Synthèse de la conférence organisée par la Fondation pour l’innovation politique, le Centre for European Studies et l’Institut pour la démocratie Constantin Karamanlis. Paris, vendredi 19 juin 2009
Le vendredi 19 juin 2009, la Fondation pour l’innovation politique, en partenariat avec le Centre for European Studies et l’Institut pour la démocratie Constantin-Karamanlis, a organisé une demi-journée de débat sur le thème « L’Union pour la Méditerranée un an après.
Quels progrès ? » Ont notamment participé : Dominique Baudis, président de l’Institut du monde arabe ; S. E. Nassif Hitti, ambassadeur, directeur de la représentation diplomatique de la Ligue arabe à Paris ; Gilles Mentré, conseiller à cellule Union pour la Méditerranée de la présidence de la République française ; Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique ; Fanny Durville, coordinatrice du conseil consultatif de la Fondation euroméditerranéenne Anna Lindh ; Abdelmaksoud Rachdi, président de la plateforme non gouvernementale EuroMed ; Thierry Fabre, coordinateur scientifique du réseau d’excellence des maisons en sciences humaines, Ramses II ; Michel Crépu, directeur de La Revue des Deux Mondes ; Robert del Picchia, sénateur des Français établis hors de France, vice-présidence de la commission des affaires étrangères ; Ikolaos Tzifakis, directeur des relations internationales, Institut pour la démocratie Constantin-Karamanlis, Leïla Ghandi, photographe-reporter, trophée France Euro-Méditerranée 2008 ; Panagiotis Roumeliotis, président de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen ; Tomi Huhtanen, directeur général du Centre for European Studies ; Georges Prevelakis, professeur de géopolitique à l’Université Panthéon-Sorbonne Paris-I.
Unité, diversité, Méditerranée
Les faits sont têtus dans la mare nostrum. L’espace méditerranéen se morcèle dès qu’une réflexion ou des projets s’amorcent pour réaliser son unité. Comme le processus de Barcelone en 1995, l’Union pour la Méditerranée a dû affronter les tensions politiques internes nées de la crise de Ghaza, quelques mois à peine après son lancement. Dans ce climat, « vivre autour » de la Méditerranée paraît une perspective fragile et « vivre ensemble » une douce utopie. C’est là tout le défi relevé et porté par l’Union pour la Méditerranée, inaugurée lors du sommet de Paris du 13 juillet 2008 : unir ce que la Méditerranée sépare, c’est-à-dire les réalités sociales, économiques et politiques distinctes du Nord et du Sud, ainsi qu’au sein du sud. Ce décalage ne doit pas être sous-estimé. Ainsi que le note Dominique Baudis, le produit intérieur brut par habitant des pays du Nord-est, en moyenne, dix fois supérieur à celui du Sud. Quant à l’identité Méditerranée, Nassif Hitti se garde de lui prêter la nature d’un ferment propre à renforcer l’unité de la Méditerranée :
l’« identité méditerranéenne » si souvent mise en avant n’a pas d’incarnation réelle. Parler d’identité méditerranéenne dans le sens socio-historique, c’est confondre le souhait avec la réalité.
Penser à créer une identité méditerranéenne dans le sens fonctionnel d’une « identité à construire est un projet à faire ». Allant plus loin, le sénateur Robert del Picchia se demande « si la recherche d’unité, d’union à tout prix, ne complique pas ou ne retarde pas la réalisation de coopérations concrètes, qui sont pourtant urgentes et qui constituent la raison d’être de l’Union pour la Méditerranée ».
Autrement dit, corollairement à la morphologie complexe de la région, la configuration des relations méditerranéennes ne peut être que « dialogique ».(1) L’unité de l’espace méditerranéen se construira sur la base de l’hétérogénéité socioculturelle existant entre le Sud et le Nord ; et sans que la dualité des approches se perde dans cette unité. En ce sens, Georges Prevelakis imagine la Méditerranée comme « un ensemble de cercles qui se combinent et qui créent une unité. Celle-ci n’est pas monolithique : elle est générée à partir d’interactions, d’interpénétrations ». De façon proche, Nassif Hitti voit, dans la Méditerranée, l’expression de la « dialectique des deux banlieues ». « Ce qui se passe dans la banlieue sud de l’Europe a de l’influence directe sur ce qui se passe dans les capitales européennes ; et, inversement, ce qui se passe dans les banlieues du Nord produit des répercussions sur la rive sud. On ne peut pas éviter ce genre de mariage né de la géographie, renforcé par l’histoire et la sociologie. Le tout est de savoir comment gérer la vie de ce couple pour le bien de tous. » Mais même si les cultures diffèrent autour de la Méditerranée, que « cela ne nous empêche pas de constater que cette mer est un vecteur de transport et d’échanges de marchandises, mais aussi d’échanges et de compréhension entre tous », souligne Francis Mer. Face à ce constat, « l’Union pour la Méditerranée n’entend pas inventer de nouvelles relations entre des peuples et des territoires qui vivent ensemble depuis plus de 2000 ans, relève Dominique Reynié, mais apporter la possibilité de développer un projet commun. »
Construire la Méditerranée : l’impératif de la compréhension réciproque
Consacrée aux Représentations de l’altérité au sein de la Méditerranée, la première table ronde soulève l’impérieuse nécessité qu’il y a à réintroduire une dimension culturelle dans le processus d’Union pour la Méditerranée. Les incompréhensions réciproques sont nombreuses, nourries par l’histoire, les niveaux de développements socioéconomiques, des codes linguistiques différents. « Notre relation à l’autre est appréhendée à travers notre seule grille de lecture et de nos seuls repères », observe Leïla Ghandi. La Méditerranée, sa complexité sont en partie le reflet de nos propres représentations mentales. Thierry Fabre en donne une illustration saisissante : la carte d’un géographe arabe du XIIe siècle qui servit le roi de Sicile, d’origine normande, Roger II. Cette carte propose une vision renversée du monde connu où l’Afrique est située en haut et l’Europe en bas.
