Fils de ministres, produits de «généraux»
par Kamel Daoud
Dans un savoureux jeu de totems, certains produits de base sont désignés en Algérie par les noms des généraux, familles ou ministres qui sont «derrière». C'est la carte supposée des nouveaux monopoles d'Etat après la fin des EDIMCO. Réalités indigènes ou mythe critique, chaque produit de première nécessité a son parrain, sa société-écran et ses prête-noms. Selon les plus initiés cependant, les choses sont plus complexes. L'économie algérienne ne se partage pas en «généraux» mais en cercles. Le premier est celui des figurants certes, le second l'est de moins en moins : à Alger, tout le monde raconte son anecdote sur cette mystérieuse confrérie pubère des fils de ministres, surtout quatre ou cinq d'entre eux dont il ne faut pas citer les noms, patrons truculents de quelques alimentations vraiment générales. par Kamel Daoud
On y retrouve un peu la trace des golden-boys des économies spéculatives modernes mais en version moins superbe. Ce n'est pas du Wall Street mais du cocotier de papa. «Les hommes de l'Etat investissent aujourd'hui leur argent à Dubaï. Ce qui reste à manger en Algérie, ils le laissent pour les fils», explique un initié, ancien homme fort des Pouvoirs avec cette profonde acuité qu'acquièrent les hommes qui ont été mis à la retraite par le régime et qui ne gardent de leur ancienne vie que le cerveau et les yeux, sans la télécommande. Cette version des faits d'une politique économique pour les idiots et une autre pour les détenteurs de la décision, fonctionne comme un ventriloque malin à l'intérieur de tout discours de relance économique en Algérie. C'est dans ce cercle d'initiés qu'un opérateur économique algérien débutant cherchera son «information», sondera les intentions et optera pour des choix de produits à importer ou fabriquer en fonction du partage des cocotiers.
Tous les hommes d'affaires algériens travaillent avec la certitude qu'il suffit d'un seul faux pas pour se voir retirer son «affaire» et dissoudre aux vents sa société. L'opacité de ce système est tel qu'on ne sait même plus qui corrompre et qui payer, ni qui inviter. Selon d'autres politologues, ce système de parrainage a ce défaut de ne pas être pyramidale mais en réseaux de foyers de pouvoirs horizontaux : c'est-à-dire vous pouvez vous faire parrainer par un «parapluie» à Alger, cela peut ne rien vous servir à Oran, pour cause de mauvais décryptage des rapports de force.
Et tout le monde sait que si Bouteflika n'a pas de fils, ses ministres en ont un peu trop.
Le Quotidien d'Oran .
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