Il a tout d’un slogan de parade triomphale : « Caravane de 12 siècles d’histoire ». Ainsi célébrait, en 2008, le royaume chérifien ses douze cents ans de domination au Maroc. Le règne des chorafa, les « nobles » descendants des dynasties idrisside et alaouite. Le faste, la grandeur et le triomphe insolent. La fondation des 12 siècles de Fès, organisatrice de l’événement, a défilé dans 16 villes du royaume et conté, pour quelque 35 millions de budget de festivités, la « bonne version » de l’histoire. Il n’en faudra pas plus pour le cercle très restreint de la « noblesse » marocaine pour s’attirer les foudres des militants et associations de la cause amazighe, qui ont tôt fait de crier au sacrilège, à la « falsification de l’histoire ».
« Mais comment osent-ils tourner le dos à plus 3000 ans d’histoire de la Tamazgha, le monde amazigh ? » s’interroge, bouillonnant, Eddaghor, militant de la cause berbère. Le thé à la menthe servi à la terrasse de La Squala commençait à refroidir, mais pas Eddaghor, le ténébreux président de l’association Tamynut de Casablanca. « Révoltant ! Pourquoi choisir uniquement la ville de Fès si ce n’est pour glorifier la caste des chorafa au détriment de l’histoire millénaire des Berbères ? », dit-il entre deux fracas de vagues océaniques s’écrasant contre les digues du vieux port de la mégapole casablancaise.
Un an après son lancement, l’initiative de la fondation de Fès, association créée par décision royale et qui regroupe quelques-unes des familles arabo-andalouses parmi les plus influentes du makhzen, fait encore grand bruit. Chargé de symboles, l’an 808 est fêté comme le « début de l’histoire » du Maroc. Le 1200e anniversaire de la ville impériale fondée par Idris II, fils de Moulay Idris, renvoie à la genèse d’un des mythes fondateurs des dynasties chérifiennes. Fuyant les persécutions abbassides, Moulay Idris, fils de Abdullah Al Kâmil et arrière petit-fils de Hassan (fils du calife Ali, cousin et gendre du Prophète Mohammed, QSSL) obtiendra, pour lui et pour les Alaouites qui l’accompagnaient, asile auprès des Berbères. Moulay Idris s’établira à Walili (Volubilis), près de Mekhnès, et les Alaouites dans l’oasis de Tafilalt (sud-est du Maroc).
La célébration du « totem » chérifien fait polémique et l’histoire ainsi revisitée – expurgée de toute référence aux dynasties berbères, carrément ignorées les dynasties antérieures aux Idrissides comme celle des « hérétiques » Berghouta ou ultérieures : almoravide, almohade, mérinide … – est ressentie comme une profonde « injustice ». La négation pure et simple de la dimension amazighe n’a toutefois pas attendu la « dernière caravane » pour se manifester. Anfa (Casablanca), juin. Du site abritant à la haute antiquité le berceau de Casablanca – Anfa était un village de pêcheurs berbères –, il ne subsiste désormais presque plus rien. Casablanca, ville « européenne » par ses splendides quartiers art déco, arabo-musulmane par son ancienne médina, Sidi Beliout, à l’architecture arabo-mauresque… Des signes apparents de la civilisation amazighe ? Il n’en reste pas grand-chose. « Le fin mot de l’histoire est que les Amazighs sont toujours là… n’est-ce pas ? », réplique fièrement le président de l’association Tamynut. « Casablanca, avec ses millions d’habitants, est sans conteste la plus grande métropole berbère dans le monde », se veut-il consolant. Du bastion fortifié de La Squala – transformé par une association locale en galerie d’art et restaurant select pour touristes pressés de soulager leurs bourses et de satisfaire leur soif d’exotisme – ne subsistent que des restes de remparts du XVIIIe siècle et quelques canons pointés vers la rade, lassés de humer l’air vicié de l’Atlantique et de subir la furia vengeresse des envahisseurs de tout acabit. Peuple déchu par l’histoire, les Amazighs subissent le sort réservé, naguère, aux vaincus. Violation des droits humains, déni identitaire, paupérisation et clochardisation, inégalités et exclusion sociale, la liste de griefs que fait le Congrès mondial amazigh à l’Etat marocain est longue.
