En Algérie, que sait la génération actuelle de l’Emir Abdelkader ? Pas grand-chose, sommes-nous tentés de dire, comme sur toutes ces grandes personnalités qui ont marqué l’histoire de l’Algérie.
On les retrouve dans quelques passages dans des manuels confectionnés à la hâte et sans recherche. Alors que des nations sans civilisation, sans Histoire, s’inventent des gloires et des victoires, nous, nous complaisons dans cette quête acharnée à ternir ce qui doit faire notre fierté.
Dans cet entretien que Mohammed Boutaleb, le président de la Fondation Emir Abdelkader nous a accordé, nous apprenons que l’Emir a conçu le premier Etat algérien avant même l’existence de l’Italie ou de l’Allemagne en tant que tels. C’est aussi le premier homme à avoir posé les jalons de ce qui est désormais appelé «les droits de l’homme» par sa façon de traiter les prisonniers de guerre et son équité face aux autres races qui composaient son armée. Il a été également considéré à son époque comme l’incarnation de la tolérance et du dialogue entre les religions pour avoir sauvé des milliers de chrétiens d’une mort certaine. Il serait peut-être temps de revoir la relation qu’a l’Algérien avec son histoire car, comme disent les sociologues, «on ne peut construire son avenir sans connaître son passé». Le débat est ouvert pour reconsidérer les faits de notre Histoire avec ses failles, ses défauts, ses points faibles et ses points forts.
Le Soir d’Algérie : Pourriez-vous nous présenter la fondation Emir Abdelkader et pour quel objectif a-t-elle été créée ?
Mohammed Boutaleb : L’idée de créer une fondation remonte à 1990 lorsque des historiens, des hommes de lettres et des politiciens, conscients du déficit dans la mémoire historique de l’Algérie, ont décidé de créer une organisation. Celle-ci se chargerait de pallier le déficit constaté au niveau des institutions censées jouer un rôle primordial dans la transmission de la mémoire historique. Suite à la première assemblée constitutive qui s’est tenue à Mascara en juillet 1991, la fondation a vu le jour, quelques mois plus tard. Elle a été agréée en novembre 1991. La fondation s’est tracé un programme qu’elle met en application de façon régulière. Une des activités de notre fondation consiste à donner différents éclairages sur ces pages d’histoire de l’Algérie éternelle qui ont été écrites par l’Emir, par ses khoulafa califes ou gouverneurs régionaux), souvent méconnus, et d’une manière générale par tous ceux qui sur cette terre ont inscrit le siècle dernier au grand dessein de forger une véritable nation dépassant les contingences régionalistes et tribales. Une nation susceptible de faire échec à la mainmise coloniale, à éditer aussi une société valorisant les potentialités de l’Algérie et puisant son inspiration dans son patrimoine religieux, culturel et linguistique millénaire. La fondation fonctionne avec un budget modeste et organise annuellement deux colloques importants, le 28 mai et le 27 novembre. Ces manifestations sont déclinées au niveau local par la trentaine de sections activant à travers le territoire national.
La commémoration du décès de l’Emir Abdelkader est passée quasi inaperçue. N’est-il pas temps de se pencher sérieusement sur l’œuvre et le parcours de l’Emir peu ou mal connus par les nouvelles générations ?
