Le Congrès de la Soummam a créé les assises et l’ébauche de l’Etat algérien
L’article qui va suivre se veut à la fois un modeste hommage et une évocation. Hommage à feu Omar Oussedik (voir encadré), une illustre figure du combat libérateur, hélas disparu en 1992 et qui, deux fois hélas, malgré un parcours révolutionnaire remarquable, demeure ignoré à tel point que, trois fois hélas, nulle école ni placette, nulle rue ni impasse ou autre lieu, ne porte son nom sur les 2 241 747 km2 que compte ce pays pour lequel il a consacré sa vie.
Omar Oussedik, tous ceux qui un jour ou un autre ont connu, milité, ou servi au sein du PPA-MTLD ou du FLN historique, le connaissent. Son nom émaille tous les livres qui se rapportent au mouvement national et à la guerre de Libération. Ce texte s’inspire d’une conversation et reprend quelques propos avec Da Omar, ce glorieux personnage à l’intelligence contagieuse, à la finesse communicative, que j’ai eu l’heur de rencontrer et l’honneur de connaître… un peu. C’est aussi une évocation de l’un des événements qui auront marqué profondément le déroulement de la guerre de Libération nationale car il correspond à la conclusion d’une époque et le départ d’une autre, sans pour autant constituer une cassure dans l’histoire. Autrement dit, cette date est, avec celle qui l’a précédée, le 1er Novembre 1954, une des plus déterminantes du passé récent des Algériens en ce sens qu’elle précise la première, donnant à la lutte populaire des contours idéologiques un peu plus précis, une orientation politique plus rigoureuse. Elle a, en organisant l’ALN, dégagé une stratégie de combat de longue durée mûrie par une expérience militaire qui, si elle n’a que 22 mois seulement au moment des assises d’Ifri, n’en est pas moins enrichissante et chargée d’enseignements. A la vérité, nous ne savons que bien peu de choses sur ce congrès qui est le premier du Front de libération nationale (FLN), et celui qui lui a donné naissance en tant que front. Si la plateforme qui a sanctionné les travaux du Congrès du 20 août 1956 est largement répercutée, les conditions historiques de la tenue de ces assises sont en revanche encore floues. Il appartient sans nul doute aux historiens de se pencher davantage aujourd’hui sur cet épisode de l’histoire, d’en réunir les coordonnées paramétriques de mettre en perspective la mémoire et l’histoire, de les disséquer, de les analyser pour en extraire toute « la substantifique moelle ».
Au déclenchement de la lutte armée de libération, le 1er novembre 1954, le territoire national, champ de bataille principal, a été divisé en cinq zones avec à la tête de chacune d’entre elles un dirigeant assisté de deux adjoints, choisis pour y organiser l’insurrection, mobiliser les masses, irriguer le pays de la pensée patriotique, et de l’objectif que poursuivaient les insurgés. Il fallait nécessairement pour cela passer par une phase entièrement consacrée à l’organisation par la pénétration profonde du pays afin de préparer le peuple algérien dans son ensemble à faire face avec « tous les moyens », qu’on savait limités, à une des plus formidables armées de l’époque, laquelle, malgré son affaiblissement récent avec la débâcle de 39-40 face à l’Allemagne nazie, demeurait puissante et efficacement appuyée par l’OTAN. Une armée organisée, rompue aux conflits modernes, de surcroît plus que jamais motivée pour redorer dans les djebels algériens, un blason flétri dans les rizières d’Indochine et sérieusement mortifié à Diên Biên Phû. Mais une armée aguerrie. Il ne faut pas se leurrer, l’armée française n’était pas un adversaire de moindre taille, même si, comme disait le général américain Westmorland, on ne peut rien apprendre d’elle « qui n’a pas gagné une bataille depuis Napoléon ». Et, au risque de se répéter, comparées à celles de l’ennemi, les ressources tant humaines que matérielles dont disposait l’ALN naissante, revenaient à partir à l’assaut du ciel. Mais si le ciel était la demeure de la liberté, la détermination populaire commandait d’aller l’y quérir. Les responsables du