Mehdi Lahlou : le maroc fait du sur place
Mehdi Lahlou fait partie de ces économistes qui notent mal les avancées réalisées par le Royaume. Les fondamentaux de l’économie nationale sont restés statiques. Un argumentaire qui dérange.
Al Bayane : Que peut-on dire sur les dix dernières années d’évolution de l’économie marocaine? Qu’est ce qui a été réalisé ou n’a pas pu l’être ?
Mehdi Lahlou : Le constat qu’on peut faire aujourd’hui est que le Maroc continue d’être considéré comme un pays en voie de développement. Il continue d’avoir un produit national par habitant parmi les plus faibles de la région. Il continue aussi à occuper un classement à l’international peu enviable, notamment en ce qui concerne l’Indice de développement humain qui est un indice synthétique qui permet de faire la jonction entre plusieurs éléments liés au facteur humain, aux conditions de vie, à l’espérance de vie, à l’éducation… Dans cet indice, le Maroc se trouve placé aux 126e et 127e rangs mondiaux, selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
Ce sont des choses qui sont extrêmement importantes qui montrent que, structurellement, les tendances d’avant 1999 n’ont pas pu être effacées en dix ans, très probablement parce que l’héritage des années antérieures était très négatif et parce que même si le discours et la manière de faire ont changé, même si on a l’impression qu’une dynamique nouvelle a été impulsée, une certaine vigueur a été insufflée à certaines structures et instances et à l’approche de gestion des affaires de l’Etat. Sur le plan de la gouvernance politique, comme c’est le cas pour la gouvernance sociale, les choses n’ont pas beaucoup changé et on a l’impression que l’économie continue à fonctionner selon les règles d’une économie de rente et non pas d’une économie ouverte sur le monde et sur son environnement et gérée de façon moderne. C’est donc un constat extrêmement important.
On a aussi l’impression qu’il y a une nouvelle dynamique, mais cette nouvelle dynamique et cette nouvelle façon d’agir n’ont pas permis, jusqu’à aujourd’hui, d’effacer l’héritage d’années antérieures et de changer les structures de l’économie nationale.
Pourquoi justement cette structure n’a pas changé ? Pourquoi les fondamentaux de l’économie nationale restent-ils à l’image de ce qu’ils étaient avant la période actuelle?
Parce que les moteurs qui permettent le changement n’ont pas changé au Maroc. Et parmi ces moteurs, on peut parler des questions de l’école et de la recherche scientifique, c’est-à-dire de la vitalité et de la qualification de ressources humaines. On peut parler aussi de la vitalité et de la modernité d’instances de gouvernance politique et aussi de contrôle et de suivi des axes de la politique économique et sociale de l’Etat. On peut parler aussi d’une espèce de léthargie au sein de la société marocaine, qui fait qu’on est davantage dans une posture d’attentisme et d’attente que dans une posture d’action et de réaction, une posture de dynamique sociale qui est seule à même de provoquer le changement et non pas d’attendre que le changement vienne par le haut.
Le problème le plus grave concerne l’école, la qualification des ressources humaines et la gouvernance politique et sociale du pays. Ces choses là, n’ont pas permis d’arriver à une mise à niveau de l’économie nationale et de l’école, et à une gouvernance moderne du pays sur les plans politique et économique. Elles n’ont pas permis de réaliser une modernisation et une diversification de l’appareil productif, ce qui fait que l’économie nationale reste fondée sur deux ou trois secteurs majeurs que sont le textile, les phosphates et dérivés, le tourisme et accessoirement l’agriculture qui continue à déterminer le taux de croissance de l’économie nationale.
Vers les années 2002 et jusqu’en 2006, on a commencé à dire qu’il y a eu rupture entre l’évolution du Produit intérieur brut (PIB) de façon globale et le PIB agricole. On constate de nouveau que cela n’est pas du tout vrai et que la performance économique globale du pays est intimement liée à la performance de son secteur agricole. Lorsque l’agriculture va, le PIB s’améliore et lorsque l’agriculture décroche, il y a un décrochage de l’ensemble de l’économie.
