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Nourritures Terrestres - André Gide

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  • Nourritures Terrestres - André Gide

    A F.
    Extrait des "Nourritures Terrestres" d'André Gide

    Nathanaël, je te parlerai des attentes. J’ai vu la plaine, pendant l’éte, attendre; attendre un peu de pluie. La poussière des routes était devenue trop légère et chaque souffle la soulevait. Ce n’était même plus un désir ; c’était une appréhension. La terre se gerçait do sécheresse comme pour plus d’accueil de l’eau. Les parfums des fleurs de la lande devenaient presque intolérables. Sous le soleil tout se pâmait. Nous allions chaque après-midi nous reposer sous la terrasse, abrités un peu de l’extraordinaire éclat du jour. C’était le temps où les arbres à cônes, chargés de pollen, agitent aisément leurs branches pour répandre au loin leur fécondation. Le ciel s’était chargé d’orage et toute la nature attendait. L’instant était d’une solennité trop oppressante, car tous les oiseaux s'étaient tus. Il monta de la terre un souffle si brûlant que l’on sentit tout défaillir ; le pollen des conifères sortit comme une fumée d’or des branche. - Puis il plut.
    J’ai vu le ciel frémir de l’attente de l’aube. Une à une les étoiles se fanaient. Les prés étaient inondés de rosée ; l’air n’avait que des caresses glaciales. Il sembla quelque temps que l’indistincte vie voulût s’attarder au sommeil, et ma
    tête encore lassée s’emplissait de torpeur. Je montai jusqu’a la lisière du bois ; je m’assis ; chaque bête reprit son travail et sa joie dans la certitude que le jour va venir, et le mystère de la vie recommença de s’ébruiter par chaque
    échancrure des feuilles. - Puis le jour vint.

    J’ai vu d’autres aurores encore. - J’ai vu l’attente de la nuit...

    Nathanaël, que chaque attente, en toi, ne soit même pas un desir, mais simplement une disposition à l’accueil. Attends tout ce qui vient à toi ; mais ne desire que ce qui vient a toi. Ne désire que ce que tu as. Comprends que chaque instant du jour tu peux posséder Dieu dans sa totalité. Que ton désir soit de l’amour, et que ta possession soit amoureuse. Car qu’est-ce qu’un desir qui n’est pas efficace ?

    Eh quoi ! Nathanaël, tu possédes Dieu et tu ne t’en étais pas aperçu! Posséder Dieu, c’est le voir ; mais on ne le regarde pas. Au détour d’aucun sentier, Balaam, n’as-tu vu Dieu, devant qui s’arrêtait ton âme, parce que toi tu te l’imaginais autrement. Nathanaël, il n’y a que Dieu que l’on ne puisse pas attendre. Attendre Dieu, Nathanaël, c’est ne comprendre pas que tu le possèdes déjà. Ne distingue pas, Dieu du bonheur et place tout ton bonheur dans l’instant.

    J’ai porté tout mon bien en moi, comme les femmes de l’Orient, pâle, sur elles, leur complête fortune. A chaque petit instant de ma vie j’ai pu sentir en moi la totalité de mon bien. Il était fait, non par l’addition de beaucoup de choses particuliéres, mais par mon unique adoration. J’ai constamment tenu tout mon bien en tout mon pouvoir.
    Regarde le soir comme si le jour y devait mourir ; et le matin comme, si toute chose naissait.

    Que ta vision soit à chaque instant nouvelle.
    Le sage est celui qui s’étonne de tout.

    Toute, ta fatigue de tête. vient, ô Nathanaël, de la diversité de tes biens. Tu ne sais même pas lequel entre tous tu préféres et tu ne comprends pas que l’unique bien c’est la vie. Le plus petit instant de vie est plus fort que la mort, et la
    nie. La mort n’est que la permission d’autres vies, pour que tout soit sans cesse renouvelé ; afin qu’aucune forme de vie ne détienne cela plus de temps qu’il ne lui en faut pour se dire.
    Heureux l’instant où ta parole retentit. Tout le reste du temps, Ecoute ; mais quand tu parles, n’écoute plus.

    Il faut, Nathanaël, que tu brûles en toi tous les livres.

