeunes, beaux, brillants et arrogants. «Non, remarquent-ils, notre milieu n'est pour rien dans la crise actuelle. Tout est de la faute de Bush. Il a coulé tout ce qu'il a touché. Faire élire BarackObama est la seule chose qu'il ait réussi à faire. Cet Obama d'ailleurs n'aime pas l'entreprise, il ne la connaît pas. Il s'est entouré uniquement d'universitaires. Pas de gens d'affaires. Il est un homme dangereux, car avec ses mesures sociales, il va freiner la compétitivité des États-Unis. Nous, c'est bien simple, si l'on nous empêche de travailler comme on le faisait avant cette crise, nos fortunes, nous les déplacerons ailleurs. Aux Bahamas. La crise ? C'est la faute de la classe moyenne, qui a vécu au dessus de ses moyens.» La faute de la classe moyenne ! Je suis choqué, j'annule cavalièrement le dîner qui devait suivre avec ces garçons. Je juge leur discours obscène. Au nom de la compassion pour ceux qui se retrouvent à la rue, ne pourraient-ils pas avoir la décence de ne pas se défausser sur les pauvres ? Mon état d'âme n'a aucun sens ici.
Pour les Américains, les golden boys sont des hommes remarquables. Aux États-Unis, la réussite n'a qu'une seule mesure. L'argent. Les Européens ont toujours du mal à comprendre cette passion américaine pour les jouissances matérielles. «Nous sommes un pays bâti sur le commerce ; l'Amérique, c'est l'argent. Et l'argent, c'est l'indépendance, la liberté. Voila ce que nous sommes, nous autres les Américains»,me déclare Alison Silver, une journaliste. Maureen Henegan, une chef d'entreprise de Manhattan, ajoute : «Nous aimons l'argent, car le rêve américain est très réel. Nous pensons que quelles que soient nos origines, en travaillant beaucoup, nous rencontrerons le succès. Et le succès, c'est l'argent.» Stanislas Vilgrain, un industriel français installé depuis un quart de siècle aux États-Unis, le constate justement : «En France, c'est le fait d'avoir, de posséder qui démontre l'appartenance à la société. Ici, c'est donner qui importe. Pour les protestants, réussir, c'est montrer que l'on est un élu de Dieu. On s'élève dans la société en redistribuant ensuite cet argent.» L'homme honorable aux États-Unis se distingue donc en rétrocédant à la société une large partie de ce qu'elle lui a permis d'amasser. Bill Gates et Warren Buffett, les deux hommes les plus riches du pays, en sont les exemples. Ils vivent discrètement, se consacrant aux fondations qu'ilsont créées.
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