Après la fraude massive lors de l'élection du 12 juin, le monde a braqué des yeux ébahis sur l'Iran. Une bouffée de rébellion au coeur de la dictature, prenant pour symbole le visage ensanglanté de la jeune Neda... Puis le rideau est tombé. Que se passe-t-il depuis que le pouvoir a bâillonné les mécontents?
De son exil en France, Ahmad Salamatian, ancien compagnon de route du premier président de la République islamique, Abolhassan Bani Sadr, qui fut destitué par l'ayatollah Khomeini dès 1981, remonte le fil d'une révolte annoncée. Observateur attentif ayant regagné son pays, ces dernières années, pour de brefs séjours, il adosse, voix douce et mots à la pointe sèche, les événements d'aujourd'hui à ceux d'hier. Non, la protestation n'est pas défaite. Elle a délégitimé le régime, pris à son propre piège, la contestation politique devenant nécessairement religieuse. Elle a révélé une aspiration profonde, visant à concilier islam et liberté.
Face à la force de la répression, le mouvement né au lendemain de l'élection du 12 juin est-il mort?
Les manifestants ont peut-être perdu la première manche, mais ce n'est que le début... Car il ne s'agit ni d'une révolution ni d'un mouvement insurrectionnel, mais bien d'une contestation civique, qui ne s'insère pas dans un rapport de forces et ne peut donc être combattue par les armes. La répression brutale l'a obligée à trouver d'autres formes d'action: elle ne l'a pas anéantie. Désormais, nous assistons à un affrontement à l'intérieur même du régime. La légitimité du pouvoir est en cause et la contestation est en train de s'installer, durablement, au coeur de la vie politique.
Depuis sa création, la République islamique reposait sur une double légitimité, à la fois populaire, à travers le suffrage universel, et religieuse. Cet équilibre est-il rompu?
Avant de vous répondre, un rapide retour historique s'impose. Après la révolution islamique de 1979, qui était une révolution de masse, le premier projet de la Constitution affirmait la primauté du suffrage universel. Mais les religieux ont réussi à imposer leur tutelle, profitant du vide laissé par le chah: la monarchie avait fait table rase de toutes les institutions représentatives de la société, sans permettre à de nouvelles structures, syndicales ou politiques, de prendre le relais. Le turban a donc remplacé la couronne.
Jusqu'à sa mort, en 1989, c'est d'abord l'ayatollah Khomeini qui a exercé cette tutelle religieuse, auréolé d'une légitimité incontestée. Son successeur annoncé était l'ayatollah Hossein Ali Montazeri. Mais, en 1988, celui-ci a été écarté pour avoir protesté contre les exécutions massives de prisonniers. Montazeri était l'un des théoriciens du velayat-e faqih, ou "gouvernement du docte" (NDLR, la tutelle du juriste théologien), qui est le fondement de la théocratie iranienne. Les autres grandes figures religieuses n'étaient pas sur cette ligne.
Privé de son dauphin, le régime n'avait donc pas de Guide vraiment crédible sur le plan religieux pour succéder à Khomeini. Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, à l'époque président du Parlement, dont l'influence était grande, a convaincu l'Assemblée des experts de désigner Ali Khamenei, un hodjatoleslam - l'équivalent d'un curé de paroisse.
Et la nomination de Khamenei a mis à nu la contradiction inhérente au système...
En greffant la souveraineté divine sur la souveraineté populaire, les "constituants" de 1980 avaient déjà créé une chimère. Avec Khamenei, le rôle du Guide a, en effet, changé: il a, peu à peu, délaissé la primauté du terrain religieux, pour laquelle il se savait contesté, afin de se consacrer au commandement des forces armées et des services de sécurité, dont il est devenu le vrai patron. Sous le turban, le képi...
Un coup d'Etat rampant, en somme?
Oui. Mais Khamenei, le Guide suprême de la révolution, n'avait pas, pour autant, les moyens d'empêcher la tenue des nombreuses consultations électorales prévues par la Constitution ou par la loi. Il s'est rapidement demandé comment il pouvait, à défaut de les supprimer, contrôler ces élections et les transformer en plébiscites.
S'il n'y est pas parvenu tout de suite, c'est qu'il y a, en Iran, au sommet du pouvoir, une certaine forme de pluralisme, avec des factions et des clans appuyés sur des réseaux. Il n'a donc pas pu empêcher, en 1997, l'élection du candidat réformateur, Mohammad Khatami. Mais il était bien décidé à faire en sorte que la situation ne se reproduise pas.
En 2005, il a réussi à faire élire son poulain, le très populiste Mahmoud Ahmadinejad, grâce aussi à la division du camp réformateur. Après quatre ans, le bilan d'Ahmadinejad s'est révélé catastrophique. Khamenei n'en a pas moins décidé qu'il devait rempiler pour un deuxième mandat, en dépit des mises en garde répétées de plusieurs de ses conseillers.
Quitte à passer en force?
Oui. Khamenei voulait mettre un terme au pluralisme des factions au sommet de l'Etat, débarquer, cette fois définitivement, Rafsandjani, barrer durablement la route au clan réformateur et parachever l'édification d'un pouvoir personnel assis sur l'appareil sécuritaire. Cela passait par la victoire d'Ahmadinejad... Khamenei a fait en sorte que celui-ci n'ait aucun rival issu de son propre camp.
Le Conseil des gardiens de la Constitution, dont la majorité des membres est désignée par le Guide et qui est chargé de sélectionner les candidats, n'en a avalisé que 4 sur 475. Khatami a renoncé à se présenter, après avoir subi de fortes pressions. Et si, sur quatre candidats sélectionnés, deux réformateurs ont finalement été autorisés à concourir, c'est parce qu'on espérait, comme en 2005, que la division du camp adverse jouerait en faveur d'Ahmadinejad.
