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Ces Algériens qui se noient dans les barrages

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  • Ces Algériens qui se noient dans les barrages

    Sous la chaleur torride de Aïn Defla, une seule envie : se baigner. Mais à quel prix ? Jusqu’à aujourd’hui, ils sont au nombre de quatorze à être victimes de noyade dans les eaux des barrages et des rivières alentours. Des drames qui ne semblent pourtant pas alerter assez la population à Aïn Defla qui compte à chaque fois de nouvelles victimes. Négligence et insouciance fusionnent pour générer la mort. La dernière victime en date s’est noyée au niveau du barrage de Sidi M’hamed Ben Taïba.

    C’était un imam d’une quarantaine d’années, et la liste reste ouverte et risque de s’allonger encore. N’est-il pas temps de mettre les moyens qu’il faut pour une meilleure prise en charge de ce phénomène qui n’est pas nouveau. Faut-il renforcer la sécurité au niveau des barrages et leurs environs afin de dissuader les riverains de se baigner et les pousser à aller se tremper ailleurs, à la piscine par exemple, où en assurant des sorties en excursion pour les jeunes des douars de Aïn Defla. Car, pour le moment, rien n’empêche des enfants et des hommes de mourir dans des barrages.

    Il est 10h00 du matin en ce lundi du mois d’août. Nous empruntons sous une chaleur de plomb, la nouvelle autoroute pour rallier la ville de Aïn Defla. Car, en plus de sa réputation de capitale de la pomme de terre, Aïn Defla est aussi la ville des barrages qui alimentent plusieurs villes du pays notamment la capitale en eau potable. Elle est aussi synonyme de noyades dont plusieurs cas enregistrés chaque année.

    Pour cette année, alors que la saison estivale n’est pas encore achevée, le décompte des victimes fait peur. Ce sont déjà 13 personnes qui se sont noyées dans les barrages. Il est vrai que la température qui frôle les 45 degrés à l’ombre est pour beaucoup dans ces drames. Et le bilan risque d’être revu à la hausse d’ici au mois de septembre prochain. C’est ainsi que nous avons décidé de nous rendre au niveau de ces barrages. Sur place, la réalité est aussi surprenante qu’amère. Des jeunes qui risquent leur vie pour une seule et unique envie ; faire trempette dans des lacs, oueds, puits et autres retenue collinaires.

    11 h 30, au centre-ville de Aïn Defla. C’est la canicule. Nous nous sommes rendus au niveau de la direction générale de la Protection civile afin d’avoir les statistiques sur le nombre de victimes. Il faut savoir que la majorité des victimes ne sont pas de Aïn Defla-ville, mais plutôt des villages et douars environnants. Car, il est nécessaire de savoir que la ville de Aïn Defla dispose d’une piscine semi-olympique où sont inscrites des personnes de tout âge. Pour le capitaine Hadj Seddouk qui assure l’intérim, cette situation est due à la négligence des parents. Pourtant tous les barrages de la wilaya qui sont au nombre de cinq disposent de plaques de signalisation mettant en garde contre la baignade dans les eaux du barrage.

  • #2
    La négligence plus forte que la sensibilisation

    “Je suis persuadé que la négligence des parents est la raison de ces drames, car des parents avertis ne laisseraient jamais leurs enfants aller se baigner dans les oueds et les barrages, sachant pertinemment que c’est dangereux. Mais ils les laissent quand même faire. Nous avons beau sensibiliser les gens contre les risques de ces baignades avec des cas de décès à l’appui, mais cela ne donne rien. Des spots publicitaires, visant la sensibilisation de la population à travers la radio locale, sont diffusés habituellement, mais en vain”, nous dira le capitaine Hadj Seddouk.

    Néanmoins, il faut savoir aussi que la Protection civile de Aïn Defla ne dispose que de quatre plongeurs, un nombre dérisoire pour venir en aide à des personnes en danger en plus du fait que les éléments de la Protection civile n’ont pas souvent le temps matériel de sauver les victimes. “Au moment où nos services sont alertés et le temps nécessaire pour arriver sur les lieux, la personne a déjà succombé. Nos effectifs spécialisés sont à un nombre réduit. Donc le travail de sensibilisation doit se faire chaque jour pour éviter de nouvelles tragédies”, dira le chargé de communication.

    Avant de quitter les locaux de la Protection civile, les responsables nous ont orientés vers deux barrages réputés pour leur dangerosité et qui sont chaque année à l’origine de la majorité des victimes des noyades au niveau de la wilaya. Il s’agit du barrage de Sidi M’hamed Ben Taïba commune d’Arib et de celui de Ouled Mellouk commune de Rouina. Midi passé de quelques minutes, on se rend et sans attendre au niveau du barrage de Sidi-M’hamed Ben Taïba relevant de la commune de Arib, à une quinzaine de kilomètres du chef-lieu de wilaya. La route de l’oued est bordée de champs agricoles bien entretenus et qui vous font oublier en un laps de temps la raison de notre déplacement, bien que les quelques enfants qui jouaient dans l’eau de cet oued nous a vite remis dans le contexte de notre visite.

