Le 2e Festival panafricain qui vient d’éteindre ses lumières dans une ambiance de fête, d’alacrité et d’échanges culturels profitable aux peuples d’Afrique, est une occasion pour revenir sur certains aspects de la culture de ce continent habité par presque un milliard de personnes mais dont le destin tarde à faire profiler le développement économique, la sécurité, la stabilité politique et le rayonnement culturel.
Pourtant, comme berceau biologique de l’Humanité, l’Afrique en est aussi le berceau culturel. Les soubresauts de l’histoire, avec ses tristes épisodes de la traite négrière et de l’exploitation coloniale, ont malheureusement conduit le continent à l’état dans lequel il se trouve aujourd’hui, déchiré par les guerres tribales et ethniques, avili par les coups d’État et réduit à un territoire majoritairement dépendant de l’étranger.
Aucun festival, aussi long et aussi coûteux qu’il puisse être, ne peut révéler ou exposer la totalité de la culture d’un peuple ou d’un continent.
Le cas devient plus complexe pour ce qui est de la littérature, une activité qui s’inscrit dans le temps et qui n’offre pas de spectacles bruyants, hormis peut-être la représentation théâtrale. Les échanges en matière de littérature ne peuvent s’effectuer qu’au travers de revues spécialisées, de conférences, d’émissions télévisuelles, d’une politique commerciale qui favorise l’importation du livre et d’introduction des textes des autres pays dans les manuels de lecture.
Pour ce qui est de la littérature de notre continent, l’héritage culturel colonial a fait que l’on se départit difficilement de cette classification qui place la littérature africaine dans un “camp” et la littérature maghrébine dans un autre. Cette façon de voir, de recevoir et de diffuser le capital littéraire du continent épouse, en tout cas, parfaitement la classification politique, géographique et économique adoptée et mise en œuvre par les anciennes puissances coloniales. Avec une facilité déconcertante, cette vision a fini par prévaloir et s’imposer comme catégorie d’étude et comme valeur esthétique.
Le seul “avantage’’ que l’on pourrait éventuellement concéder à cette factice césure faite dans le champ littéraire du continent africain, réside dans la double articulation de la majorité de la production littéraire de l’Afrique noire autour de deux expressions linguistiques, à savoir le français et l’anglais. Cela ne doit pas exclure évidemment les autres expressions : portugais, afrikaans, wolof, swahili et autres langues d’Afrique. Tandis que la littérature maghrébine présente un autre type de bilinguisme, arabe/français, avec un fond populaire berbéro-arabe.
Ce qui est, d’emblée, fort remarquable dans cette littérature, avec son vaste éventail linguistique, c’est son fond culturel populaire profondément tiré de la vie authentique africaine ; une tradition orale inscrite dans les tréfonds de l’âme et du vécu africains. Sur ce plan, comme sur beaucoup d’autres encore, cette littérature se rapproche sensiblement de la littérature maghrébine écrite en langue française. C’est sans aucun doute un phénomène largement lié à la réaction d’une domination culturelle occidentale induite par le colonialisme, réaction qui va dans le sens de l’affirmation de l’identité par le recours à des référents culturels symbolisant la pureté et l’authenticité originelles.
Sur le piédestal de la tradition orale
La culture africaine garde une tradition vivante d’une forme de littérature orale transmise de génération en génération, dite par les vieux et les jeunes et basée sur les mythes ancestraux, sur les récits de l’esclavage et de la traite négrière et sur les contes produits par des sociétés travaillées par une douloureuse histoire faite d’exploitation et d’humiliation.
Ce sont d’abord ces ferments, auxquels s’est ajoutée et greffée une formation scolaire établie sélectivement par les administrations coloniales qui ont permis l’éclatement de la littérature africaine dans ses différentes expressions linguistiques.
Les spécialistes des littératures africaines parlent d’une civilisation du verbe, une quasi religion, dans les contrées africaines.
Komo Dibi, chantre malien du Komo (société d’initiation) définit ainsi l’omnipotence du verbe :
“La parole est tout.
Elle coupe, écorche.
Elle modèle, module.
Elle perturbe ; rend fou.
Elle guérit ou tue net.
Elle amplifie, abaisse selon sa charge.
Elle excite ou calme les âmes”.