L’apartheid version alaouite
Certains de ses droits les plus élémentaires sont bafoués par les exaltés du panarabisme, l’idéologie hégémonique au royaume depuis plus d’un demi-siècle. Il est ainsi interdit, dans le Maroc de 2009 – c’est une circulaire du ministère de l’Intérieur qui l’énonce – de donner un prénom berbère à son enfant ; interdit aussi de se défendre dans le tribunaux dans sa langue maternelle – dahir (décret royal) de 1965 portant sur l’arabisation du corps judiciaire – et même de fêter yennayer, le nouvel an berbère… Rachid Raha, l’un des « avocats » de la cause berbère y voit « le résultat de toutes les politiques d’apartheid, d’acculturation et d’assimilation produites par les pouvoirs successifs ». « Discrimination », « apartheid », « ethnocide programmé », les militants amazighs rencontrés à Rabat, Casablanca, Nador ne donnent pas l’impression de vouloir forcer à tout prix les traits de leur condition « d’opprimés ». Rabat. Siège du réseau Azetta (réseau associatif amazigh pour la citoyenneté), l’une des associations radicales du mouvement amazigh dirigé par Ahmed Arehmouch. L’avocat porte un regard sévère sur les 40 années du mouvement amazigh. « Nous n’avons rien arraché du tout. Le mouvement amazigh, quand il n’est pas réprimé brutalement, est nourri avec des professions de foi, des discours prometteurs, d’expédients comme l’Ircam (Institut royal de la culture amazighe marocain, ndlr) mais rien de sérieux n’a été fait pour réhabiliter l’histoire, la culture, la langue et le peuple amazigh », affirme le militant de la « gauche » amazighe. Arehmouch ne s’étonne pas que le pouvoir marocain ait fait l’impasse, après un semblant d’ouverture en 2001 – création de l’Ircam et introduction de tamazight dans l’enseignement en 2003 –, sur l’une des principales revendications du mouvement : la constitutionnalisation de tamazight en l’occurrence. Les appels incessants des associations amazighes à amender la Constitution sont ignorés sans autre forme de procès. Si les textes fondamentaux du pays restent muets sur la composante berbère, ils gravent dans le marbre l’appartenance au monde arabe.
La Constitution de 1996 stipule en effet que « le royaume du Maroc, Etat musulman souverain, dont la langue officielle est l’arabe, constitue une partie du Grand Maghreb arabe ». Tout est question de « volonté politique, inexistante en la circonstance », fait remarquer le président du Cercle politique Amayway : « Nous sommes gouvernés par des arabophones, amazighophobes de surcroît, notre classe politique dans son courant nationaliste est un pur produit de l’idéologie arabo-islamique, allergique à tout ce qui a trait à la berbérité de nos origines. » Mais il n’en a pas toujours été ainsi, soutient le poète et philosophe Ahmed Assid.
Le discours arabo-musulman est une « invention récente » de la monarchie alaouite. « Avant 1912, coïncidant avec le début du protectorat français, il n’existait aucun document qui faisait référence à un "Maroc pays arabe".
C’est dans les années 1930 qu’on a commencé à produire toute une littérature autour de ce mythe. » La promulgation du dahir berbère – signé par le jeune sultan Mohammed V –, décret qui entendait officialiser les tribunaux coutumiers berbères, a été, selon Assid, exploité par les leaders du mouvement national (né à cette époque de l’aristocratie urbaine, dominé par les militants issus des grandes familles arabo-andalouses) pour prêcher l’appartenance à la nation arabe. « A l’avènement de l’Etat-nation en 1956 (indépendance du Maroc), fruit des sacrifices des Amazighs qui ont créé l’Armée de libération nationale, le discours des arabo-andalous devient le discours officiel. L’Etat centralisateur a fait de l’uniformisation par la langue, la culture et la religion son credo et de l’amazighité un tabou », résume le chercheur membre du conseil d’administration de l’Ircam. Madinat Al Irfane, banlieue de Rabat, Institut royal de la culture amazighe marocain (IRCAM).
