Nagib Mojaddedi est très fier de montrer les clichés. On y voit des talibans tout juste libérés de prison. Ils sont sagement assis sous une bâche, le cheveu coupé ras, et ils boivent… du Coca-Cola. Et il y a cette autre photographie. Elle met en scène des insurgés, ou plutôt d'anciens insurgés à cet instant, réunis autour du stock d'armes qu'ils viennent de remettre aux autorités.
Prisonniers libérés dans un sens, rebelles ralliés dans l'autre. Ce double flux, que l'on appelle en Afghanistan "la réconciliation nationale", est l'œuvre de Nagib Mojaddedi, ou plutôt celle de son père dont il est le principal conseiller, Sibghatullah Mojaddedi, proche du président sortant Hamid Karzaï. Baptisée Programme pour la réconciliation (Tahkim-e Solh, PTS) et supervisée par la Commission afghane nationale indépendante pour la paix et la réconciliation, la mission Mojaddedi –père et fils– est la clef de voûte de la politique de la main tendue du régime de Kaboul à la rébellion.
A l'heure où l'enlisement de la guerre en Afghanistan conforte les partisans d'une sortie de crise par le dialogue, le PTS –mis en route en 2005– est un précédent soigneusement étudié. Mais son bilan est plutôt maigre à en juger par son impact sur la rébellion, qui ne faiblit pas. Nagib Mojaddedi l'admet lui-même. A ses yeux, sa mission bute sur un financement insuffisant. "Il nous faut de l'argent pour soutenir ces anciens insurgés, dit-il. Ils n'ont rien, pas de travail, pas de logement. Ils ont besoin de commencer une nouvelle vie." Et Nagib Mojaddedi d'émettre cette plainte amère: "Pourquoi l'Occident ne nous aide-t-il pas? Il dépense des milliards pour son effort de guerre et rien pour la réconciliation. Je ne comprends pas." La réponse à l'interrogation de M.Mojaddedi est simple: les Etats-Unis ont toujours vu ces efforts de "réconciliation" avec la plus grande suspicion. Ou plutôt, telle était l'attitude de Washington jusqu'à ces derniers mois.
Depuis le printemps, Barack Obama et sa secrétaire d'Etat Hillary Clinton ont exprimé le souhait d'engager un dialogue avec des "talibans modérés". Leurs alliés britanniques les avaient précédés dans cette voie. "Les Britanniques ne sont pas mécontents du plus grand pragmatisme de Washington", relève un diplomate. Quant à M.Karzaï, ses appels au dialogue sont désormais rituels. S'il devait être réélu, il "lancerait rapidement une initiative", annonce un de ses conseillers. Un premier geste, précise-t-il, pourrait être de "donner plus d'envergure politique" à la mission PTS.
Mouvement multipolaire Mais chacun, à Kaboul, sait que la tactique du "repêchage district par district", qui rallie les insurgés les moins "idéologiques" et les plus locaux, ne suffit pas. Elle doit s'accompagner d'un dialogue politique à un niveau plus élevé. Et c'est là que le bât blesse car le mouvement taliban, replié au Pakistan, n'est pas pyramidal mais multipolaire.
A quel "pôle" s'adresser entre la choura (conseil) de Quetta –basée au Baloutchistan– la choura de Miranshah –dans le Nord-Waziristan– ou la choura de Peshawar? Il est hors de question de discuter avec les noyaux talibans liés à Al-Qaida, clament officiels afghans et diplomates occidentaux. Cela exclut d'emblée la choura de Miranshah, dominée par le réseau "Haqqani", du nom de l'ancien chef de guerre afghan, qui s'inscrit dans le djihad international de type Al-Qaida. En revanche, la choura de Quetta, dirigée par le mollah Omar, figure tutélaire de l'ex-régime taliban, pourrait être "plus réconciliable", selon le mot d'un conseiller présidentiel, car "plus afghane" et "moins internationale".
Sur le fond, que dire à ces talibans "réconciliables"? Accepteront-ils les termes du marché qu'on leur suggère, à savoir qu'ils pourront intégrer le pouvoir politique en échange de la reconnaissance de la Constitution, la renonciation à la violence et, insistent les Occidentaux, l'acceptation de la présence militaire étrangère? L'offre a déjà été souvent sèchement rejetée par le mollah Omar. Mais dans l'hypothèse où d'autres chefs talibans pourraient être tentés, un obstacle juridique surgirait: la liste des personnes visées par les sanctions des Nations unies adoptées par le Conseil de sécurité en 1999. L'existence de cette liste rend impossible tout contact avec ceux qui y figurent.
"Il faut leur envoyer un signal", dit le conseiller de M.Karzaï. Ce signal pourrait être le retrait de cette liste de figures de l'ancien régime taliban déjà ralliées à Kaboul, tels Wakil Ahmad Mutawakil, ex-ministre des affaires étrangères, et Abdul Salam Zaëf, ex-ambassadeur au Pakistan. Un signal destiné à leurs anciens compagnons sur la mansuétude à laquelle ils pourraient prétendre. "Mais tant que les talibans jugeront que le rapport de forces penche en leur faveur, note un observateur international, ce projet risque de rester purement théorique."