Effectivement, nous déplorons le fait qu’une date aussi importante que celle-ci ait été passée sous silence. C’est néanmoins un devoir qui incombe à tous que de faire en sorte que l’héritage historique soit transmis aux générations futures, et les dates sont autant de jalons nécessaires pour montrer l’itinéraire de l’Emir. Trop longtemps, en effet, l’inconscient collectif en Algérie a continué de rechercher dans l’historiographie déculpabilisante et moralisante de la colonisation, les composantes de son identité, les lambeaux de son passé. Chez nous, les responsables d’hautes institutions de l’Etat, pourtant invitées en bonne et due forme, dans une troublante unanimité, ont oublié le 26 mai, date à laquelle ils ont pourtant assisté les années précédentes. L’Emir ne méritait pas ce jour-là une minute de recueillement au Sénat et à l’APN ? Aucun des ambassadeurs arabes et musulmans n’a daigné venir au cimetière ou s’y faire représenter. Par contre, les ambassadeurs occidentaux et des Amériques étaient présents, un autre curieux paradoxe ! Mais cela n’empêche pas la fondation de suivre tranquillement son programme et de se rapprocher de temps en temps du mouvement associatif qui a montré sa véritable solidarité. La fondation a le devoir de restituer à la nation algérienne son fier passé et lui rappeler que cette terre qui a vu naître des hommes d’exception tels que l’Emir est en mesure d’enfanter de dignes héritiers. Au niveau de la fondation, la volonté est grande, bien que les moyens soient limités. Malgré cela, nous nous sentons contraints, vis-àvis des générations futures, de poursuivre cette lourde tâche, et cela quels qu’en soient les sacrifices. Ce n’est pas seulement par gratitude que nous commémorons les événements importants de notre histoire mais plutôt par devoir patriotique à l’égard de ceux et celles qui ont contribué à forger notre conscience, notre identité, notre nation et notre humanité. C’est à nos enfants que nous adressons ce message afin que l’histoire soit source de vie et également un socle sur lequel on bâtirait un avenir serein. Dans une période où règne la confusion et face au manque de référents solides, c’est tout naturellement que la personnalité de l’Emir Abdelkader apparaît à nos yeux. Ce qu’il faut savoir, c’est que ce dernier se réfère principalement, dans tout ce qu’il entreprend, au sein Coran. Ainsi l’image de l’Emir Abdelkader est véhiculée par la fondation à l’occasion des dates importantes, et/ou en collaboration avec d’autres associations algériennes ou étrangère. Paradoxalement, l’Emir continue à être davantage connu à l’étranger, dans les pays de son exil, qu’en Algérie. Des associations fleurissent en France où les historiens, chercheurs, hommes et femmes politiques d’origine maghrébine animent des rencontres politiques avec des responsables locaux curieux de mieux connaître l’itinéraire et la pensée de notre héros national. Un Français de Paris nous a écrit pour nous demander l’autorisation d’ériger un musée à la gloire de l’Emir. D’autres personnes l’ont fait pour créer des sections. La jeunesse aussi fait montre d’une saine curiosité, des groupes de lycéens d’Alger sont dirigés annuellement par l’académie vers des après-midi culturels organisés par la fondation et y participent avec un étonnant intérêt.
Ne faut-il pas enseigner son histoire d’une manière objective et recherchée dans nos écoles ?
Non seulement l’histoire de l’Emir Abdelkader doit être enseignée, après avoir été révisée bien entendu, mais également l’histoire de tous ceux qui lui ont succédé et ceci, jusqu’à l’indépendance de notre nation. Il faut avant de s’étendre sur la question, faire un bilan pour savoir où on en est. Nous nous devons d’abord de remercier tous ceux qui par leurs écrits, études et travaux de recherche, ont largement contribué afin que l’Emir Abdelkader retrouve la place qui lui revient dans une histoire atrophiée par l’historiographie dominante, qu’elle soit coloniale ou post-coloniale. Parmi les principaux auteurs algériens, nous citerons les professeurs Saâdallah, Mahfoud Kaddache, Cheikh Bouamrane, Yahya Bouaziz, le Dr Belhammissi, le Dr Mohamed-Chérif Sahli, le Dr Mahfoud Smati, Boualem Bessaieh, Me Abdelkader Boutaleb, le Dr Amiraoui, le Dr Rachid Benaïssa, le Pr Sahraoui, Kateb Yacine, Abdelaziz Ferrah, Amar Belkhodja, Mme Hassan Dawadji, Kebir Ammi, Ahmed Bouyerdene, Rabia Moussaoui, Waciny Laâredj, Abdelhamid Zouzou, Annane Laïd. Comme étrangers, nous citerons Henry Churchill, Alexandre Bellemare, Léon Roches, Marcel Emerit, D’Estailleur, Danziger, Colonel Scott, Général Azan, Dinezene, le compte de Civry, Charles André Julien, Charles-Robert Ageron, Augustin Berque, Jacques Berque, Bruno Etienne, François Pouillon, Christian Delorme, Martine Le Goz, et bien d’autres. Pourtant malgré la littérature abondante, fictive et non fictive, disponible aussi bien en arabe qu’en français que dans d’autres langues (anglais, espagnol, allemand, russe, polonais, danois, hollandais et même en thaïlandais), la jeune génération dans sa grande majorité, ne semble pas connaître l’histoire du fondateur de l’Etat moderne algérien. La fondation a contribué aux efforts individuels des auteurs précités en organisant, d’une part, de nombreuses manifestations culturelles (aussi bien sur le territoire national qu’à l’étranger), en commémorant les dates importantes telles que la Moubayaâ, les batailles contre l’envahisseur, le décès de l’Emir. D’autre part, en publiant de nombreux ouvrages, revues et actes de colloques dus à l’initiative de la fondation même. A ce propos et pour en revenir à l’enseignement de l’histoire, un livre de l’éminent historien algérien Yahya Bouaziz a été conçu et édité par la fondation afin d’être incorporé dans les programmes scolaires, une fois l’agrément obtenu.