  • #2
    RONDE POUR ADORER CE QUE J’AI BRULÉ

    Il y a des livres qu’on lit, assis sur une petite planchette
    Devant un pupitre d’écolier.
    Il y a des livres qu’on lit en marche
    (Et c’est aussi à cause de leur format) ;
    - Tels sont pour les forêts, tels pour d’autres campagnes,
    Et nobiscum rusticantur, dit Cicéron.
    Il y en a que je lus en diligence;
    D’autres couché au fond des greniers à foin.
    Il y en a pour faire croire qu’on a une âme;
    D’autres pour, la désespérer.
    Il y en a où l’on prouve l’existence de Dieu ;
    D’autres où l’on ne peut pas y arriver.

    Il y en a que l’on ne saurait admettre
    Que dans les bibliothiques privées.
    Il y en a qui ont reçu les éloges
    De beaucoup de critiques autorisées.
    Il y en a où il n’est question que d’apiculture
    Et que certains trouvent un peu spéciaux ;
    D’autres où il est tellement question de la nature,
    Qu’après ce n’est plus la peine de se promener.
    Il y en a que méprisent les sages hommes
    Mais qui excitent les petits enfants.

    Il y en a qu’on appelle des anthologies
    Et où l’on a mis tout ce qu’on a dit de mieux sur n’importe quoi.
    11 y en a qui voudraient vous faire aimer la vie ;
    D’autres aprés lesquels l’auteur s’est suicidé.
    Il y en a qui sèment la haine
    Et qui recoltent ce qu’ils ont semé.
    Il y en a qui, lorsqu’on les lit, semblent luire,
    Chargés d’extase, délicieux d’humilité.
    Il y en a que l’on chérit comme des frères
    Plus purs et qui ont vécu mieux que nous.
    Il y en a dans d’extraordinaires d'écritures
    Et qu’on ne comprend pas, même quand on
    les a beaucoup étudiées.

    Nathanaël, quand aurons-nous brûlé tous les livres !

    Il y en a qui ne valent pas quatre sous,
    D’autres qui valent des prix considérables.

    Il y en a qui parlent de rois et de reines,
    Et d’autres, de très pauvres gens.

    Il y en a dont les paroles sont plus douces
    Que le bruit des feuilles à midi.
    C’est un livre que mangea Jean à Patmos,
    Comme un rat; mais moi j’aime mieux les framboises.
    Ça lui a rempli d’amertume les entrailles
    Et après il a eu beaucoup de visions.

    II ne me suffit pas de lire que les sables des plages sont doux ; je veux que mes pieds nus le sentent... Toute connaissance que n’a pas précédée une sensation m’est inutile.
    Je n’ai jamais rien vu de doucement beau dans ce monde, sans désirer aussitôt que toute ma tendresse le touche. Amoureuse beauté de la terre, l’effloraison de la surface est merveilleuse...
    Ô paysage où mon désir s’est enfoncé ! Pays ouvert où ma recherche se promène ; allée de papyrus qui se referme sur de l’eau ; roseaux courbés sur la rivière ; ouvertures des clairières ; apparition de la plaine dans l’embrasure des branchages, de la promesse illimitée. Je me suis promené dans les couloirs de roches ou de plantes. J'ai vu se dérouler des printemps.
    Dernière modification par Tad, 13 décembre 2005, 15h49.

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    • #3
      VOLUBILITÉ DES PHÉNOMENES.

      Dès ce jour, chaque instant de ma vie prit pour moi la saveur de nouveauté d’un don absolument ineffable. Ainsi je vécus dans une presque perpétuelle stupéfaction passionnée. J’arrivais très vite à l’ivresse et me plaisais à marcher dans une sorte d’étourdissement.

      Certes, tout ce que j’ai rencontré de rire sur les lèvres, j’ai voulu l’embrasser ; de sang sur les joues, de larmes dans les yeux, j’ai voulu le boire ; mordre à la pulpe de tous les fruits que vers moi penchèrent des branches. A chaque auberge me saluait une faim ; devant chaque source m’attendait une soif - une soif, devant chacune, particulière ; - et j’aurais voulu d’autres mots pour marquer mes désirs
      de marche, où s’ouvrait une route ;
      de repos, où l’ombre invitait ;
      de nage, au bord des eaux profondes ;
      d’amour ou de sommeil au bord de chaque lit.
      J’ai porté hardiment ma main sur chaque chose et me suis cru des droits sur chaque objet de mes désirs. (Et d’ailleurs, ce que nous souhaitons, Nathanaël, ce n’est point tant la possession que l’amour.) Devant moi, ah! que toute chose s’irise ; que toute beauté se revête et se diapre de mon amour.

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