déclenchement de la lutte armée, après en avoir pris la décision irrévocable, se sont séparés et chacun s’en est allé rejoindre son poste. Ainsi Mostefa Ben Boulaïd devait diriger la zone I qui correspondait au massif des Aurès-Némemchas ; Rabah Bitat, le Nord constantinois qui était le zone II ; la zone III qui s’étendait sur la haute et la basse Kabylie a été confiée à Krim Belkacem ; le centre qui comprend l’Algérois et l’Ouarsenis dénommé zone IV est revenu à Didouche Mourad et enfin la zone V, qui était l’Oranie, était dirigée par Larbi Ben M’hidi. La zone VI sera créée par le Congrès de la Soummam, de même que la zone autonome d’Alger. Toutefois, pour des raisons peu ou prou convaincantes et diversement expliquées, Bitat et Didouche devaient permuter quelques semaines avant le déclenchement. Au Caire, se trouvaient Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella et Mohamed Khider qui représentaient la délégation extérieure. Boudiaf, chargé de la coordination générale, les rejoindra à la fin du mois d’octobre 1954. On est jamais de trop, se disait-on, dès lors qu’il s’agissait de mobiliser les solidarités internationales, de lancer une action diplomatique afin de garantir l’acquisition d’armes et assurer leur acheminement vers l’intérieur. Toutefois, avant de se séparer, les « Six historiques » s’étaient fixé rendez-vous pour le 10 janvier 1955 afin de faire le point. L’état de guerre généralisée n’allait pas tarder à s’installer sinon à travers toute l’Algérie, mais au moins dans l’esprit de tous ses habitants qu’ils soient Algériens de souche ou Européens. L’embrasement a été immédiat, particulièrement dans les Aurès ; dès les premiers mois, la zone dirigée par Ben Boulaïd allait subir une intolérable pression. Les autorités coloniales donnent dès les premières salves le ton de ce qui allait devenir un des conflits parmi les plus violents du XXe siècle, et Dieu sait s’il en a connu ! Fidèle à sa réputation de brutalité, l’armée française, au service du colonialisme, s’est engagée dans une répression héritée des Saint-Arnaud, Pélissier et autres Trézel. Les combattants de l’ALN ne sont pas en reste et répliquent par une rare audace qui accompagne chacune de leurs opérations, au déluge de fer et de feu qui s’abat sur le pays. Du côté du FLN, le départ vers l’extérieur de Boudiaf a privé l’intérieur d’un lien susceptible d’organiser la concertation, de favoriser la communication, de dégager une stratégie commune pour impulser à l’engagement qui venait d’être entrepris, suffisamment d’énergie pour créer une pression permanente et élevée sur l’ennemi. Il a fallu donc attendre 1956 et le 20 août, pour que la révolution, qui avait atteint le point de non-retour – puisque la pénétration des déchras et des douars était alors pratiquement achevée à travers tout le territoire national – pour que les dirigeants se réunissent enfin en congrès. Pour Omar Oussedik, « la situation politique interne se caractérisait, entre autres, par l’effondrement de la tentative de la création par le PCA d’un maquis communiste, les combattants de la liberté, lequel avait accusé un retard quant à sa participation à la lutte armée et qui n’avait pas accepté les conditions émises par le FLN pour gagner ses rangs. En effet, ce dernier exigeait une adhésion au titre individuel et non par formation politique. Ces conditions qui plaçaient en premier lieu la libération totale du pays, écartaient l’existence de groupes d’inspiration idéologique prononcée et différentes, estimant qu’ils pouvaient représenter un danger quant à la cohésion du front qui, par ailleurs, condamnait tout travail fractionnel ». En outre, il y a lieu de signaler « l’essoufflement du Mouvement national algérien (MNA) qui voulait, dans un combat d’arrière-garde, imposer le leadership de Messali El Hadj sur la révolution au déclenchement de laquelle il était étranger. La disqualification des messalistes va permettre une décantation définitive du climat politique national et le FLN émergera comme seul et unique représentant du peuple algérien en lutte ».