Selon Thierry Fabre, « l’une des raisons de l’impasse dans laquelle s’est retrouvé le processus de Barcelone tient au fait que ses projets ont été construits avec une représentation descendante, verticale où la Méditerranée était perçue comme une sous-région de l’Europe. Or, la Méditerranée est un monde à part entière. Il importe, par conséquent, de se détacher de ces cartes qui entravent nos regards, qui nous empêchent de penser le monde méditerranéen du XXIe siècle dans une vision post-braudelienne ». Dès lors, les concepts a priori les plus simples, comme celui d’Union, soulèvent ainsi de nombreuses interrogations. « Dans les pays arabes, le terme ‘‘Union’’ (...) était considéré avec beaucoup de circonspection, parce que rentrer dans une union avec Israël est évidemment politiquement lourd de significations », rappelle Dominique Baudis. Par conséquent, la formule qui a été utilisée était « une union de projet concrets précis pour un projet d’Union ». Construire ensemble cette Méditerranée de demain suppose pour Leïla Ghandi de « se désexciter ». Il faut sortir des images d’Epinal, y compris sur les questions les plus sensibles comme celles relatives à la religion. Des études récentes encadrées par Thierry Fabre sur les lieux saints partagés entre chrétiens, musulmans et juifs (2) montrent que « les pratiques populaires relatives aux pèlerinages communs en Méditerranée sont l’expression d’un tissu relationnel transculturel et religieux. Ces pratiques, qui touchent des millions de personnes, témoignent d’une profonde intelligence de l’Autre. Une réalité bien éloignée des images d’‘‘excités’’ présentées par les grands médias pendant la crise des caricatures ! »
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Le vendredi 19 juin 2009, la Fondation pour l’innovation politique, en partenariat avec le Centre for European Studies et l’Institut pour la démocratie Constantin-Karamanlis, a organisé une demi-journée de débat sur le thème « L’Union pour la Méditerranée un an après.
Quels progrès ? » Ont notamment participé : Dominique Baudis, président de l’Institut du monde arabe ; S. E. Nassif Hitti, ambassadeur, directeur de la représentation diplomatique de la Ligue arabe à Paris ; Gilles Mentré, conseiller à cellule Union pour la Méditerranée de la présidence de la République française ; Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique ; Fanny Durville, coordinatrice du conseil consultatif de la Fondation euroméditerranéenne Anna Lindh ; Abdelmaksoud Rachdi, président de la plateforme non gouvernementale EuroMed ; Thierry Fabre, coordinateur scientifique du réseau d’excellence des maisons en sciences humaines, Ramses II ; Michel Crépu, directeur de La Revue des Deux Mondes ; Robert del Picchia, sénateur des Français établis hors de France, vice-présidence de la commission des affaires étrangères ; Ikolaos Tzifakis, directeur des relations internationales, Institut pour la démocratie Constantin-Karamanlis, Leïla Ghandi, photographe-reporter, trophée France Euro-Méditerranée 2008 ; Panagiotis Roumeliotis, président de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen ; Tomi Huhtanen, directeur général du Centre for European Studies ; Georges Prevelakis, professeur de géopolitique à l’Université Panthéon-Sorbonne Paris-I.
Unité, diversité, Méditerranée
Les faits sont têtus dans la mare nostrum. L’espace méditerranéen se morcèle dès qu’une réflexion ou des projets s’amorcent pour réaliser son unité. Comme le processus de Barcelone en 1995, l’Union pour la Méditerranée a dû affronter les tensions politiques internes nées de la crise de Ghaza, quelques mois à peine après son lancement. Dans ce climat, « vivre autour » de la Méditerranée paraît une perspective fragile et « vivre ensemble » une douce utopie. C’est là tout le défi relevé et porté par l’Union pour la Méditerranée, inaugurée lors du sommet de Paris du 13 juillet 2008 : unir ce que la Méditerranée sépare, c’est-à-dire les réalités sociales, économiques et politiques distinctes du Nord et du Sud, ainsi qu’au sein du sud. Ce décalage ne doit pas être sous-estimé. Ainsi que le note Dominique Baudis, le produit intérieur brut par habitant des pays du Nord-est, en moyenne, dix fois supérieur à celui du Sud. Quant à l’identité Méditerranée, Nassif Hitti se garde de lui prêter la nature d’un ferment propre à renforcer l’unité de la Méditerranée :
l’« identité méditerranéenne » si souvent mise en avant n’a pas d’incarnation réelle. Parler d’identité méditerranéenne dans le sens socio-historique, c’est confondre le souhait avec la réalité.