Concernant les divers aspects de la politique économique, si on procède indicateur par indicateur, on a une certaine ambivalence. Pour ce qui est de la dette, il y a effectivement une baisse de l’endettement extérieur du pays, mais je peux vous dire que cette baisse n’est pas liée à ce qui s’était passé en 1999, mais elle a commencé depuis 1993-1994 et, donc, c’est bien antérieur à cela. Je crois que cette baisse de l’endettement, est l’un des indicateurs dont l’économie marocaine peut se prévaloir.
S’agissant de la maîtrise de l’inflation, autre indicateur important, il y a besoin d’une analyse beaucoup plus approfondie, car en situation de faiblesse de la consommation nationale, la baisse du taux d’inflation peut signifier qu’on est en situation déflationniste.
Et pour ce qui est de l’ouverture sur l’extérieur, c’est là où les faiblesses de l’économie marocaine apparaissent au grand jour. L’ouverture signifie une aptitude à être concurrentiel et à occuper des marchés à l’international par le binôme qualité-prix et cela aurait dû se traduire par une amélioration de la balance commerciale du Maroc. Or, ce qu’on constate, c’est que le Maroc se trouve aujourd’hui dans un déficit commercial structurel important et permanent, avec un taux de couverture des importations par les exportations qui ne dépasse pas 45%, alors que ce taux était de 75% dans les années 1995 à 1997. Au premier trimestre de 2009, ce taux a baissé à 38%.
Il s’agit donc d’un indicateur majeur de fragilité de l’économie marocaine et cette fragilité n’est résorbée que grâce à un autre élément qu’on peut qualifier de primaire ou facteur naturel, qui est celui de l’exportation de la main d’œuvre marocaine à l’étranger, qui nous permet de recevoir, bon an mal an, à peu près 5,5 milliards de DH par an, soit 9 à 10% du PIB.
Ce sont là des éléments de fragilité importants qui montrent que le Maroc ne dispose pas encore d’un appareil productif moderne en mesure de permettre que le PIB soit libéré de la contrainte climatique et agricole et en mesure de donner aux entreprises marocaines une place significative sur le marché international et au sein de l’économie marocaine elle-même.
Pour ce qui est des projets structurants, ils auront un effet plus tard, mais à condition que l’appareil productif suive, à condition que les ressources humaines suivent, à condition qu’on sorte de la crise de l’école et à condition que la gouvernance économique générale change. Une autoroute est importante, s’il n’y a pas de marchandises à transporter sur cette autoroute, elle ne sert strictement à rien. Un port est aussi important, mais si ce port sert davantage à importer qu’à exporter, il ne sert strictement à rien. Une structure de l’Offshoring est quelque chose d’important, mais si cette structure sert davantage les intérêts étrangers plutôt que les intérêts nationaux, ça ne sert strictement à rien.
Ces investissements structurants doivent être accompagnés, d’une part, par des investissements conséquents et une mise à niveau conséquente au niveau du tissu productif industriel avec une diversification de ce tissu et, d’autre part, par une politique des revenus et une politique fiscale qui permettent que les effets bénéfiques de tels investissements structurants soient disséminés au sein de la société marocaine et ne restent pas orientés vers l’étranger
Il faut aussi reconnaître que le phénomène de la privatisation, tel qu’il s’est accéléré depuis 1999, donne l’impression que le Maroc a davantage perdu son contrôle de secteur importants que gagné à travers des investissements qu’il a réalisés, notamment depuis 1997 avec la deuxième licence de téléphonie et les contrats de gestion déléguée dans les trois grandes villes du pays.
Nous avons l’impression que ces privatisations ont été faites souvent pour des motifs plus idéologiques qu’économiques et sociaux et ont servi davantage des intérêts extérieurs que les intérêts nationaux marocains.