Par Le Monde
Prisonniers libérés dans un sens, rebelles ralliés dans l'autre. Ce double flux, que l'on appelle en Afghanistan "la réconciliation nationale", est l'œuvre de Nagib Mojaddedi, ou plutôt celle de son père dont il est le principal conseiller, Sibghatullah Mojaddedi, proche du président sortant Hamid Karzaï. Baptisée Programme pour la réconciliation (Tahkim-e Solh, PTS) et supervisée par la Commission afghane nationale indépendante pour la paix et la réconciliation, la mission Mojaddedi –père et fils– est la clef de voûte de la politique de la main tendue du régime de Kaboul à la rébellion.
A l'heure où l'enlisement de la guerre en Afghanistan conforte les partisans d'une sortie de crise par le dialogue, le PTS –mis en route en 2005– est un précédent soigneusement étudié. Mais son bilan est plutôt maigre à en juger par son impact sur la rébellion, qui ne faiblit pas. Nagib Mojaddedi l'admet lui-même. A ses yeux, sa mission bute sur un financement insuffisant. "Il nous faut de l'argent pour soutenir ces anciens insurgés, dit-il. Ils n'ont rien, pas de travail, pas de logement. Ils ont besoin de commencer une nouvelle vie." Et Nagib Mojaddedi d'émettre cette plainte amère: "Pourquoi l'Occident ne nous aide-t-il pas? Il dépense des milliards pour son effort de guerre et rien pour la réconciliation. Je ne comprends pas." La réponse à l'interrogation de M.Mojaddedi est simple: les Etats-Unis ont toujours vu ces efforts de "réconciliation" avec la plus grande suspicion. Ou plutôt, telle était l'attitude de Washington jusqu'à ces derniers mois.
Depuis le printemps, Barack Obama et sa secrétaire d'Etat Hillary Clinton ont exprimé le souhait d'engager un dialogue avec des "talibans modérés". Leurs alliés britanniques les avaient précédés dans cette voie. "Les Britanniques ne sont pas mécontents du plus grand pragmatisme de Washington", relève un diplomate. Quant à M.Karzaï, ses appels au dialogue sont désormais rituels. S'il devait être réélu, il "lancerait rapidement une initiative", annonce un de ses conseillers. Un premier geste, précise-t-il, pourrait être de "donner plus d'envergure politique" à la mission PTS.
Mouvement multipolaire Mais chacun, à Kaboul, sait que la tactique du "repêchage district par district", qui rallie les insurgés les moins "idéologiques" et les plus locaux, ne suffit pas. Elle doit s'accompagner d'un dialogue politique à un niveau plus élevé. Et c'est là que le bât blesse car le mouvement taliban, replié au Pakistan, n'est pas pyramidal mais multipolaire.
A quel "pôle" s'adresser entre la choura (conseil) de Quetta –basée au Baloutchistan– la choura de Miranshah –dans le Nord-Waziristan– ou la choura de Peshawar? Il est hors de question de discuter avec les noyaux talibans liés à Al-Qaida, clament officiels afghans et diplomates occidentaux. Cela exclut d'emblée la choura de Miranshah, dominée par le réseau "Haqqani", du nom de l'ancien chef de guerre afghan, qui s'inscrit dans le djihad international de type Al-Qaida. En revanche, la choura de Quetta, dirigée par le mollah Omar, figure tutélaire de l'ex-régime taliban, pourrait être "plus réconciliable", selon le mot d'un conseiller présidentiel, car "plus afghane" et "moins internationale".
Sur le fond, que dire à ces talibans "réconciliables"? Accepteront-ils les termes du marché qu'on leur suggère, à savoir qu'ils pourront intégrer le pouvoir politique en échange de la reconnaissance de la Constitution, la renonciation à la violence et, insistent les Occidentaux, l'acceptation de la présence militaire étrangère? L'offre a déjà été souvent sèchement rejetée par le mollah Omar. Mais dans l'hypothèse où d'autres chefs talibans pourraient être tentés, un obstacle juridique surgirait: la liste des personnes visées par les sanctions des Nations unies adoptées par le Conseil de sécurité en 1999. L'existence de cette liste rend impossible tout contact avec ceux qui y figurent.
"Il faut leur envoyer un signal", dit le conseiller de M.Karzaï. Ce signal pourrait être le retrait de cette liste de figures de l'ancien régime taliban déjà ralliées à Kaboul, tels Wakil Ahmad Mutawakil, ex-ministre des affaires étrangères, et Abdul Salam Zaëf, ex-ambassadeur au Pakistan. Un signal destiné à leurs anciens compagnons sur la mansuétude à laquelle ils pourraient prétendre. "Mais tant que les talibans jugeront que le rapport de forces penche en leur faveur, note un observateur international, ce projet risque de rester purement théorique."
Par Le Monde
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