La scène se passait il y a quelques mois au Sheba, un grand hôtel international de Sanaa. Les familles des prisonniers yéménites de Guantanamo s'étaient réunies pour dénoncer le maintien de leurs proches en détention. Etranges circonstances, qui plaçaient ce jour-là en quasi vis-à-vis des jeunes femmes légèrement vêtues, concentrées à capter le soleil sur les margelles de la piscine, et un cortège d'anciens djihadistes manifestement gênés. Le frère de Ramzi Bin Sheiba, l'un des cerveaux présumés des attaques du 11 septembre 2001, se faisait alors pédagogue : "Laissez-moi vous dire une chose, mon ami, les plus riches partent en premier et le Yémen est un pays pauvre ; alors nous sommes en fin de liste", nous expliquait-il.
L'approche purement arithmétique de la question des Yéménites de Guantanamo est sans appel : ils y sont plus de 90, parmi les 230 détenus de la prison américaine. Moins de 30 sont rentrés au pays alors qu'il ne resterait plus que 13 Saoudiens sur un total initial de 139.
Quel que soit leur curriculum vitae, élèves d'écoles religieuses au Pakistan, en Afghanistan, ou soutiens actifs du terrorisme, Sanaa demande leur retour afin d'appliquer à chacun les mesures adéquates : réinsertion, procès. Mais cette demande intervient en même temps qu'un regain d'activité des islamistes au Yémen.
Al-Qaida a annoncé y avoir établi une nouvelle branche pour frapper, indifféremment, les pays de la péninsule arabique. L'un de ses derniers messages vidéo, diffusé sur Internet, mettait en scène les quatre figures de cette nouvelle ossature. Deux anciens prisonniers de Guantanamo, ex-pensionnaires du programme de réinsertion saoudien, apparaissent assis en tailleur, kalachnikov en bandoulière. Le verbe haut, ils appellent à tour de rôle à la mobilisation générale. Al-Qaida revendique le recrutement de 300 jeunes Yéménites partis faire le djihad au cours de l'année 2008. Plus de 60 ex-détenus de Guantanamo auraient repris les armes.
Le Yémen multiplie donc les actions et les effets d'annonce, avec la volonté de convaincre les Etats-Unis de son sérieux sur le terrain de la lutte antiterroriste. La mission n'est pas simple. Car Sanaa a été pointée du doigt par Washington à plusieurs reprises, pour sa gestion jugée trop molle de certains cas. Dont celui de Jamal Al-Badawi, l'un des acteurs présumés de l'attentat contre le destroyer USS-Cole, qui avait fait 17 morts en octobre 2000 dans la rade d'Aden. Après une évasion rocambolesque de la prison de haute sécurité de Sanaa, en février 2006, l'homme s'était finalement rendu à la police en octobre 2007. Depuis, un bras de fer est engagé entre le Yémen et les Etats-Unis pour son extradition.
Par le passé, le gouvernement a ouvertement privilégié le dialogue et la médiation avec les anciens membres d'Al-Qaida. Une méthode assimilée par beaucoup à de la faiblesse, pour ne pas dire de la connivence. Alors, aujourd'hui, les unités antiterroristes n'hésitent plus à lancer généreusement leurs filets dans les milieux islamistes présumés de la capitale, quitte à engorger les prisons de bien inoffensifs citoyens. C'est d'un air déterminé que le président Ali Abdallah Saleh nous assure pouvoir détourner "les prisonniers de Guantanamo de la violence et de l'extrémisme".
"Réinsertion, rééducation, intégration sociale." Voici donc la devise des officiels depuis plusieurs semaines. Des mots d'ordre mis en pratique bien avant l'épineux dossier de Guantanamo. Dès septembre 2002, un programme de "dialogue religieux" a été institué, afin d'insérer les acteurs les plus violents de la scène islamiste dans le giron de l'islam tolérant et pacifique. Le juge Hittar, ministre des affaires religieuses, porte fièrement ce programme. Il revendique 98 % de succès. Il est aujourd'hui l'un des promoteurs du centre de réinsertion réservé aux anciens de Guantanamo, un centre qui "n'existe pas encore, admet-il, mais qui fonctionnera une fois les Yéménites revenus".