Le célèbre écrivain ivoirien Bernard Dadié illustre la richesse de la littérature orale africaine dans un écrit où il s’attaque au chercheur ethnologue Golberry ayant rédigé Fragments d’un voyage en 1802. Golberry écrit : “Semblables aux enfants, les Noirs de l’âge le plus mûr appliquent l’attention d’une journée entière à des occupations faciles, à des conversations qui, dans notre esprit, ne passeraient que pour caquetages. Ils passent des journées entières à faire des contes et des histoires. Car, les contes les plus absurdes, les histoires les plus mensongères, sont le souverain délice et le plus grand amusement de ces hommes qui parviennent à la vieillesse sans être sortis de l’enfance (…)”
“Des histoires mensongères ! M.Golberry avait-il entendu parler d’un fabuliste nommé La Fontaine qui, dans l’âge avancé, s’écriait un jour “Si Peau d’âne m’était conté, j’y prendrais un plaisir extrême’’, répond Dadié (in revue Présence africaine n°27/28 de l’année 1959).
Le professeur Wilfried Feuser de l’université nigériane de Port-Harcourt commente ainsi la position de Golberry (revue littéraire Europe n°618, année 1980) : “Pauvre Golberry ! Il ne savait même pas qu’il est sacrilège, dans les cadres africains traditionnels, de débiter des contes dans la journée ; qu’il faut attende, pour ce faire, la nuit et les étoiles…N’importe, d’autres voyageurs après lui- les Jean Hess, les Frobenius chez les Yorubas du Nigeria- ont fait beaucoup pour revaloriser les mythes, contes et légendes africaines, et il est aisé ces jours-ci de soutenir que, pour apprécier même un seul ouvrage écrit par auteur africain contemporain, il faut connaître sa tradition, tant il y a un brassage entre l’authentique culure populaire et la modernité”.
L’Africain traditionnel est profondément immergé dans son milieu naturel et ce contact intime se traduit et se prolonge par diverses formes littéraires : panégyriques, chants funéraires, chants d’initiation et chants nuptiaux, un inestimable fond parémiologique (maximes et proverbes) et de devinettes qui n’a probablement pas son équivalent dans le reste du monde ; mythes et contes populaires, dans lesquels l’animal, l’homme, la divinité et l’arbre s’entrelacent et s’entremêlent. Cette littérature, note Freuser, est d’une “introspection et d’une signification captivantes”. Elle ne l’est pas seulement pour la tribu ou les initiés, mais également pour les non-initiés pour peu qu’ils arrivent à faire abstraction de l’aspect décoratif de la couleur locale ou de la situation particulière. Alors, ils y découvrent, ajoute Freuser, “la composition universelle, la recherche de la vérité, les réponses plus ou moins tâtonnantes aux questions que se sont posées hommes dès l’aube de leur existence : d’où venons-nous ? Où allons-nous ?”.
Le chant profond de la culture négro-africaine
Les richesses de la tradition orale africaine ont fini par dépasser le stade folklorique des premières approches ethnographiques pour être harmonieusement intégrées dans le nouvel univers d’écriture littéraire moderne.
“C’est en Amérique et aux Antilles que la littérature négro-africaine se développe au 19e siècle. En Louisiane francophone jusqu’à la guerre de Sécession, des auteurs créoles, d’ascendance africaine, comme Camille Thierry ou Victor Séjour, violemment romantiques, retrouvent parfois un ton qui évoque l’Afrique. À la Martinique et en Guadeloupe, la vie intellectuelle reste morne et provinciale. Mais l’indépendance acquise, en 1804, de la république d’Haïti, premier état noir à se libérer de la tutelle coloniale suscite une vie littéraire intense”, note le professeur Henri Lemaître dans son Dictionnaire de la littérature française et francophone.
Même si la majorité de la population parle créole, le français, langue officielle, demeure la langue littéraire par excellence. Ainsi, la majorité des courants littéraires français ont eu leurs échos ou leurs pendants sur cette terre antillais : Coriolan, Ardouin et Ignace Nau qui ont fait rêver des générations de jeunes avec leurs poésies langoureuses et sensuelles, Émile Nau qui a voulu “naturaliser’’ le français “quelque peu bruni sous les tropiques’’ et Oswald Durant, champion de la résurrection du passé national.
La spécialiste de la littérature négro-africaine, Lilyan Kasteloot, écrit dans son étude intitulée Anthologie négro-africaine : “Nous considérons donc la littérature négro-africaine comme une manifestation et partie intégrante de la civilisation africaine. Et même lorsqu’elle se produit dans un milieu culturellement différent, anglo-saxon aux USA, ibérique à Cuba ou au Brésil, elle mérite encore d’être rattachée à l’Afrique tant le résultat de ces métissages conserve les caractères de l’Afrique originale. Ceci est plus sensible encore dans la musique. Qui niera par exemple l’africanité du jazz ou des rythmes cubains ?”.