« Mais comment osent-ils tourner le dos à plus 3000 ans d’histoire de la Tamazgha, le monde amazigh ? » s’interroge, bouillonnant, Eddaghor, militant de la cause berbère. Le thé à la menthe servi à la terrasse de La Squala commençait à refroidir, mais pas Eddaghor, le ténébreux président de l’association Tamynut de Casablanca. « Révoltant ! Pourquoi choisir uniquement la ville de Fès si ce n’est pour glorifier la caste des chorafa au détriment de l’histoire millénaire des Berbères ? », dit-il entre deux fracas de vagues océaniques s’écrasant contre les digues du vieux port de la mégapole casablancaise.
Un an après son lancement, l’initiative de la fondation de Fès, association créée par décision royale et qui regroupe quelques-unes des familles arabo-andalouses parmi les plus influentes du makhzen, fait encore grand bruit. Chargé de symboles, l’an 808 est fêté comme le « début de l’histoire » du Maroc. Le 1200e anniversaire de la ville impériale fondée par Idris II, fils de Moulay Idris, renvoie à la genèse d’un des mythes fondateurs des dynasties chérifiennes. Fuyant les persécutions abbassides, Moulay Idris, fils de Abdullah Al Kâmil et arrière petit-fils de Hassan (fils du calife Ali, cousin et gendre du Prophète Mohammed, QSSL) obtiendra, pour lui et pour les Alaouites qui l’accompagnaient, asile auprès des Berbères. Moulay Idris s’établira à Walili (Volubilis), près de Mekhnès, et les Alaouites dans l’oasis de Tafilalt (sud-est du Maroc).
La célébration du « totem » chérifien fait polémique et l’histoire ainsi revisitée – expurgée de toute référence aux dynasties berbères, carrément ignorées les dynasties antérieures aux Idrissides comme celle des « hérétiques » Berghouta ou ultérieures : almoravide, almohade, mérinide … – est ressentie comme une profonde « injustice ». La négation pure et simple de la dimension amazighe n’a toutefois pas attendu la « dernière caravane » pour se manifester. Anfa (Casablanca), juin. Du site abritant à la haute antiquité le berceau de Casablanca – Anfa était un village de pêcheurs berbères –, il ne subsiste désormais presque plus rien. Casablanca, ville « européenne » par ses splendides quartiers art déco, arabo-musulmane par son ancienne médina, Sidi Beliout, à l’architecture arabo-mauresque… Des signes apparents de la civilisation amazighe ? Il n’en reste pas grand-chose. « Le fin mot de l’histoire est que les Amazighs sont toujours là… n’est-ce pas ? », réplique fièrement le président de l’association Tamynut. « Casablanca, avec ses millions d’habitants, est sans conteste la plus grande métropole berbère dans le monde », se veut-il consolant. Du bastion fortifié de La Squala – transformé par une association locale en galerie d’art et restaurant select pour touristes pressés de soulager leurs bourses et de satisfaire leur soif d’exotisme – ne subsistent que des restes de remparts du XVIIIe siècle et quelques canons pointés vers la rade, lassés de humer l’air vicié de l’Atlantique et de subir la furia vengeresse des envahisseurs de tout acabit. Peuple déchu par l’histoire, les Amazighs subissent le sort réservé, naguère, aux vaincus. Violation des droits humains, déni identitaire, paupérisation et clochardisation, inégalités et exclusion sociale, la liste de griefs que fait le Congrès mondial amazigh à l’Etat marocain est longue.