    Arrivés, nous avons fait le tour de cette énorme installation en compagnie des responsables qui nous ont tout de suite confirmé les dires des responsables de la Protection civile. “Les victimes de noyade sont enregistrées hors de la cuvette du barrage de Sidi M’hamed Ben Taïba, elles sont par contre enregistrées au niveau du lieudit Oued El Hed et de Tighediouine, jamais un cas n’a été signalé dans la cuvette qui, je dois vous le dire, est gardée 24h/24”, insistera-t-il.

    Cela dit, l’un des agents de sécurité du site nous a clairement déconseillé de nous rendre au lieudit Tighediouine réputé pour être un fief de terroristes. “Si cela ne tenait qu’à moi, je vous conseille de ne pas vous rendre là-bas avec un appareil-photo à la main. Cette région n’est pas encore sécurisée et vous rendre à ce niveau comporte un énorme risque pour vous”, nous dira-t-il avec insistance.

    À notre question de savoir comment se fait-il alors que ces jeunes n’hésitent pas à prendre le risque d’y aller pour se rafraîchir, eux qui peuvent bien se rendre ailleurs, sa réponse fut aussi claire que son avertissement : “Ce n’est pas la même chose, ces jeunes sont issus de cette région et ils sont connus par les terroristes”, justifiera-t-il.

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    • #3
      Témoignages accablants : chaleur de plomb et résidus du terrorisme

      Après cette brève virée, on s’est rendu au niveau de l’oued et au retour, nous avons retrouvé une dizaine de jeunes dont l’âge ne dépassait pas quinze ans et qui s’en donnaient à cœur joie devant l’objectif de notre photographe, à des plongeons les plus spectaculaires.

      Mais pourquoi ces jeunes prennent-ils ces risques énormes ? Leurs réponses sont aussi convaincantes qu’émouvantes. Car en plus de cette insupportable chaleur d’été, ces jeunes n’ont aucun autre moyen de loisir pour s’occuper en cette période de vacances scolaires.

      D’ailleurs, lorsqu’ils sont fatigués et pour fuir le soleil de plomb, ces innocents se réfugient sous les roseaux avant de regagner l’eau et flirter avec la mort en toute inconscience, le sourire aux lèvres. Adel, le plus âgé de tous ces garçons nous révélera sans complexe qu’il a vu la grande bleue une fois dans sa vie en se rendant chez sa tante qui habite à Ténès, wilaya de Chlef. “J’ai connu la mer une fois dans ma vie et j’avais à peine sept ans. C’est ma mère qui s’est rendue chez ma tante à Ténès pour une semaine et c’est là que j’ai nagé pour la première fois dans cet immense bassin d’eau. Sinon, je ne connais aucun autre endroit pour passer mon temps avec mes amis. On s’éclate bien comme il faut, crois-moi”, nous dira-t-il. Cela dit, le risque de l’oued ne semble pas être le seul, mais cela ne dissuade pas Adel et ses amis de rentrer chez eux pour plus de sécurité ou opter pour une sieste bénéfique. “La sieste, moi je ne connais pas”, dira Abdellah, et d’ajouter : “Savez-vous que les terroristes circulent chaque jour au niveau de cet oued à côté du barrage de Sidi M’hamed Ben Taïba. Hier seulement, ils sont venus en grand nombre et sont repartis avec des tapis dans le maquis. Mais généralement, ils ne circulent que la nuit et nous pendant ce temps, on est déjà rentré à la maison”.

      Des témoignages poignants qui nous renseignent un peu plus sur la dureté de la vie à laquelle sont confrontés ces innocents qui gardent tout de même la joie de vivre. 17h00 passées, nous avons décidé de quitter ces enfants intrépides qui commençaient à rentrer chez eux pour rejoindre l’hôtel. Le lendemain, après une grasse matinée, nous avons pris le chemin vers un autre barrage. Il s’agit de celui de Ouled Mellouk relevant de la commune de Rouina à 20 kilomètres de chef-lieu de la wilaya, au lieudit El Mina. Un nom qui fait référence à la mine de carrière gérée par trois entreprises dont une chinoise.

      La chaleur, l’inactivité, la poussière de la mine et la “Guelta”

      El Mina, dans ce no man’s land et les villageois qui ont fui la poussière et le bruit insoutenable de l’explosion des mines au niveau de la carrière.
      D’ailleurs, il y avait plusieurs locaux commerciaux tous saccagés avec des rideaux à moitié arrachés et des graffitis injurieux envers les autorités locales. On s’est rendu donc au niveau du barrage, le plus grand de Aïn Defla. Sur place, nous avons été reçus par les responsables et nous avons eu une discussion avec les personnes chargées de la sécurité du site. Là, on eut la surprise de trouver quelques pêcheurs aux alentours de la cuvette avec bien sûr une plaque où est marquée “Baignade interdite” en langue officielle.