Pourtant, comme berceau biologique de l’Humanité, l’Afrique en est aussi le berceau culturel. Les soubresauts de l’histoire, avec ses tristes épisodes de la traite négrière et de l’exploitation coloniale, ont malheureusement conduit le continent à l’état dans lequel il se trouve aujourd’hui, déchiré par les guerres tribales et ethniques, avili par les coups d’État et réduit à un territoire majoritairement dépendant de l’étranger.
Aucun festival, aussi long et aussi coûteux qu’il puisse être, ne peut révéler ou exposer la totalité de la culture d’un peuple ou d’un continent.
Le cas devient plus complexe pour ce qui est de la littérature, une activité qui s’inscrit dans le temps et qui n’offre pas de spectacles bruyants, hormis peut-être la représentation théâtrale. Les échanges en matière de littérature ne peuvent s’effectuer qu’au travers de revues spécialisées, de conférences, d’émissions télévisuelles, d’une politique commerciale qui favorise l’importation du livre et d’introduction des textes des autres pays dans les manuels de lecture.
Pour ce qui est de la littérature de notre continent, l’héritage culturel colonial a fait que l’on se départit difficilement de cette classification qui place la littérature africaine dans un “camp” et la littérature maghrébine dans un autre. Cette façon de voir, de recevoir et de diffuser le capital littéraire du continent épouse, en tout cas, parfaitement la classification politique, géographique et économique adoptée et mise en œuvre par les anciennes puissances coloniales. Avec une facilité déconcertante, cette vision a fini par prévaloir et s’imposer comme catégorie d’étude et comme valeur esthétique.
Le seul “avantage’’ que l’on pourrait éventuellement concéder à cette factice césure faite dans le champ littéraire du continent africain, réside dans la double articulation de la majorité de la production littéraire de l’Afrique noire autour de deux expressions linguistiques, à savoir le français et l’anglais. Cela ne doit pas exclure évidemment les autres expressions : portugais, afrikaans, wolof, swahili et autres langues d’Afrique. Tandis que la littérature maghrébine présente un autre type de bilinguisme, arabe/français, avec un fond populaire berbéro-arabe.
Ce qui est, d’emblée, fort remarquable dans cette littérature, avec son vaste éventail linguistique, c’est son fond culturel populaire profondément tiré de la vie authentique africaine ; une tradition orale inscrite dans les tréfonds de l’âme et du vécu africains. Sur ce plan, comme sur beaucoup d’autres encore, cette littérature se rapproche sensiblement de la littérature maghrébine écrite en langue française. C’est sans aucun doute un phénomène largement lié à la réaction d’une domination culturelle occidentale induite par le colonialisme, réaction qui va dans le sens de l’affirmation de l’identité par le recours à des référents culturels symbolisant la pureté et l’authenticité originelles.
Sur le piédestal de la tradition orale
La culture africaine garde une tradition vivante d’une forme de littérature orale transmise de génération en génération, dite par les vieux et les jeunes et basée sur les mythes ancestraux, sur les récits de l’esclavage et de la traite négrière et sur les contes produits par des sociétés travaillées par une douloureuse histoire faite d’exploitation et d’humiliation.
Ce sont d’abord ces ferments, auxquels s’est ajoutée et greffée une formation scolaire établie sélectivement par les administrations coloniales qui ont permis l’éclatement de la littérature africaine dans ses différentes expressions linguistiques.
Les spécialistes des littératures africaines parlent d’une civilisation du verbe, une quasi religion, dans les contrées africaines.
Komo Dibi, chantre malien du Komo (société d’initiation) définit ainsi l’omnipotence du verbe :
“La parole est tout.
Elle coupe, écorche.
Elle modèle, module.
Elle perturbe ; rend fou.
Elle guérit ou tue net.
Elle amplifie, abaisse selon sa charge.
Elle excite ou calme les âmes”.
