« Fi Djbel Bouzegza Ki djat Franssa testehza Hasbetna khobza Tahna aâliha berraffal ! » (Chanson populaire durant la guerre de Libération nationale)
Le Bouzegza est ce massif bleu violacé, couleur qui lui a donné son nom (azegza veut dire bleu en tamazight) qui offre, à l’est de la Mitidja, son ubac à la mer.
C’est ce dos de lion couché qui porte sur ses contreforts les gros bourgs voisins méridionaux et orientaux de la capitale. C’est ce lieu d’où ont déferlé les fantassins en armes, tout comme l’ont fait ceux de l’Ouarsenis et du Djurdjura pour courir au secours d’Alger, désertée par les Janissaires en déroute le 14 juin 1830, quand les armées coloniales se sont répandues sur la grève de Sidi Fredj. C’est ce djebel mythique où le prestigieux commando Ali Khodja, unité d’élite des combattants de la glorieuse ALN de la Wilaya IV, a écrit, les 4, 8 et 12 août 1957, des pages de légende parmi les plus illustres de la guerre de Libération nationale. Djebel qualifié de « pourri » par le général Jacques Massu dans ses mémoires en raison de la dérouillée qu’il y a écopé puisqu’il y a laissé plus de six cents morts dans les rangs de son armée ! Après le démantèlement de la première zone autonome d’Alger successif à l’arrestation de son chef Yacef Saâdi (23 septembre 1957) et la mort d’Ali La Pointe et de ses compagnons dans un refuge à La Casbah (8 octobre 1957), l’armée française a considérablement épaissi ses effectifs militaires dans les maquis, particulièrement les wilayas périmétriques de la capitale. La pression s’est particulièrement imposée sur la Wilaya IV, d’évidence en raison de sa contiguïté.
Dès lors qu’Alger a été éreintée et sa farouche résistance réduite, il ne se passait plus un jour sans que les armées coloniales en nombre, tous corps confondus, appuyées par des moyens aériens et terrestres considérables, ne se déploient comme la misère sur le monde à travers monts et talwegs. Un harcèlement permanent ! Il en sortait de partout. Les hélicoptères de transport, qu’on appelait les « bananes » (voir encadré), pondaient journellement des hommes en armes sur les crêtes et les pentes des reliefs les plus escarpés. Une crête occupée par l’adversaire était pour nous une bataille de perdue ! Le quadrillage était d’un tel maillage que la seule région de Ouled Moussa (ex-Saint-Pierre-Saint-Paul) était hérissée de pas moins de 58 postes militaires ! Une submersion asphyxiante qui nous contraignait à vivre en apnée.
Alors que depuis les premières actions d’Ali Khodja et de son commando nous avions appris à opérer et nous mouvoir au grand jour, la constriction exercée sur nous par l’ennemi nous astreignait à une position défensive. L’initiative nous avait échappé et sans une réaction salutaire, nous risquions de perdre tout le terrain laborieusement gagné politiquement et militairement, après de durs combats souvent coûteux en vies humaines.
Face à ce pressing mortel, le conseil de la Wilaya IV, alors présidé par le commandant Si M’hamed – qui assurait encore l’intérim du commandement après le départ pour Tunis du colonel Si Sadek – avait pris la décision historique et combien audacieuse de lancer une offensive généralisée contre les villes et villages relevant de sa compétence territoriale. Cette stratégie apparaissait comme la seule solution susceptible de desserrer l’étau létal qui nous étranglait. L’extension de nos capacités de nuisance et l’élargissement de notre champ d’intervention, la multiplication des points d’impact de nos raids allaient nécessairement fragmenter les rangs de l’adversaire et modérer la compacité de ses énormes moyens.
Nous somme début août 1957, conformément à l’ordre du conseil de wilaya, toutes les unités combattantes que comptait la IV sont passées à l’action. Du fait de ma parfaite connaissance de la région de Tablat, de son relief et de ses installations militaires sensibles – je m’étais évadé de sa prison le 20 octobre 1956 – il échut au commando Ali Khodja, que je dirigeais depuis sa reformation à Boukrem en janvier 1957, la mission de mener une attaque et d’y faire le plus de tintouin possible pour y semer la panique dans les rangs et la peur dans les esprits.