De son exil en France, Ahmad Salamatian, ancien compagnon de route du premier président de la République islamique, Abolhassan Bani Sadr, qui fut destitué par l'ayatollah Khomeini dès 1981, remonte le fil d'une révolte annoncée. Observateur attentif ayant regagné son pays, ces dernières années, pour de brefs séjours, il adosse, voix douce et mots à la pointe sèche, les événements d'aujourd'hui à ceux d'hier. Non, la protestation n'est pas défaite. Elle a délégitimé le régime, pris à son propre piège, la contestation politique devenant nécessairement religieuse. Elle a révélé une aspiration profonde, visant à concilier islam et liberté.
Face à la force de la répression, le mouvement né au lendemain de l'élection du 12 juin est-il mort?
Les manifestants ont peut-être perdu la première manche, mais ce n'est que le début... Car il ne s'agit ni d'une révolution ni d'un mouvement insurrectionnel, mais bien d'une contestation civique, qui ne s'insère pas dans un rapport de forces et ne peut donc être combattue par les armes. La répression brutale l'a obligée à trouver d'autres formes d'action: elle ne l'a pas anéantie. Désormais, nous assistons à un affrontement à l'intérieur même du régime. La légitimité du pouvoir est en cause et la contestation est en train de s'installer, durablement, au coeur de la vie politique.
Depuis sa création, la République islamique reposait sur une double légitimité, à la fois populaire, à travers le suffrage universel, et religieuse. Cet équilibre est-il rompu?
Avant de vous répondre, un rapide retour historique s'impose. Après la révolution islamique de 1979, qui était une révolution de masse, le premier projet de la Constitution affirmait la primauté du suffrage universel. Mais les religieux ont réussi à imposer leur tutelle, profitant du vide laissé par le chah: la monarchie avait fait table rase de toutes les institutions représentatives de la société, sans permettre à de nouvelles structures, syndicales ou politiques, de prendre le relais. Le turban a donc remplacé la couronne.
Jusqu'à sa mort, en 1989, c'est d'abord l'ayatollah Khomeini qui a exercé cette tutelle religieuse, auréolé d'une légitimité incontestée. Son successeur annoncé était l'ayatollah Hossein Ali Montazeri. Mais, en 1988, celui-ci a été écarté pour avoir protesté contre les exécutions massives de prisonniers. Montazeri était l'un des théoriciens du velayat-e faqih, ou "gouvernement du docte" (NDLR, la tutelle du juriste théologien), qui est le fondement de la théocratie iranienne. Les autres grandes figures religieuses n'étaient pas sur cette ligne.
Privé de son dauphin, le régime n'avait donc pas de Guide vraiment crédible sur le plan religieux pour succéder à Khomeini. Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, à l'époque président du Parlement, dont l'influence était grande, a convaincu l'Assemblée des experts de désigner Ali Khamenei, un hodjatoleslam - l'équivalent d'un curé de paroisse.
Et la nomination de Khamenei a mis à nu la contradiction inhérente au système...
En greffant la souveraineté divine sur la souveraineté populaire, les "constituants" de 1980 avaient déjà créé une chimère. Avec Khamenei, le rôle du Guide a, en effet, changé: il a, peu à peu, délaissé la primauté du terrain religieux, pour laquelle il se savait contesté, afin de se consacrer au commandement des forces armées et des services de sécurité, dont il est devenu le vrai patron. Sous le turban, le képi...
Un coup d'Etat rampant, en somme?
Oui. Mais Khamenei, le Guide suprême de la révolution, n'avait pas, pour autant, les moyens d'empêcher la tenue des nombreuses consultations électorales prévues par la Constitution ou par la loi. Il s'est rapidement demandé comment il pouvait, à défaut de les supprimer, contrôler ces élections et les transformer en plébiscites.
S'il n'y est pas parvenu tout de suite, c'est qu'il y a, en Iran, au sommet du pouvoir, une certaine forme de pluralisme, avec des factions et des clans appuyés sur des réseaux. Il n'a donc pas pu empêcher, en 1997, l'élection du candidat réformateur, Mohammad Khatami. Mais il était bien décidé à faire en sorte que la situation ne se reproduise pas.
En 2005, il a réussi à faire élire son poulain, le très populiste Mahmoud Ahmadinejad, grâce aussi à la division du camp réformateur. Après quatre ans, le bilan d'Ahmadinejad s'est révélé catastrophique. Khamenei n'en a pas moins décidé qu'il devait rempiler pour un deuxième mandat, en dépit des mises en garde répétées de plusieurs de ses conseillers.
Quitte à passer en force?
Oui. Khamenei voulait mettre un terme au pluralisme des factions au sommet de l'Etat, débarquer, cette fois définitivement, Rafsandjani, barrer durablement la route au clan réformateur et parachever l'édification d'un pouvoir personnel assis sur l'appareil sécuritaire. Cela passait par la victoire d'Ahmadinejad... Khamenei a fait en sorte que celui-ci n'ait aucun rival issu de son propre camp.
Le Conseil des gardiens de la Constitution, dont la majorité des membres est désignée par le Guide et qui est chargé de sélectionner les candidats, n'en a avalisé que 4 sur 475. Khatami a renoncé à se présenter, après avoir subi de fortes pressions. Et si, sur quatre candidats sélectionnés, deux réformateurs ont finalement été autorisés à concourir, c'est parce qu'on espérait, comme en 2005, que la division du camp adverse jouerait en faveur d'Ahmadinejad.
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