Le volet théorique du programme, explique le ministre, porte sur le dialogue, "pour essayer de parvenir à une convergence entre les différents points de vue, supprimer les idées fausses et corriger les notions erronées". Quant au volet pratique, il concerne "la réintégration des détenus dans la société".
Concrètement, des imams seront chargés de démonter le discours du djihadisme armé, qui puise dans l'ignorance et la pauvreté. Puis les autorités suivront pas à pas le retour à la société de ces ex-combattants ennemis, en facilitant leur accès au travail et au logement.
La force du discours et de la parole, tel est donc le pari tenté par Sanaa. Et pour de nombreuses personnalités de la scène religieuse yéménite, cette approche peut en effet permettre de détourner les plus jeunes du terrorisme. Le cheikh Omar Ben Hafiz - "Habib Omar" comme l'appellent avec respect ses disciples - est un homme d'influence dans la région ; au moment où nous le rencontrons, il est à peine rentré des Comores que dans quelques heures il s'envolera pour Djeddah, en Arabie saoudite. "Habib Omar" n'est pas uniquement le responsable respecté de l'une des principales écoles religieuses au Yémen, à Tarim, dans la province orientale du pays. Il est pour beaucoup un modèle, qui diffuse avec l'autorité du sage la pensée soufie de tolérance. La prière du soir achevée, le cheikh s'installe, entouré de disciples, un châle vert largement déployé sur les épaules. "De nombreux jeunes musulmans vivent un malentendu ou ont une vision fausse de la religion, dit-il. Le dialogue et la clarification sont les moyens que les prophètes ont mis en oeuvre pour expliquer la religion. Quand on leur révèle la réalité, alors beaucoup d'entre eux se dégagent de ces malentendus."
Khaled Al-Anissi, le directeur de Hood, une importante ONG de défense des droits de l'homme, ne cherche pas ses mots pour qualifier le concept de réinsertion conçu par le gouvernement. "Ce sera un centre de détention, pas de réinsertion, une sorte de petit Guantanamo, rien de plus, affirme avec un brin de malice celui qui se tient aux côtés des familles de prisonniers depuis le début. La démarche est avant tout sécuritaire. Or, il faut qu'il y ait un dialogue dans un espace de liberté, sans pression." M. Anissi ne croit pas au retour au pays de cette petite centaine de prisonniers yéménites, mais bien à leur transfert vers d'autres pays, dont l'Arabie saoudite. Une voie que privilégie ouvertement l'administration américaine du président Obama.
L'approche purement arithmétique de la question des Yéménites de Guantanamo est sans appel : ils y sont plus de 90, parmi les 230 détenus de la prison américaine. Moins de 30 sont rentrés au pays alors qu'il ne resterait plus que 13 Saoudiens sur un total initial de 139.
Quel que soit leur curriculum vitae, élèves d'écoles religieuses au Pakistan, en Afghanistan, ou soutiens actifs du terrorisme, Sanaa demande leur retour afin d'appliquer à chacun les mesures adéquates : réinsertion, procès. Mais cette demande intervient en même temps qu'un regain d'activité des islamistes au Yémen.
Al-Qaida a annoncé y avoir établi une nouvelle branche pour frapper, indifféremment, les pays de la péninsule arabique. L'un de ses derniers messages vidéo, diffusé sur Internet, mettait en scène les quatre figures de cette nouvelle ossature. Deux anciens prisonniers de Guantanamo, ex-pensionnaires du programme de réinsertion saoudien, apparaissent assis en tailleur, kalachnikov en bandoulière. Le verbe haut, ils appellent à tour de rôle à la mobilisation générale. Al-Qaida revendique le recrutement de 300 jeunes Yéménites partis faire le djihad au cours de l'année 2008. Plus de 60 ex-détenus de Guantanamo auraient repris les armes.
Le Yémen multiplie donc les actions et les effets d'annonce, avec la volonté de convaincre les Etats-Unis de son sérieux sur le terrain de la lutte antiterroriste. La mission n'est pas simple. Car Sanaa a été pointée du doigt par Washington à plusieurs reprises, pour sa gestion jugée trop molle de certains cas. Dont celui de Jamal Al-Badawi, l'un des acteurs présumés de l'attentat contre le destroyer USS-Cole, qui avait fait 17 morts en octobre 2000 dans la rade d'Aden. Après une évasion rocambolesque de la prison de haute sécurité de Sanaa, en février 2006, l'homme s'était finalement rendu à la police en octobre 2007. Depuis, un bras de fer est engagé entre le Yémen et les Etats-Unis pour son extradition.
