Dix ans après son accession au trône, Mohammed VI est définitivement sorti de l’ombre de son père. Affichant peu d’appétence pour les médias et les jeux politiques, c’est en dehors des activités protocolaires qu’il est le plus à l’aise.
Rabat, début juillet. Un vent tiède et humide souffle sur le Palais, ocre, immuable et désert. Sa Majesté est à Nador, sur la côte méditerranéenne, dans ce Nord oublié de son père et dont il a fait l’un des chantiers majeurs du premier chapitre de son règne, comme pour rattraper l’Histoire et le temps perdu. Elle y fait ce qu’elle aime tant faire, et que reflète chaque soir pieusement le petit écran : inaugurer, visiter, poser des pierres, couper des rubans, tenir des séances de travail, déchiffrer des plans d’urbanisme et de développement, se faire expliquer d’abscons schémas d’assainissement. Ce qu’elle aime moins faire aussi : remettre des décorations, écouter des discours, s’asseoir face aux caméras sur l’avant d’un fauteuil de velours rouge, un sourire un peu contraint aux lèvres – le Makhzen as usual en somme, qui le suit partout où il va et qui lui pèse souvent.
La vie continue et rien n’indique ici que Mohammed VI, 46 ans, s’achemine à grands pas vers le dixième anniversaire de son accession au pouvoir, le 30 juillet prochain. Ceux qui s’imaginent que le royaume prépare pour l’occasion des festivités exceptionnelles en seront pour leurs frais. « Ce sera comme pour le neuvième ou le onzième, rien de plus, rien de moins : la fête du Trône habituelle », explique un conseiller du Palais. Motif : un roi, on l’avait un peu oublié, n’est pas un président élu. Il n’a ni mandat à renouveler, ni échéance à célébrer, ni récapitulatif à présenter – si ce n’est le jour de sa mort. S’il est un mot tabou ces temps-ci dans l’entourage du souverain, c’est d’ailleurs bien celui de bilan. Quitte à laisser à d’autres le soin d’instruire, souvent à charge, le procès d’une décennie qui a changé le Maroc1, « M6 » se tourne ostensiblement vers l’avenir. Portrait en creux d’un roi citoyen…
Communication
Un vrai paradoxe : le roi de l’ouverture et de la modernité est aussi celui de l’omerta médiatique. Sept interviews et zéro conférence de presse en dix années de règne. M6 n’a pas de conseiller en communication et le poste de porte-parole du Palais n’est plus pourvu depuis quatre ans. Question de nature : c’est un homme discret, peu loquace, mal à l’aise dans l’exercice d’effeuillage souvent impudique auquel voudraient le contraindre les journalistes. Il lui arrive même de disparaître des semaines entières du journal télévisé quand il est en déplacement privé à l’étranger – phénomène inimaginable du temps de son père, Hassan II. Pourtant, le Palais n’a jamais été autant visible que depuis qu’il est là. Budget, parc automobile, salaire des conseillers, fortune du monarque : la cité interdite a été démantelée et la presse en fait son miel.
D’un côté, une liberté de ton largement concédée et un respect de plus en plus souple des fameuses « lignes rouges » : on peut, aujourd’hui au Maroc et à condition de ne pas trop le crier sur les toits, être indépendantiste sahraoui et même républicain. De l’autre, des centaines de demandes d’interview du roi condamnées à rester lettres mortes. Il y a quelques mois, un journaliste français de Paris Match croyait bien avoir décroché la lune : un livre-entretien avec M6 pour le dixième anniversaire. Tout était prêt et le Palais avait donné son accord. Il attend toujours…
Diplomatie
Sur ce point aussi, Mohammed VI n’est pas Hassan II. Pour lui, c’est « Morocco first », et jouer un rôle, surtout symbolique, sur la scène internationale ne fait pas partie de ses priorités. Il n’aime ni les conférences ni les sommets où il faut se pousser du col devant les micros pour faire passer son message. Masquée, sans doute étouffée, par l’activisme et l’omniprésence de Hassan II, la diplomatie n’a jamais été, il est vrai, le point fort du Maroc. Sous M6, le ministre des Affaires étrangères ne fait plus partie des accompagnateurs obligés du monarque. Il voit moins le « patron » que ses prédécesseurs d’avant 1999, mais sa marge de manœuvre est plus large. De même, les personnalités de marque et les chefs d’État étrangers en visite privée ne sont plus systématiquement reçus au Palais. Bien souvent, c’est le wali qui les accueille à l’aéroport.