      Mais souvent ce genre de plaque est vite saccagée par les jeunes, nous révélera le responsable de la sécurité au niveau de ce barrage. “Chaque été et afin de sensibiliser les gens sur le danger que représente la baignade dans le barrage, nous installons des plaques aux quatre coins du site, mais elles ne tiennent que quelques jours avant d’être arrachées.

      On ne comprend pas pourquoi, pourtant elles sont destinées pour assurer leur sécurité”, nous dira-t-il avec amertume. Profitant de notre présence, quelques agents de sécurité n’ont pas hésité à nous appréhender pour nous parler de leur situation professionnelle. “On touche un salaire de 14.000 dinars par mois, cela fait six ans qu’on travaille sur ce site depuis son inauguration par le président de la République en 2003. Sachez bien que depuis cette année aucune augmentation ne nous a touchés. Nous avons des enfants et nous souhaitons que nos efforts pour surveiller ce barrage soient aussi récompensés”, revendiquent-ils.

      La Guelta, le succès chaque week-end

      À quelque 500 mètres, se trouve une “guelta”. Cette dernière d’une vingtaine de mètres de profondeur fait office d’une piscine d’une longueur de 30 mètres et d’une largeur égale et qui date de l’époque coloniale. Les week-ends, cette “guelta” voit la présence de plus de 200 jeunes venus des quatre coins de la wilaya et même des wilayas limitrophes. Là encore, on a rencontré des jeunes, mais cette fois plus âgés que ceux de Sidi M’ hamed Ben Taïba. Il s’agit de Rabah âgé de 32 ans manœuvre de son état et Ahmed habitant Khemis Miliana venu passer des vacances chez l’un de ses oncles habitant la région. Pour ces derniers, venir se rafraîchir au niveau de cette “guelta”, répond aussi aux moyens dérisoires dont ils disposent et qui ne leur permet pas d’aller passer des vacances ailleurs dans une wilaya du littoral. “On sait que c’est dangereux puisqu’on a même assisté à des cas de noyade sur place. Mais cela ne nous empêche pas de revenir ici chaque jour où la chaleur bat son plein. L’eau est douce et fraîche et cela, crois-moi, nous fait beaucoup de bien. Moi, j’aimerais bien un jour aller passer des vacances comme les jeunes de mon âge à Tipasa, Alger ou Oran, ce serait mieux, mais comment ? Je ne travaille pas comme la majorité des jeunes de mon âge ici dans ce village. Personne ne pense à nous sauf pour les rendez-vous électoraux et vous voyez le résultat, tous les locaux commerciaux sont aujourd’hui saccagés.”
      Des locaux ici pour faire quoi, on aurait préféré avoir un centre de formation où une maison de jeunes ou de culture pour y passer notre temps. Je suis un manœuvre, mais cela ne m’empêche pas de finir mes journées dans une maison de jeunes à apprendre quelque chose, à lire le français, l’anglais, jouer aux échecs, je ne sais pas moi, au lieu d’aller me baigner dans la “guelta” s’est-il insurgé.

      Ces jeunes n’ont-ils pas peur de contracter des maladies dans cette eau stagnante ? Rabah insouciant, avec un large sourire nous révélera : “Crois-moi, jamais on a eu affaire à une quelconque maladie, du moins pour les jeunes de ce village qui fréquentent souvent cette «guelta». Ceci dit, les étrangers qui viennent se baigner ici se plaignent souvent de quelques pathologies liées à la dermatologie. Ces derniers une fois partis se grattent la peau toute la nuit”. Ainsi, si les harragas bravent le danger des eaux de la mer pour rallier l’autre rive pour une vie meilleure, les jeunes de la wilaya de Aïn Defla eux bravent les eaux des barrages et des oueds pour un objectif dérisoire. Juste pour un peu de fraîcheur. Des risques inutiles, mais qui font partie de leur quotidien. Ces jeunes savent pertinemment qu’ils encourent de grands dangers, mais cela ne les empêchent pas de dormir lors de ces nuits d’été en pensant au lendemain qu’ils vont passer dans l’oued.

      Ni la sensibilisation des autorités à leur tête la Protection civile ni les plaques de baignade interdite ne semblent servir à quoi que ce soit. La mort frappe ainsi chaque jour des familles des villages de Aïn Defla, mais jamais la volonté de cette jeunesse algérienne livrée à elle-même, dépourvue du minimum surtout dans ces villes et villages de l’intérieur du pays où le thermomètre augmente chaque année sous l’effet des changements climatiques.


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