L’apartheid version alaouite
Certains de ses droits les plus élémentaires sont bafoués par les exaltés du panarabisme, l’idéologie hégémonique au royaume depuis plus d’un demi-siècle. Il est ainsi interdit, dans le Maroc de 2009 – c’est une circulaire du ministère de l’Intérieur qui l’énonce – de donner un prénom berbère à son enfant ; interdit aussi de se défendre dans le tribunaux dans sa langue maternelle – dahir (décret royal) de 1965 portant sur l’arabisation du corps judiciaire – et même de fêter yennayer, le nouvel an berbère… Rachid Raha, l’un des « avocats » de la cause berbère y voit « le résultat de toutes les politiques d’apartheid, d’acculturation et d’assimilation produites par les pouvoirs successifs ». « Discrimination », « apartheid », « ethnocide programmé », les militants amazighs rencontrés à Rabat, Casablanca, Nador ne donnent pas l’impression de vouloir forcer à tout prix les traits de leur condition « d’opprimés ». Rabat. Siège du réseau Azetta (réseau associatif amazigh pour la citoyenneté), l’une des associations radicales du mouvement amazigh dirigé par Ahmed Arehmouch. L’avocat porte un regard sévère sur les 40 années du mouvement amazigh. « Nous n’avons rien arraché du tout. Le mouvement amazigh, quand il n’est pas réprimé brutalement, est nourri avec des professions de foi, des discours prometteurs, d’expédients comme l’Ircam (Institut royal de la culture amazighe marocain, ndlr) mais rien de sérieux n’a été fait pour réhabiliter l’histoire, la culture, la langue et le peuple amazigh », affirme le militant de la « gauche » amazighe. Arehmouch ne s’étonne pas que le pouvoir marocain ait fait l’impasse, après un semblant d’ouverture en 2001 – création de l’Ircam et introduction de tamazight dans l’enseignement en 2003 –, sur l’une des principales revendications du mouvement : la constitutionnalisation de tamazight en l’occurrence. Les appels incessants des associations amazighes à amender la Constitution sont ignorés sans autre forme de procès. Si les textes fondamentaux du pays restent muets sur la composante berbère, ils gravent dans le marbre l’appartenance au monde arabe.
La Constitution de 1996 stipule en effet que « le royaume du Maroc, Etat musulman souverain, dont la langue officielle est l’arabe, constitue une partie du Grand Maghreb arabe ». Tout est question de « volonté politique, inexistante en la circonstance », fait remarquer le président du Cercle politique Amayway : « Nous sommes gouvernés par des arabophones, amazighophobes de surcroît, notre classe politique dans son courant nationaliste est un pur produit de l’idéologie arabo-islamique, allergique à tout ce qui a trait à la berbérité de nos origines. » Mais il n’en a pas toujours été ainsi, soutient le poète et philosophe Ahmed Assid.
Le discours arabo-musulman est une « invention récente » de la monarchie alaouite. « Avant 1912, coïncidant avec le début du protectorat français, il n’existait aucun document qui faisait référence à un "Maroc pays arabe".
C’est dans les années 1930 qu’on a commencé à produire toute une littérature autour de ce mythe. » La promulgation du dahir berbère – signé par le jeune sultan Mohammed V –, décret qui entendait officialiser les tribunaux coutumiers berbères, a été, selon Assid, exploité par les leaders du mouvement national (né à cette époque de l’aristocratie urbaine, dominé par les militants issus des grandes familles arabo-andalouses) pour prêcher l’appartenance à la nation arabe. « A l’avènement de l’Etat-nation en 1956 (indépendance du Maroc), fruit des sacrifices des Amazighs qui ont créé l’Armée de libération nationale, le discours des arabo-andalous devient le discours officiel. L’Etat centralisateur a fait de l’uniformisation par la langue, la culture et la religion son credo et de l’amazighité un tabou », résume le chercheur membre du conseil d’administration de l’Ircam. Madinat Al Irfane, banlieue de Rabat, Institut royal de la culture amazighe marocain (IRCAM).
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