L’article qui va suivre se veut à la fois un modeste hommage et une évocation. Hommage à feu Omar Oussedik (voir encadré), une illustre figure du combat libérateur, hélas disparu en 1992 et qui, deux fois hélas, malgré un parcours révolutionnaire remarquable, demeure ignoré à tel point que, trois fois hélas, nulle école ni placette, nulle rue ni impasse ou autre lieu, ne porte son nom sur les 2 241 747 km2 que compte ce pays pour lequel il a consacré sa vie.
Omar Oussedik, tous ceux qui un jour ou un autre ont connu, milité, ou servi au sein du PPA-MTLD ou du FLN historique, le connaissent. Son nom émaille tous les livres qui se rapportent au mouvement national et à la guerre de Libération. Ce texte s’inspire d’une conversation et reprend quelques propos avec Da Omar, ce glorieux personnage à l’intelligence contagieuse, à la finesse communicative, que j’ai eu l’heur de rencontrer et l’honneur de connaître… un peu. C’est aussi une évocation de l’un des événements qui auront marqué profondément le déroulement de la guerre de Libération nationale car il correspond à la conclusion d’une époque et le départ d’une autre, sans pour autant constituer une cassure dans l’histoire. Autrement dit, cette date est, avec celle qui l’a précédée, le 1er Novembre 1954, une des plus déterminantes du passé récent des Algériens en ce sens qu’elle précise la première, donnant à la lutte populaire des contours idéologiques un peu plus précis, une orientation politique plus rigoureuse. Elle a, en organisant l’ALN, dégagé une stratégie de combat de longue durée mûrie par une expérience militaire qui, si elle n’a que 22 mois seulement au moment des assises d’Ifri, n’en est pas moins enrichissante et chargée d’enseignements. A la vérité, nous ne savons que bien peu de choses sur ce congrès qui est le premier du Front de libération nationale (FLN), et celui qui lui a donné naissance en tant que front. Si la plateforme qui a sanctionné les travaux du Congrès du 20 août 1956 est largement répercutée, les conditions historiques de la tenue de ces assises sont en revanche encore floues. Il appartient sans nul doute aux historiens de se pencher davantage aujourd’hui sur cet épisode de l’histoire, d’en réunir les coordonnées paramétriques de mettre en perspective la mémoire et l’histoire, de les disséquer, de les analyser pour en extraire toute « la substantifique moelle ».
Au déclenchement de la lutte armée de libération, le 1er novembre 1954, le territoire national, champ de bataille principal, a été divisé en cinq zones avec à la tête de chacune d’entre elles un dirigeant assisté de deux adjoints, choisis pour y organiser l’insurrection, mobiliser les masses, irriguer le pays de la pensée patriotique, et de l’objectif que poursuivaient les insurgés. Il fallait nécessairement pour cela passer par une phase entièrement consacrée à l’organisation par la pénétration profonde du pays afin de préparer le peuple algérien dans son ensemble à faire face avec « tous les moyens », qu’on savait limités, à une des plus formidables armées de l’époque, laquelle, malgré son affaiblissement récent avec la débâcle de 39-40 face à l’Allemagne nazie, demeurait puissante et efficacement appuyée par l’OTAN. Une armée organisée, rompue aux conflits modernes, de surcroît plus que jamais motivée pour redorer dans les djebels algériens, un blason flétri dans les rizières d’Indochine et sérieusement mortifié à Diên Biên Phû. Mais une armée aguerrie. Il ne faut pas se leurrer, l’armée française n’était pas un adversaire de moindre taille, même si, comme disait le général américain Westmorland, on ne peut rien apprendre d’elle « qui n’a pas gagné une bataille depuis Napoléon ». Et, au risque de se répéter, comparées à celles de l’ennemi, les ressources tant humaines que matérielles dont disposait l’ALN naissante, revenaient à partir à l’assaut du ciel. Mais si le ciel était la demeure de la liberté, la détermination populaire commandait d’aller l’y quérir. Les responsables du déclenchement de la lutte armée, après en avoir pris la décision