On les retrouve dans quelques passages dans des manuels confectionnés à la hâte et sans recherche. Alors que des nations sans civilisation, sans Histoire, s’inventent des gloires et des victoires, nous, nous complaisons dans cette quête acharnée à ternir ce qui doit faire notre fierté.
Dans cet entretien que Mohammed Boutaleb, le président de la Fondation Emir Abdelkader nous a accordé, nous apprenons que l’Emir a conçu le premier Etat algérien avant même l’existence de l’Italie ou de l’Allemagne en tant que tels. C’est aussi le premier homme à avoir posé les jalons de ce qui est désormais appelé «les droits de l’homme» par sa façon de traiter les prisonniers de guerre et son équité face aux autres races qui composaient son armée. Il a été également considéré à son époque comme l’incarnation de la tolérance et du dialogue entre les religions pour avoir sauvé des milliers de chrétiens d’une mort certaine. Il serait peut-être temps de revoir la relation qu’a l’Algérien avec son histoire car, comme disent les sociologues, «on ne peut construire son avenir sans connaître son passé». Le débat est ouvert pour reconsidérer les faits de notre Histoire avec ses failles, ses défauts, ses points faibles et ses points forts.
Le Soir d’Algérie : Pourriez-vous nous présenter la fondation Emir Abdelkader et pour quel objectif a-t-elle été créée ?
Mohammed Boutaleb : L’idée de créer une fondation remonte à 1990 lorsque des historiens, des hommes de lettres et des politiciens, conscients du déficit dans la mémoire historique de l’Algérie, ont décidé de créer une organisation. Celle-ci se chargerait de pallier le déficit constaté au niveau des institutions censées jouer un rôle primordial dans la transmission de la mémoire historique. Suite à la première assemblée constitutive qui s’est tenue à Mascara en juillet 1991, la fondation a vu le jour, quelques mois plus tard. Elle a été agréée en novembre 1991. La fondation s’est tracé un programme qu’elle met en application de façon régulière. Une des activités de notre fondation consiste à donner différents éclairages sur ces pages d’histoire de l’Algérie éternelle qui ont été écrites par l’Emir, par ses khoulafa califes ou gouverneurs régionaux), souvent méconnus, et d’une manière générale par tous ceux qui sur cette terre ont inscrit le siècle dernier au grand dessein de forger une véritable nation dépassant les contingences régionalistes et tribales. Une nation susceptible de faire échec à la mainmise coloniale, à éditer aussi une société valorisant les potentialités de l’Algérie et puisant son inspiration dans son patrimoine religieux, culturel et linguistique millénaire. La fondation fonctionne avec un budget modeste et organise annuellement deux colloques importants, le 28 mai et le 27 novembre. Ces manifestations sont déclinées au niveau local par la trentaine de sections activant à travers le territoire national.
La commémoration du décès de l’Emir Abdelkader est passée quasi inaperçue. N’est-il pas temps de se pencher sérieusement sur l’œuvre et le parcours de l’Emir peu ou mal connus par les nouvelles générations ?
Effectivement, nous déplorons le fait qu’une date aussi importante que celle-ci ait été passée sous silence. C’est néanmoins un devoir qui incombe à tous que de faire en sorte que l’héritage historique soit transmis aux générations futures, et les dates sont autant de jalons nécessaires pour montrer l’itinéraire de l’Emir. Trop longtemps, en effet, l’inconscient collectif en Algérie a continué de rechercher dans l’historiographie déculpabilisante et moralisante de la colonisation, les composantes de son identité, les lambeaux de son passé. Chez nous, les responsables d’hautes institutions de l’Etat, pourtant invitées en bonne et due forme, dans une troublante unanimité, ont oublié le 26 mai, date à laquelle ils ont pourtant assisté les années précédentes. L’Emir ne méritait pas ce jour-là une minute de recueillement au Sénat et à l’APN ? Aucun des ambassadeurs arabes et musulmans n’a daigné venir au cimetière ou s’y faire représenter. Par contre, les ambassadeurs occidentaux et des Amériques étaient présents, un autre curieux paradoxe ! Mais cela n’empêche pas la fondation de suivre tranquillement son programme et de se rapprocher de temps en temps du mouvement associatif qui a montré sa véritable solidarité. La fondation a le devoir de restituer à la nation algérienne son fier passé et lui rappeler que cette terre qui a vu naître des hommes d’exception