Propos recueillis
par Mostafa Znaïdi Al Bayane
Mehdi Lahlou fait partie de ces économistes qui notent mal les avancées réalisées par le Royaume. Les fondamentaux de l’économie nationale sont restés statiques. Un argumentaire qui dérange.
Al Bayane : Que peut-on dire sur les dix dernières années d’évolution de l’économie marocaine? Qu’est ce qui a été réalisé ou n’a pas pu l’être ?
Mehdi Lahlou : Le constat qu’on peut faire aujourd’hui est que le Maroc continue d’être considéré comme un pays en voie de développement. Il continue d’avoir un produit national par habitant parmi les plus faibles de la région. Il continue aussi à occuper un classement à l’international peu enviable, notamment en ce qui concerne l’Indice de développement humain qui est un indice synthétique qui permet de faire la jonction entre plusieurs éléments liés au facteur humain, aux conditions de vie, à l’espérance de vie, à l’éducation… Dans cet indice, le Maroc se trouve placé aux 126e et 127e rangs mondiaux, selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
Ce sont des choses qui sont extrêmement importantes qui montrent que, structurellement, les tendances d’avant 1999 n’ont pas pu être effacées en dix ans, très probablement parce que l’héritage des années antérieures était très négatif et parce que même si le discours et la manière de faire ont changé, même si on a l’impression qu’une dynamique nouvelle a été impulsée, une certaine vigueur a été insufflée à certaines structures et instances et à l’approche de gestion des affaires de l’Etat. Sur le plan de la gouvernance politique, comme c’est le cas pour la gouvernance sociale, les choses n’ont pas beaucoup changé et on a l’impression que l’économie continue à fonctionner selon les règles d’une économie de rente et non pas d’une économie ouverte sur le monde et sur son environnement et gérée de façon moderne. C’est donc un constat extrêmement important.
On a aussi l’impression qu’il y a une nouvelle dynamique, mais cette nouvelle dynamique et cette nouvelle façon d’agir n’ont pas permis, jusqu’à aujourd’hui, d’effacer l’héritage d’années antérieures et de changer les structures de l’économie nationale.
Pourquoi justement cette structure n’a pas changé ? Pourquoi les fondamentaux de l’économie nationale restent-ils à l’image de ce qu’ils étaient avant la période actuelle?
Parce que les moteurs qui permettent le changement n’ont pas changé au Maroc. Et parmi ces moteurs, on peut parler des questions de l’école et de la recherche scientifique, c’est-à-dire de la vitalité et de la qualification de ressources humaines. On peut parler aussi de la vitalité et de la modernité d’instances de gouvernance politique et aussi de contrôle et de suivi des axes de la politique économique et sociale de l’Etat. On peut parler aussi d’une espèce de léthargie au sein de la société marocaine, qui fait qu’on est davantage dans une posture d’attentisme et d’attente que dans une posture d’action et de réaction, une posture de dynamique sociale qui est seule à même de provoquer le changement et non pas d’attendre que le changement vienne par le haut.
Le problème le plus grave concerne l’école, la qualification des ressources humaines et la gouvernance politique et sociale du pays. Ces choses là, n’ont pas permis d’arriver à une mise à niveau de l’économie nationale et de l’école, et à une gouvernance moderne du pays sur les plans politique et économique. Elles n’ont pas permis de réaliser une modernisation et une diversification de l’appareil productif, ce qui fait que l’économie nationale reste fondée sur deux ou trois secteurs majeurs que sont le textile, les phosphates et dérivés, le tourisme et accessoirement l’agriculture qui continue à déterminer le taux de croissance de l’économie nationale.
Vers les années 2002 et jusqu’en 2006, on a commencé à dire qu’il y a eu rupture entre l’évolution du Produit intérieur brut (PIB) de façon globale et le PIB agricole. On constate de nouveau que cela n’est pas du tout vrai et que la performance économique globale du pays est intimement liée à la performance de son secteur agricole. Lorsque l’agriculture va, le PIB s’améliore et lorsque l’agriculture décroche, il y a un décrochage de l’ensemble de l’économie.