Le célèbre écrivain ivoirien Bernard Dadié illustre la richesse de la littérature orale africaine dans un écrit où il s’attaque au chercheur ethnologue Golberry ayant rédigé Fragments d’un voyage en 1802. Golberry écrit : “Semblables aux enfants, les Noirs de l’âge le plus mûr appliquent l’attention d’une journée entière à des occupations faciles, à des conversations qui, dans notre esprit, ne passeraient que pour caquetages. Ils passent des journées entières à faire des contes et des histoires. Car, les contes les plus absurdes, les histoires les plus mensongères, sont le souverain délice et le plus grand amusement de ces hommes qui parviennent à la vieillesse sans être sortis de l’enfance (…)”
“Des histoires mensongères ! M.Golberry avait-il entendu parler d’un fabuliste nommé La Fontaine qui, dans l’âge avancé, s’écriait un jour “Si Peau d’âne m’était conté, j’y prendrais un plaisir extrême’’, répond Dadié (in revue Présence africaine n°27/28 de l’année 1959).
Le professeur Wilfried Feuser de l’université nigériane de Port-Harcourt commente ainsi la position de Golberry (revue littéraire Europe n°618, année 1980) : “Pauvre Golberry ! Il ne savait même pas qu’il est sacrilège, dans les cadres africains traditionnels, de débiter des contes dans la journée ; qu’il faut attende, pour ce faire, la nuit et les étoiles…N’importe, d’autres voyageurs après lui- les Jean Hess, les Frobenius chez les Yorubas du Nigeria- ont fait beaucoup pour revaloriser les mythes, contes et légendes africaines, et il est aisé ces jours-ci de soutenir que, pour apprécier même un seul ouvrage écrit par auteur africain contemporain, il faut connaître sa tradition, tant il y a un brassage entre l’authentique culure populaire et la modernité”.
L’Africain traditionnel est profondément immergé dans son milieu naturel et ce contact intime se traduit et se prolonge par diverses formes littéraires : panégyriques, chants funéraires, chants d’initiation et chants nuptiaux, un inestimable fond parémiologique (maximes et proverbes) et de devinettes qui n’a probablement pas son équivalent dans le reste du monde ; mythes et contes populaires, dans lesquels l’animal, l’homme, la divinité et l’arbre s’entrelacent et s’entremêlent. Cette littérature, note Freuser, est d’une “introspection et d’une signification captivantes”. Elle ne l’est pas seulement pour la tribu ou les initiés, mais également pour les non-initiés pour peu qu’ils arrivent à faire abstraction de l’aspect décoratif de la couleur locale ou de la situation particulière. Alors, ils y découvrent, ajoute Freuser, “la composition universelle, la recherche de la vérité, les réponses plus ou moins tâtonnantes aux questions que se sont posées hommes dès l’aube de leur existence : d’où venons-nous ? Où allons-nous ?”.
Le chant profond de la culture négro-africaine
Les richesses de la tradition orale africaine ont fini par dépasser le stade folklorique des premières approches ethnographiques pour être harmonieusement intégrées dans le nouvel univers d’écriture littéraire moderne.
“C’est en Amérique et aux Antilles que la littérature négro-africaine se développe au 19e siècle. En Louisiane francophone jusqu’à la guerre de Sécession, des auteurs créoles, d’ascendance africaine, comme Camille Thierry ou Victor Séjour, violemment romantiques, retrouvent parfois un ton qui évoque l’Afrique. À la Martinique et en Guadeloupe, la vie intellectuelle reste morne et provinciale. Mais l’indépendance acquise, en 1804, de la république d’Haïti, premier état noir à se libérer de la tutelle coloniale suscite une vie littéraire intense”, note le professeur Henri Lemaître dans son Dictionnaire de la littérature française et francophone.
Même si la majorité de la population parle créole, le français, langue officielle, demeure la langue littéraire par excellence. Ainsi, la majorité des courants littéraires français ont eu leurs échos ou leurs pendants sur cette terre antillais : Coriolan, Ardouin et Ignace Nau qui ont fait rêver des générations de jeunes avec leurs poésies langoureuses et sensuelles, Émile Nau qui a voulu “naturaliser’’ le français “quelque peu bruni sous les tropiques’’ et Oswald Durant, champion de la résurrection du passé national.
La spécialiste de la littérature négro-africaine, Lilyan Kasteloot, écrit dans son étude intitulée Anthologie négro-africaine : “Nous considérons donc la littérature négro-africaine comme une manifestation et partie intégrante de la civilisation africaine. Et même lorsqu’elle se produit dans un milieu culturellement différent, anglo-saxon aux USA, ibérique à Cuba ou au Brésil, elle mérite encore d’être rattachée à l’Afrique tant le résultat de ces métissages conserve les caractères de l’Afrique originale. Ceci est plus sensible encore dans la musique. Qui niera par exemple l’africanité du jazz ou des rythmes cubains ?”.
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