tels que l’Emir est en mesure d’enfanter de dignes héritiers. Au niveau de la fondation, la volonté est grande, bien que les moyens soient limités. Malgré cela, nous nous sentons contraints, vis-àvis des générations futures, de poursuivre cette lourde tâche, et cela quels qu’en soient les sacrifices. Ce n’est pas seulement par gratitude que nous commémorons les événements importants de notre histoire mais plutôt par devoir patriotique à l’égard de ceux et celles qui ont contribué à forger notre conscience, notre identité, notre nation et notre humanité. C’est à nos enfants que nous adressons ce message afin que l’histoire soit source de vie et également un socle sur lequel on bâtirait un avenir serein. Dans une période où règne la confusion et face au manque de référents solides, c’est tout naturellement que la personnalité de l’Emir Abdelkader apparaît à nos yeux. Ce qu’il faut savoir, c’est que ce dernier se réfère principalement, dans tout ce qu’il entreprend, au sein Coran. Ainsi l’image de l’Emir Abdelkader est véhiculée par la fondation à l’occasion des dates importantes, et/ou en collaboration avec d’autres associations algériennes ou étrangère. Paradoxalement, l’Emir continue à être davantage connu à l’étranger, dans les pays de son exil, qu’en Algérie. Des associations fleurissent en France où les historiens, chercheurs, hommes et femmes politiques d’origine maghrébine animent des rencontres politiques avec des responsables locaux curieux de mieux connaître l’itinéraire et la pensée de notre héros national. Un Français de Paris nous a écrit pour nous demander l’autorisation d’ériger un musée à la gloire de l’Emir. D’autres personnes l’ont fait pour créer des sections. La jeunesse aussi fait montre d’une saine curiosité, des groupes de lycéens d’Alger sont dirigés annuellement par l’académie vers des après-midi culturels organisés par la fondation et y participent avec un étonnant intérêt.
Ne faut-il pas enseigner son histoire d’une manière objective et recherchée dans nos écoles ?
Non seulement l’histoire de l’Emir Abdelkader doit être enseignée, après avoir été révisée bien entendu, mais également l’histoire de tous ceux qui lui ont succédé et ceci, jusqu’à l’indépendance de notre nation. Il faut avant de s’étendre sur la question, faire un bilan pour savoir où on en est. Nous nous devons d’abord de remercier tous ceux qui par leurs écrits, études et travaux de recherche, ont largement contribué afin que l’Emir Abdelkader retrouve la place qui lui revient dans une histoire atrophiée par l’historiographie dominante, qu’elle soit coloniale ou post-coloniale. Parmi les principaux auteurs algériens, nous citerons les professeurs Saâdallah, Mahfoud Kaddache, Cheikh Bouamrane, Yahya Bouaziz, le Dr Belhammissi, le Dr Mohamed-Chérif Sahli, le Dr Mahfoud Smati, Boualem Bessaieh, Me Abdelkader Boutaleb, le Dr Amiraoui, le Dr Rachid Benaïssa, le Pr Sahraoui, Kateb Yacine, Abdelaziz Ferrah, Amar Belkhodja, Mme Hassan Dawadji, Kebir Ammi, Ahmed Bouyerdene, Rabia Moussaoui, Waciny Laâredj, Abdelhamid Zouzou, Annane Laïd. Comme étrangers, nous citerons Henry Churchill, Alexandre Bellemare, Léon Roches, Marcel Emerit, D’Estailleur, Danziger, Colonel Scott, Général Azan, Dinezene, le compte de Civry, Charles André Julien, Charles-Robert Ageron, Augustin Berque, Jacques Berque, Bruno Etienne, François Pouillon, Christian Delorme, Martine Le Goz, et bien d’autres. Pourtant malgré la littérature abondante, fictive et non fictive, disponible aussi bien en arabe qu’en français que dans d’autres langues (anglais, espagnol, allemand, russe, polonais, danois, hollandais et même en thaïlandais), la jeune génération dans sa grande majorité, ne semble pas connaître l’histoire du fondateur de l’Etat moderne algérien. La fondation a contribué aux efforts individuels des auteurs précités en organisant, d’une part, de nombreuses manifestations culturelles (aussi bien sur le territoire national qu’à l’étranger), en commémorant les dates importantes telles que la Moubayaâ, les batailles contre l’envahisseur, le décès de l’Emir. D’autre part, en publiant de nombreux ouvrages, revues et actes de colloques dus à l’initiative de la fondation même. A ce propos et pour en revenir à l’enseignement de l’histoire, un livre de l’éminent historien algérien Yahya Bouaziz a été conçu et édité par la fondation afin d’être incorporé dans les programmes scolaires, une fois l’agrément obtenu.
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