Malheureusement, en arrivant de nuit aux abords de ce gros bourg qu’il était à l’époque, contrôlant une position stratégique sur l’axe routier Alger-Bou Saâda après le col des Deux Bassins, notre déconvenue a été grande quand nous avons constaté une concentration massive de troupes ennemies fortement équipées. L’armée coloniale s’apprêtait visiblement à lancer un de ces terribles et redoutables ratissages qui n’épargnait rien, ni les hommes ni leur environnement. Audacieux mais surtout pas téméraires, nous avons évité l’objectif pour le contourner et nous diriger vers le nord, vers le massif de Bouzegza. Sans le savoir, nous allions à la rencontre de ce qu’un coup du destin va transformer en un véritable enfer sur la terre.
Alors que nous faisions mouvement vers la région de Djebel Zima, au centre du triangle Khemis El Khechna-Tablat-Lakhdaria, éludant prudemment un affrontement défavorable pour nous contre un ennemi de loin supérieur en nombre et en moyens, les autres unités avait lancé des attaques foudroyantes sur toutes les cibles qui avaient été déterminées.
L’écho a été puissant et à la hauteur de nos espérances. La section de Si Boualem avait opéré contre Palestro (aujourd’hui Lakhdaria) avec succès. Les djounoud avaient même pris le soin de vider une pharmacie, emportant médicaments et nécessaires de premiers secours.
Cependant, jouant de malchance, lors de la retraite de nuit, l’infirmier de la section fut arrêté. Interrogé sur la destination du retrait de sa section, sauvagement torturé, épuisé, il finit par lâcher, tout à fait fortuitement, une destination : Bouzegza ! Il savait que c’était faux mais il pensait ainsi fourvoyer ses tortionnaires sur une fausse piste. Ce qu’il ne savait pas par contre, c’est que nous nous étions réfugiés dans cet endroit, convaincus que nous y serions à l’abri car loin des voies principales de communication. Il y a lieu de préciser qu’en 1957, les montagnes et les forêts d’Algérie n’avaient pas encore été balafrées de pistes, chemins et sentiers par les scrapers et les bulldozers du génie militaire.
Ainsi, ne sachant bien évidemment rien du sort cruel de l’infirmier malchanceux de la section de Si Boualem, nous pensions que nous étions loin d’une éventuelle opération des Français.
La région de Djebel Zima où nous avions décidé de nous arrêter était traversée en son milieu par une ravine fortement encaissée. C’est un petit affluent de l’oued Corso, sec en cette période de l’été. Les versants de la montagne étaient inégalement couverts ; tandis que l’un présentait plutôt l’aspect d’un maquis plus ou moins buissonneux, l’autre qui lui faisait face était constitué de pierraille et de caillasse incandescente en ce mois d’août.
Nous étions réfugiés dans les maisonnettes éparses de la dechra. Nous comptions les heures et, de manière générale, lorsqu’arrivait 13h, nous pouvions souffler car une attaque ennemie qui commençait à cette heure de la journée nous permettait souvent, après une résistance conséquente, de décrocher à la faveur de la nuit tombante. L’obscurité rendait l’intervention de l’aviation impossible et l’usage de l’artillerie inutile. Nous exploitions les ténèbres pour sortir du ratissage. Mais cela était valable pour les mois d’hiver, vu la courte durée du jour.
En été, la nuit tombe tardivement. Ce qui faisait que ce n’est que sur les coups de 16h que la menace s’éloignait sans jamais disparaître et anesthésier notre vigilance. L’armée française ne sortait ordinairement pas une certaine heure passée. Alors, nous pouvions nous occuper des tâches d’hygiène et profiter de l’accalmie pour une petite toilette et/ou une lessive. Ce jour du 4 août 1957, il était approximativement 15h, tout paraissait tranquille. Subitement les cigales cessèrent de striduler…
Brusquement comme surgit du silence et jaillit du néant, un déferlement d’hommes et d’armes emplit, dans un grondement tumultueux, le ciel et la terre. Le versant, qui faisait face aux masures dans lesquelles nous nous trouvions, a été littéralement dévasté par les tirs de l’aviation. De l’infirmerie tenue par Baya el Kahla, une infirmière digne de tous les éloges, où je rendais visite aux malades et aux blessés, j’observais le déluge de fer et de poudre qui s’abattait sur un espace qui ne mesurait pas plus de deux kilomètres carrés.