Concernant les divers aspects de la politique économique, si on procède indicateur par indicateur, on a une certaine ambivalence. Pour ce qui est de la dette, il y a effectivement une baisse de l’endettement extérieur du pays, mais je peux vous dire que cette baisse n’est pas liée à ce qui s’était passé en 1999, mais elle a commencé depuis 1993-1994 et, donc, c’est bien antérieur à cela. Je crois que cette baisse de l’endettement, est l’un des indicateurs dont l’économie marocaine peut se prévaloir.
S’agissant de la maîtrise de l’inflation, autre indicateur important, il y a besoin d’une analyse beaucoup plus approfondie, car en situation de faiblesse de la consommation nationale, la baisse du taux d’inflation peut signifier qu’on est en situation déflationniste.
Et pour ce qui est de l’ouverture sur l’extérieur, c’est là où les faiblesses de l’économie marocaine apparaissent au grand jour. L’ouverture signifie une aptitude à être concurrentiel et à occuper des marchés à l’international par le binôme qualité-prix et cela aurait dû se traduire par une amélioration de la balance commerciale du Maroc. Or, ce qu’on constate, c’est que le Maroc se trouve aujourd’hui dans un déficit commercial structurel important et permanent, avec un taux de couverture des importations par les exportations qui ne dépasse pas 45%, alors que ce taux était de 75% dans les années 1995 à 1997. Au premier trimestre de 2009, ce taux a baissé à 38%.
Il s’agit donc d’un indicateur majeur de fragilité de l’économie marocaine et cette fragilité n’est résorbée que grâce à un autre élément qu’on peut qualifier de primaire ou facteur naturel, qui est celui de l’exportation de la main d’œuvre marocaine à l’étranger, qui nous permet de recevoir, bon an mal an, à peu près 5,5 milliards de DH par an, soit 9 à 10% du PIB.
Ce sont là des éléments de fragilité importants qui montrent que le Maroc ne dispose pas encore d’un appareil productif moderne en mesure de permettre que le PIB soit libéré de la contrainte climatique et agricole et en mesure de donner aux entreprises marocaines une place significative sur le marché international et au sein de l’économie marocaine elle-même.
Pour ce qui est des projets structurants, ils auront un effet plus tard, mais à condition que l’appareil productif suive, à condition que les ressources humaines suivent, à condition qu’on sorte de la crise de l’école et à condition que la gouvernance économique générale change. Une autoroute est importante, s’il n’y a pas de marchandises à transporter sur cette autoroute, elle ne sert strictement à rien. Un port est aussi important, mais si ce port sert davantage à importer qu’à exporter, il ne sert strictement à rien. Une structure de l’Offshoring est quelque chose d’important, mais si cette structure sert davantage les intérêts étrangers plutôt que les intérêts nationaux, ça ne sert strictement à rien.
Ces investissements structurants doivent être accompagnés, d’une part, par des investissements conséquents et une mise à niveau conséquente au niveau du tissu productif industriel avec une diversification de ce tissu et, d’autre part, par une politique des revenus et une politique fiscale qui permettent que les effets bénéfiques de tels investissements structurants soient disséminés au sein de la société marocaine et ne restent pas orientés vers l’étranger
Il faut aussi reconnaître que le phénomène de la privatisation, tel qu’il s’est accéléré depuis 1999, donne l’impression que le Maroc a davantage perdu son contrôle de secteur importants que gagné à travers des investissements qu’il a réalisés, notamment depuis 1997 avec la deuxième licence de téléphonie et les contrats de gestion déléguée dans les trois grandes villes du pays.
Nous avons l’impression que ces privatisations ont été faites souvent pour des motifs plus idéologiques qu’économiques et sociaux et ont servi davantage des intérêts extérieurs que les intérêts nationaux marocains.
Propos recueillis
par Mostafa Znaïdi Al Bayane
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