Par le passé, le gouvernement a ouvertement privilégié le dialogue et la médiation avec les anciens membres d'Al-Qaida. Une méthode assimilée par beaucoup à de la faiblesse, pour ne pas dire de la connivence. Alors, aujourd'hui, les unités antiterroristes n'hésitent plus à lancer généreusement leurs filets dans les milieux islamistes présumés de la capitale, quitte à engorger les prisons de bien inoffensifs citoyens. C'est d'un air déterminé que le président Ali Abdallah Saleh nous assure pouvoir détourner "les prisonniers de Guantanamo de la violence et de l'extrémisme".
"Réinsertion, rééducation, intégration sociale." Voici donc la devise des officiels depuis plusieurs semaines. Des mots d'ordre mis en pratique bien avant l'épineux dossier de Guantanamo. Dès septembre 2002, un programme de "dialogue religieux" a été institué, afin d'insérer les acteurs les plus violents de la scène islamiste dans le giron de l'islam tolérant et pacifique. Le juge Hittar, ministre des affaires religieuses, porte fièrement ce programme. Il revendique 98 % de succès. Il est aujourd'hui l'un des promoteurs du centre de réinsertion réservé aux anciens de Guantanamo, un centre qui "n'existe pas encore, admet-il, mais qui fonctionnera une fois les Yéménites revenus".
Le volet théorique du programme, explique le ministre, porte sur le dialogue, "pour essayer de parvenir à une convergence entre les différents points de vue, supprimer les idées fausses et corriger les notions erronées". Quant au volet pratique, il concerne "la réintégration des détenus dans la société".
Concrètement, des imams seront chargés de démonter le discours du djihadisme armé, qui puise dans l'ignorance et la pauvreté. Puis les autorités suivront pas à pas le retour à la société de ces ex-combattants ennemis, en facilitant leur accès au travail et au logement.
La force du discours et de la parole, tel est donc le pari tenté par Sanaa. Et pour de nombreuses personnalités de la scène religieuse yéménite, cette approche peut en effet permettre de détourner les plus jeunes du terrorisme. Le cheikh Omar Ben Hafiz - "Habib Omar" comme l'appellent avec respect ses disciples - est un homme d'influence dans la région ; au moment où nous le rencontrons, il est à peine rentré des Comores que dans quelques heures il s'envolera pour Djeddah, en Arabie saoudite. "Habib Omar" n'est pas uniquement le responsable respecté de l'une des principales écoles religieuses au Yémen, à Tarim, dans la province orientale du pays. Il est pour beaucoup un modèle, qui diffuse avec l'autorité du sage la pensée soufie de tolérance. La prière du soir achevée, le cheikh s'installe, entouré de disciples, un châle vert largement déployé sur les épaules. "De nombreux jeunes musulmans vivent un malentendu ou ont une vision fausse de la religion, dit-il. Le dialogue et la clarification sont les moyens que les prophètes ont mis en oeuvre pour expliquer la religion. Quand on leur révèle la réalité, alors beaucoup d'entre eux se dégagent de ces malentendus."
Khaled Al-Anissi, le directeur de Hood, une importante ONG de défense des droits de l'homme, ne cherche pas ses mots pour qualifier le concept de réinsertion conçu par le gouvernement. "Ce sera un centre de détention, pas de réinsertion, une sorte de petit Guantanamo, rien de plus, affirme avec un brin de malice celui qui se tient aux côtés des familles de prisonniers depuis le début. La démarche est avant tout sécuritaire. Or, il faut qu'il y ait un dialogue dans un espace de liberté, sans pression." M. Anissi ne croit pas au retour au pays de cette petite centaine de prisonniers yéménites, mais bien à leur transfert vers d'autres pays, dont l'Arabie saoudite. Une voie que privilégie ouvertement l'administration américaine du président Obama.
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