Le Bouzegza est ce massif bleu violacé, couleur qui lui a donné son nom (azegza veut dire bleu en tamazight) qui offre, à l’est de la Mitidja, son ubac à la mer.
C’est ce dos de lion couché qui porte sur ses contreforts les gros bourgs voisins méridionaux et orientaux de la capitale. C’est ce lieu d’où ont déferlé les fantassins en armes, tout comme l’ont fait ceux de l’Ouarsenis et du Djurdjura pour courir au secours d’Alger, désertée par les Janissaires en déroute le 14 juin 1830, quand les armées coloniales se sont répandues sur la grève de Sidi Fredj. C’est ce djebel mythique où le prestigieux commando Ali Khodja, unité d’élite des combattants de la glorieuse ALN de la Wilaya IV, a écrit, les 4, 8 et 12 août 1957, des pages de légende parmi les plus illustres de la guerre de Libération nationale. Djebel qualifié de « pourri » par le général Jacques Massu dans ses mémoires en raison de la dérouillée qu’il y a écopé puisqu’il y a laissé plus de six cents morts dans les rangs de son armée ! Après le démantèlement de la première zone autonome d’Alger successif à l’arrestation de son chef Yacef Saâdi (23 septembre 1957) et la mort d’Ali La Pointe et de ses compagnons dans un refuge à La Casbah (8 octobre 1957), l’armée française a considérablement épaissi ses effectifs militaires dans les maquis, particulièrement les wilayas périmétriques de la capitale. La pression s’est particulièrement imposée sur la Wilaya IV, d’évidence en raison de sa contiguïté.
Dès lors qu’Alger a été éreintée et sa farouche résistance réduite, il ne se passait plus un jour sans que les armées coloniales en nombre, tous corps confondus, appuyées par des moyens aériens et terrestres considérables, ne se déploient comme la misère sur le monde à travers monts et talwegs. Un harcèlement permanent ! Il en sortait de partout. Les hélicoptères de transport, qu’on appelait les « bananes » (voir encadré), pondaient journellement des hommes en armes sur les crêtes et les pentes des reliefs les plus escarpés. Une crête occupée par l’adversaire était pour nous une bataille de perdue ! Le quadrillage était d’un tel maillage que la seule région de Ouled Moussa (ex-Saint-Pierre-Saint-Paul) était hérissée de pas moins de 58 postes militaires ! Une submersion asphyxiante qui nous contraignait à vivre en apnée.
Alors que depuis les premières actions d’Ali Khodja et de son commando nous avions appris à opérer et nous mouvoir au grand jour, la constriction exercée sur nous par l’ennemi nous astreignait à une position défensive. L’initiative nous avait échappé et sans une réaction salutaire, nous risquions de perdre tout le terrain laborieusement gagné politiquement et militairement, après de durs combats souvent coûteux en vies humaines.
Face à ce pressing mortel, le conseil de la Wilaya IV, alors présidé par le commandant Si M’hamed – qui assurait encore l’intérim du commandement après le départ pour Tunis du colonel Si Sadek – avait pris la décision historique et combien audacieuse de lancer une offensive généralisée contre les villes et villages relevant de sa compétence territoriale. Cette stratégie apparaissait comme la seule solution susceptible de desserrer l’étau létal qui nous étranglait. L’extension de nos capacités de nuisance et l’élargissement de notre champ d’intervention, la multiplication des points d’impact de nos raids allaient nécessairement fragmenter les rangs de l’adversaire et modérer la compacité de ses énormes moyens.
Nous somme début août 1957, conformément à l’ordre du conseil de wilaya, toutes les unités combattantes que comptait la IV sont passées à l’action. Du fait de ma parfaite connaissance de la région de Tablat, de son relief et de ses installations militaires sensibles – je m’étais évadé de sa prison le 20 octobre 1956 – il échut au commando Ali Khodja, que je dirigeais depuis sa reformation à Boukrem en janvier 1957, la mission de mener une attaque et d’y faire le plus de tintouin possible pour y semer la panique dans les rangs et la peur dans les esprits.
