la renaissance du mythe kabyle
date de publication : mardi 20 mars 2007
Dans l’ouvrage qu’ils viennent de publier, « Marianne et Allah - Les politiques français face à la “ question musulmane ” » [1],Vincent Geisser et Aziz Zemouri montrent que le « communautarisme musulman », unanimement dénoncé aujourd’hui en France, est moins le produit d’un supposé activisme islamique que celui des responsables politiques français.
Retraçant la longue gestation républicaine du Conseil français du culte musulman (CFCM), ils révèlent tout ce qu’elle doit à l’héritage de l’Algérie coloniale. Vous trouverez ci-dessous deux extraits du chapitre 9, intitulé Kabyles démocrates contre musulmans fanatiques, où ils mettent en évidence la renaissance du mythe kabyle.
Kabyles démocrates contre musulmans fanatiques
« Pour les hommes politiques, la Kabylie c’est un département d’Outre-Mer. » Amar DIB, militant UMP,
membre du collège de la HALDE, novembre 2006.
« Les Kabyles seraient l’élément colonisateur par excellence que nous devrions employer pour faire de l’Algérie une véritable France. »
Jules Liorel, Kabylie du Jurjura, Éditions Leroux, 1892.
Pour la plupart des médias français, Idir est un chanteur kabyle et Souad Massi une chanteuse algérienne. Certes, le premier chante en tamazight (et en français) et la seconde en arabe (et en français), mais tous deux sont originaires du même pays, l’Algérie. Curieux distinguo qui laisse à penser qu’un Kabyle ne serait pas Algérien. De quoi faire se retourner dans leur tombe tous les militants kabyles de la première heure qui combattirent en faveur de l’indépendance de l’Algérie, dès les années 1920, au sein de l’Étoile nord-africaine, majoritairement kabyle, puis dans les rangs du FLN. Pourtant, le distinguo semble à géométrie variable : ainsi, on chercherait en vain dans la presse française la mention de l’origine kabyle de « méchants » avérés, comme le général-major Mohammed Médiène, dit « Tewfik », patron depuis 1990 du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), l’ex-Sécurité militaire, ou le général-major Mohammed Touati, tous deux symboles de l’« Algérie des généraux ». Comme s’il était impensable pour certains « spécialistes » de la question algérienne qu’un Kabyle puisse être ailleurs que dans le camp des « gentils ».membre du collège de la HALDE, novembre 2006.
« Les Kabyles seraient l’élément colonisateur par excellence que nous devrions employer pour faire de l’Algérie une véritable France. »
Jules Liorel, Kabylie du Jurjura, Éditions Leroux, 1892.
De même, on « oublie » qu’un bon tiers de la direction du Front islamique du salut (FIS) algérien était originaire de Kabylie, où ce parti a obtenu 25 % des voix lors des élections législatives de 1991 ; mais, pour la polémiste Caroline Fourest, c’est leur origine kabyle qui rendrait allergiques à toute concession politique envers les « intégristes » des personnalités françaises comme Malek Boutih, ancien porte-parole de SOS-Racisme, ou Fadéla Amara, présidente de Ni ***** ni soumises, une « jeune femme d’origine kabyle qui lutte contre l’obscurantisme [2] ». Un cliché devenu vérité d’évidence dans la France médiatique des années 1990 et 2000, notamment depuis le best-seller Une Algérienne debout (1995) de la très « éradicatrice » militante kabyle Khalida Messaoudi [3] devenue depuis ministre de la Culture du gouvernement de la « concorde civile ».
À lire le portrait de Fadéla Amara brossé en 2003 par Libération [4], on ne peut s’empêcher de penser à cette phrase du député radical Camille Sabatier, en 1882 : « C’est par la femme qu’on peut s’emparer de l’âme d’un peuple. » Mais la mémoire est oublieuse : peu férus d’histoire, les hérauts français contemporains des Kabyles défenseurs de la « laïcité républicaine » face au « fascisme vert » de l’islamisme ignorent sans doute qu’ils perpétuent le fameux « mythe kabyle », forgé sous la Ille République pour tenter de mater les musulmans d’Algérie rétifs à la domination coloniale.
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