Une distance royale par rapport aux affaires de ce monde qui n’empêche pas M6 d’agir (ou de réagir) de façon parfois spectaculaire et – sur le coup – incomprise. La rupture des relations diplomatiques avec l’Iran, par exemple, ou la lettre ouverte culottée et très « rue arabe » envoyée par le roi à ses pairs lors du sommet extraordinaire de Doha sur la guerre de Gaza, voire la réactivité épidermique manifestée vis-à-vis de l’Espagne à propos de l’îlot Leïla/Perejil, démontrent que le patriotisme chatouilleux du fils n’a rien à envier à celui de son père, même si sa visibilité est bien moindre.
Côté France, le roi s’est rapidement dégagé du paternalisme quelque peu encombrant de Jacques Chirac, sans pour autant devenir « copain » avec Nicolas Sarkozy, à qui il a imposé une visite d’État exclusive au Maroc, après avoir refusé une simple étape en queue de tournée maghrébine. Seule vraie nouveauté : le tropisme subsaharien de M6, qui a déjà effectué une demi-douzaine de voyages en Afrique noire alors que Hassan II – hormis de rares apparitions aux sommets de l’Organisation de l’unité africaine – n’en a accompli aucun. Ceux qui l’ont vu s’affranchir du programme officiel pour parcourir au volant d’un véhicule emprunté les quartiers populaires de Brazzaville ou de Dakar savent que son intérêt pour ce continent délaissé par son père n’est pas feint.
Rabat, début juillet. Un vent tiède et humide souffle sur le Palais, ocre, immuable et désert. Sa Majesté est à Nador, sur la côte méditerranéenne, dans ce Nord oublié de son père et dont il a fait l’un des chantiers majeurs du premier chapitre de son règne, comme pour rattraper l’Histoire et le temps perdu. Elle y fait ce qu’elle aime tant faire, et que reflète chaque soir pieusement le petit écran : inaugurer, visiter, poser des pierres, couper des rubans, tenir des séances de travail, déchiffrer des plans d’urbanisme et de développement, se faire expliquer d’abscons schémas d’assainissement. Ce qu’elle aime moins faire aussi : remettre des décorations, écouter des discours, s’asseoir face aux caméras sur l’avant d’un fauteuil de velours rouge, un sourire un peu contraint aux lèvres – le Makhzen as usual en somme, qui le suit partout où il va et qui lui pèse souvent.