irrévocable, se sont séparés et chacun s’en est allé rejoindre son poste. Ainsi Mostefa Ben Boulaïd devait diriger la zone I qui correspondait au massif des Aurès-Némemchas ; Rabah Bitat, le Nord constantinois qui était le zone II ; la zone III qui s’étendait sur la haute et la basse Kabylie a été confiée à Krim Belkacem ; le centre qui comprend l’Algérois et l’Ouarsenis dénommé zone IV est revenu à Didouche Mourad et enfin la zone V, qui était l’Oranie, était dirigée par Larbi Ben M’hidi. La zone VI sera créée par le Congrès de la Soummam, de même que la zone autonome d’Alger. Toutefois, pour des raisons peu ou prou convaincantes et diversement expliquées, Bitat et Didouche devaient permuter quelques semaines avant le déclenchement. Au Caire, se trouvaient Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella et Mohamed Khider qui représentaient la délégation extérieure. Boudiaf, chargé de la coordination générale, les rejoindra à la fin du mois d’octobre 1954. On est jamais de trop, se disait-on, dès lors qu’il s’agissait de mobiliser les solidarités internationales, de lancer une action diplomatique afin de garantir l’acquisition d’armes et assurer leur acheminement vers l’intérieur. Toutefois, avant de se séparer, les « Six historiques » s’étaient fixé rendez-vous pour le 10 janvier 1955 afin de faire le point. L’état de guerre généralisée n’allait pas tarder à s’installer sinon à travers toute l’Algérie, mais au moins dans l’esprit de tous ses habitants qu’ils soient Algériens de souche ou Européens. L’embrasement a été immédiat, particulièrement dans les Aurès ; dès les premiers mois, la zone dirigée par Ben Boulaïd allait subir une intolérable pression. Les autorités coloniales donnent dès les premières salves le ton de ce qui allait devenir un des conflits parmi les plus violents du XXe siècle, et Dieu sait s’il en a connu ! Fidèle à sa réputation de brutalité, l’armée française, au service du colonialisme, s’est engagée dans une répression héritée des Saint-Arnaud, Pélissier et autres Trézel. Les combattants de l’ALN ne sont pas en reste et répliquent par une rare audace qui accompagne chacune de leurs opérations, au déluge de fer et de feu qui s’abat sur le pays. Du côté du FLN, le départ vers l’extérieur de Boudiaf a privé l’intérieur d’un lien susceptible d’organiser la concertation, de favoriser la communication, de dégager une stratégie commune pour impulser à l’engagement qui venait d’être entrepris, suffisamment d’énergie pour créer une pression permanente et élevée sur l’ennemi. Il a fallu donc attendre 1956 et le 20 août, pour que la révolution, qui avait atteint le point de non-retour – puisque la pénétration des déchras et des douars était alors pratiquement achevée à travers tout le territoire national – pour que les dirigeants se réunissent enfin en congrès. Pour Omar Oussedik, « la situation politique interne se caractérisait, entre autres, par l’effondrement de la tentative de la création par le PCA d’un maquis communiste, les combattants de la liberté, lequel avait accusé un retard quant à sa participation à la lutte armée et qui n’avait pas accepté les conditions émises par le FLN pour gagner ses rangs. En effet, ce dernier exigeait une adhésion au titre individuel et non par formation politique. Ces conditions qui plaçaient en premier lieu la libération totale du pays, écartaient l’existence de groupes d’inspiration idéologique prononcée et différentes, estimant qu’ils pouvaient représenter un danger quant à la cohésion du front qui, par ailleurs, condamnait tout travail fractionnel ». En outre, il y a lieu de signaler « l’essoufflement du Mouvement national algérien (MNA) qui voulait, dans un combat d’arrière-garde, imposer le leadership de Messali El Hadj sur la révolution au déclenchement de laquelle il était étranger. La disqualification des messalistes va permettre une décantation définitive du climat politique national et le FLN émergera comme seul et unique représentant du peuple algérien en lutte ».
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