Penser à créer une identité méditerranéenne dans le sens fonctionnel d’une « identité à construire est un projet à faire ». Allant plus loin, le sénateur Robert del Picchia se demande « si la recherche d’unité, d’union à tout prix, ne complique pas ou ne retarde pas la réalisation de coopérations concrètes, qui sont pourtant urgentes et qui constituent la raison d’être de l’Union pour la Méditerranée ».
Autrement dit, corollairement à la morphologie complexe de la région, la configuration des relations méditerranéennes ne peut être que « dialogique ».(1) L’unité de l’espace méditerranéen se construira sur la base de l’hétérogénéité socioculturelle existant entre le Sud et le Nord ; et sans que la dualité des approches se perde dans cette unité. En ce sens, Georges Prevelakis imagine la Méditerranée comme « un ensemble de cercles qui se combinent et qui créent une unité. Celle-ci n’est pas monolithique : elle est générée à partir d’interactions, d’interpénétrations ». De façon proche, Nassif Hitti voit, dans la Méditerranée, l’expression de la « dialectique des deux banlieues ». « Ce qui se passe dans la banlieue sud de l’Europe a de l’influence directe sur ce qui se passe dans les capitales européennes ; et, inversement, ce qui se passe dans les banlieues du Nord produit des répercussions sur la rive sud. On ne peut pas éviter ce genre de mariage né de la géographie, renforcé par l’histoire et la sociologie. Le tout est de savoir comment gérer la vie de ce couple pour le bien de tous. » Mais même si les cultures diffèrent autour de la Méditerranée, que « cela ne nous empêche pas de constater que cette mer est un vecteur de transport et d’échanges de marchandises, mais aussi d’échanges et de compréhension entre tous », souligne Francis Mer. Face à ce constat, « l’Union pour la Méditerranée n’entend pas inventer de nouvelles relations entre des peuples et des territoires qui vivent ensemble depuis plus de 2000 ans, relève Dominique Reynié, mais apporter la possibilité de développer un projet commun. »
Construire la Méditerranée : l’impératif de la compréhension réciproque
Consacrée aux Représentations de l’altérité au sein de la Méditerranée, la première table ronde soulève l’impérieuse nécessité qu’il y a à réintroduire une dimension culturelle dans le processus d’Union pour la Méditerranée. Les incompréhensions réciproques sont nombreuses, nourries par l’histoire, les niveaux de développements socioéconomiques, des codes linguistiques différents. « Notre relation à l’autre est appréhendée à travers notre seule grille de lecture et de nos seuls repères », observe Leïla Ghandi. La Méditerranée, sa complexité sont en partie le reflet de nos propres représentations mentales. Thierry Fabre en donne une illustration saisissante : la carte d’un géographe arabe du XIIe siècle qui servit le roi de Sicile, d’origine normande, Roger II. Cette carte propose une vision renversée du monde connu où l’Afrique est située en haut et l’Europe en bas.
Selon Thierry Fabre, « l’une des raisons de l’impasse dans laquelle s’est retrouvé le processus de Barcelone tient au fait que ses projets ont été construits avec une représentation descendante, verticale où la Méditerranée était perçue comme une sous-région de l’Europe. Or, la Méditerranée est un monde à part entière. Il importe, par conséquent, de se détacher de ces cartes qui entravent nos regards, qui nous empêchent de penser le monde méditerranéen du XXIe siècle dans une vision post-braudelienne ». Dès lors, les concepts a priori les plus simples, comme celui d’Union, soulèvent ainsi de nombreuses interrogations. « Dans les pays arabes, le terme ‘‘Union’’ (...) était considéré avec beaucoup de circonspection, parce que rentrer dans une union avec Israël est évidemment politiquement lourd de significations », rappelle Dominique Baudis. Par conséquent, la formule qui a été utilisée était « une union de projet concrets précis pour un projet d’Union ». Construire ensemble cette Méditerranée de demain suppose pour Leïla Ghandi de « se désexciter ». Il faut sortir des images d’Epinal, y compris sur les questions les plus sensibles comme celles relatives à la religion. Des études récentes encadrées par Thierry Fabre sur les lieux saints partagés entre chrétiens, musulmans et juifs (2) montrent que « les pratiques populaires relatives aux pèlerinages communs en Méditerranée sont l’expression d’un tissu relationnel transculturel et religieux. Ces pratiques, qui touchent des millions de personnes, témoignent d’une profonde intelligence de l’Autre. Une réalité bien éloignée des images d’‘‘excités’’ présentées par les grands médias pendant la crise des caricatures ! »
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