La vie continue et rien n’indique ici que Mohammed VI, 46 ans, s’achemine à grands pas vers le dixième anniversaire de son accession au pouvoir, le 30 juillet prochain. Ceux qui s’imaginent que le royaume prépare pour l’occasion des festivités exceptionnelles en seront pour leurs frais. « Ce sera comme pour le neuvième ou le onzième, rien de plus, rien de moins : la fête du Trône habituelle », explique un conseiller du Palais. Motif : un roi, on l’avait un peu oublié, n’est pas un président élu. Il n’a ni mandat à renouveler, ni échéance à célébrer, ni récapitulatif à présenter – si ce n’est le jour de sa mort. S’il est un mot tabou ces temps-ci dans l’entourage du souverain, c’est d’ailleurs bien celui de bilan. Quitte à laisser à d’autres le soin d’instruire, souvent à charge, le procès d’une décennie qui a changé le Maroc1, « M6 » se tourne ostensiblement vers l’avenir. Portrait en creux d’un roi citoyen…
Communication
Un vrai paradoxe : le roi de l’ouverture et de la modernité est aussi celui de l’omerta médiatique. Sept interviews et zéro conférence de presse en dix années de règne. M6 n’a pas de conseiller en communication et le poste de porte-parole du Palais n’est plus pourvu depuis quatre ans. Question de nature : c’est un homme discret, peu loquace, mal à l’aise dans l’exercice d’effeuillage souvent impudique auquel voudraient le contraindre les journalistes. Il lui arrive même de disparaître des semaines entières du journal télévisé quand il est en déplacement privé à l’étranger – phénomène inimaginable du temps de son père, Hassan II. Pourtant, le Palais n’a jamais été autant visible que depuis qu’il est là. Budget, parc automobile, salaire des conseillers, fortune du monarque : la cité interdite a été démantelée et la presse en fait son miel.
D’un côté, une liberté de ton largement concédée et un respect de plus en plus souple des fameuses « lignes rouges » : on peut, aujourd’hui au Maroc et à condition de ne pas trop le crier sur les toits, être indépendantiste sahraoui et même républicain. De l’autre, des centaines de demandes d’interview du roi condamnées à rester lettres mortes. Il y a quelques mois, un journaliste français de Paris Match croyait bien avoir décroché la lune : un livre-entretien avec M6 pour le dixième anniversaire. Tout était prêt et le Palais avait donné son accord. Il attend toujours…
Diplomatie
Sur ce point aussi, Mohammed VI n’est pas Hassan II. Pour lui, c’est « Morocco first », et jouer un rôle, surtout symbolique, sur la scène internationale ne fait pas partie de ses priorités. Il n’aime ni les conférences ni les sommets où il faut se pousser du col devant les micros pour faire passer son message. Masquée, sans doute étouffée, par l’activisme et l’omniprésence de Hassan II, la diplomatie n’a jamais été, il est vrai, le point fort du Maroc. Sous M6, le ministre des Affaires étrangères ne fait plus partie des accompagnateurs obligés du monarque. Il voit moins le « patron » que ses prédécesseurs d’avant 1999, mais sa marge de manœuvre est plus large. De même, les personnalités de marque et les chefs d’État étrangers en visite privée ne sont plus systématiquement reçus au Palais. Bien souvent, c’est le wali qui les accueille à l’aéroport.
Une distance royale par rapport aux affaires de ce monde qui n’empêche pas M6 d’agir (ou de réagir) de façon parfois spectaculaire et – sur le coup – incomprise. La rupture des relations diplomatiques avec l’Iran, par exemple, ou la lettre ouverte culottée et très « rue arabe » envoyée par le roi à ses pairs lors du sommet extraordinaire de Doha sur la guerre de Gaza, voire la réactivité épidermique manifestée vis-à-vis de l’Espagne à propos de l’îlot Leïla/Perejil, démontrent que le patriotisme chatouilleux du fils n’a rien à envier à celui de son père, même si sa visibilité est bien moindre.
Côté France, le roi s’est rapidement dégagé du paternalisme quelque peu encombrant de Jacques Chirac, sans pour autant devenir « copain » avec Nicolas Sarkozy, à qui il a imposé une visite d’État exclusive au Maroc, après avoir refusé une simple étape en queue de tournée maghrébine. Seule vraie nouveauté : le tropisme subsaharien de M6, qui a déjà effectué une demi-douzaine de voyages en Afrique noire alors que Hassan II – hormis de rares apparitions aux sommets de l’Organisation de l’unité africaine – n’en a accompli aucun. Ceux qui l’ont vu s’affranchir du programme officiel pour parcourir au volant d’un véhicule emprunté les quartiers populaires de Brazzaville ou de Dakar savent que son intérêt pour ce continent délaissé par son père n’est pas feint.
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