Malheureusement, en arrivant de nuit aux abords de ce gros bourg qu’il était à l’époque, contrôlant une position stratégique sur l’axe routier Alger-Bou Saâda après le col des Deux Bassins, notre déconvenue a été grande quand nous avons constaté une concentration massive de troupes ennemies fortement équipées. L’armée coloniale s’apprêtait visiblement à lancer un de ces terribles et redoutables ratissages qui n’épargnait rien, ni les hommes ni leur environnement. Audacieux mais surtout pas téméraires, nous avons évité l’objectif pour le contourner et nous diriger vers le nord, vers le massif de Bouzegza. Sans le savoir, nous allions à la rencontre de ce qu’un coup du destin va transformer en un véritable enfer sur la terre.
Alors que nous faisions mouvement vers la région de Djebel Zima, au centre du triangle Khemis El Khechna-Tablat-Lakhdaria, éludant prudemment un affrontement défavorable pour nous contre un ennemi de loin supérieur en nombre et en moyens, les autres unités avait lancé des attaques foudroyantes sur toutes les cibles qui avaient été déterminées.
L’écho a été puissant et à la hauteur de nos espérances. La section de Si Boualem avait opéré contre Palestro (aujourd’hui Lakhdaria) avec succès. Les djounoud avaient même pris le soin de vider une pharmacie, emportant médicaments et nécessaires de premiers secours.
Cependant, jouant de malchance, lors de la retraite de nuit, l’infirmier de la section fut arrêté. Interrogé sur la destination du retrait de sa section, sauvagement torturé, épuisé, il finit par lâcher, tout à fait fortuitement, une destination : Bouzegza ! Il savait que c’était faux mais il pensait ainsi fourvoyer ses tortionnaires sur une fausse piste. Ce qu’il ne savait pas par contre, c’est que nous nous étions réfugiés dans cet endroit, convaincus que nous y serions à l’abri car loin des voies principales de communication. Il y a lieu de préciser qu’en 1957, les montagnes et les forêts d’Algérie n’avaient pas encore été balafrées de pistes, chemins et sentiers par les scrapers et les bulldozers du génie militaire.
Ainsi, ne sachant bien évidemment rien du sort cruel de l’infirmier malchanceux de la section de Si Boualem, nous pensions que nous étions loin d’une éventuelle opération des Français.
La région de Djebel Zima où nous avions décidé de nous arrêter était traversée en son milieu par une ravine fortement encaissée. C’est un petit affluent de l’oued Corso, sec en cette période de l’été. Les versants de la montagne étaient inégalement couverts ; tandis que l’un présentait plutôt l’aspect d’un maquis plus ou moins buissonneux, l’autre qui lui faisait face était constitué de pierraille et de caillasse incandescente en ce mois d’août.
Nous étions réfugiés dans les maisonnettes éparses de la dechra. Nous comptions les heures et, de manière générale, lorsqu’arrivait 13h, nous pouvions souffler car une attaque ennemie qui commençait à cette heure de la journée nous permettait souvent, après une résistance conséquente, de décrocher à la faveur de la nuit tombante. L’obscurité rendait l’intervention de l’aviation impossible et l’usage de l’artillerie inutile. Nous exploitions les ténèbres pour sortir du ratissage. Mais cela était valable pour les mois d’hiver, vu la courte durée du jour.
En été, la nuit tombe tardivement. Ce qui faisait que ce n’est que sur les coups de 16h que la menace s’éloignait sans jamais disparaître et anesthésier notre vigilance. L’armée française ne sortait ordinairement pas une certaine heure passée. Alors, nous pouvions nous occuper des tâches d’hygiène et profiter de l’accalmie pour une petite toilette et/ou une lessive. Ce jour du 4 août 1957, il était approximativement 15h, tout paraissait tranquille. Subitement les cigales cessèrent de striduler…
Brusquement comme surgit du silence et jaillit du néant, un déferlement d’hommes et d’armes emplit, dans un grondement tumultueux, le ciel et la terre. Le versant, qui faisait face aux masures dans lesquelles nous nous trouvions, a été littéralement dévasté par les tirs de l’aviation. De l’infirmerie tenue par Baya el Kahla, une infirmière digne de tous les éloges, où je rendais visite aux malades et aux blessés, j’observais le déluge de fer et de poudre qui s’abattait sur un espace qui ne mesurait pas plus de deux kilomètres carrés.
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