Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Le triomphe d'Usain Bolt, bonne et mauvaise nouvelle, par Mustapha Kessous

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Le triomphe d'Usain Bolt, bonne et mauvaise nouvelle, par Mustapha Kessous

    Le triomphe d'Usain Bolt, bonne et mauvaise nouvelle, par Mustapha Kessous
    LE MONDE
    Bienvenue dans l'univers merveilleux de "Bolt-Disney". Usain Bolt ou l'histoire incroyable d'un gamin qui ne voulait pas courir le 100mètres, et qui, en une seule année, s'amuse à briser deux fois le record du monde en le ramenant à 9'' 58. Dans la foulée, ce géant vert et jaune écrase le chrono sur 200 mètres pour l'établir désormais à 19'' 19. Aux Jeux olympiques de Pékin, en 2008, le Jamaïcain était devenu un coureur "surhumain", aux Mondiaux d'athlétisme à Berlin, qui viennent de s'achever, il s'est érigé en "dieu" du sprint, éclipsant tous ses concurrents… Ainsi, le jeune homme de 23 ans a les pieds d'Achille sans la malédiction du talon, les cuisses de Jupiter, le nouveau… Zeus des pistes. Mais, c'est probablement d'Hermès que se rapproche le plus le Jamaïcain. Ses exploits sont porteurs de bonnes comme de mauvaises nouvelles pour l'athlétisme.

    En devenant l'homme le plus rapide de tous les temps, Usain Bolt a remis en cause les théories de scientifiques qui avaient posé une limite aux coureurs du 100 mètres: autour des 9''50. "L'Eclair", son surnom, la repousse à chaque fois un peu plus encore avec une décontraction et une facilité déroutantes. Il parle même d'atteindre les 9''40… Avec son 1m 96 et ses 86kg, et sa marge de progression, Usain Bolt détruit au passage l'éternelle image du sprinteur, celle d'un petit coureur bodybuildé.

    Aujourd'hui, le Jamaïcain repose à ces scientifiques une question d'ordre philosophique: "L'homme est-il fini ou infini?" comme le fait remarquer Christophe Brissonneau, sociologue du sport. En un siècle, l'être humain a atteint 99% de ses capacités physiques. Seule la technologie – comme dans la natation – peut aider à repousser encore les limites des performances sportives, explique Jean-François Toussaint, directeur de l'Institut de recherche biomédicale et d'épidémiologie du sport (Irmes). "Mais l'homme n'est pas figé dans un calcul mathématique: il évolue, il grandit", souligne M. Brissonneau.

    Cette "exception" apporte aujourd'hui une touche d'humanité dans ce sport qui a longtemps été laminé par des athlètes froids. Le Jamaïcain n'hésite pas à rester de longues minutes à plaisanter avec les spectateurs… Un garçon simple dans lequel le public aime à s'identifier et qui incarne aujourd'hui à lui seul l'athlétisme. Il suffisait d'apercevoir des centaines d'Européens revêtir les couleurs vertes et jaunes dans les gradins de l'Olympiastadion de Berlin. "Si on n'a pas de superstar, c'est difficile de vendre notre sport", a reconnu dans Le Monde du 24 août Lamine Diack, président de la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF). Après Carl Lewis, l'IAAF retrouve une icône et peut espérer revoir des stades afficher complet. C'était loin d'être le cas en Allemagne, même pour la finale du 100 mètres.

    Bolt pose une autre question, sportive cette fois: quel rival? Selon l'Irmes, le temps moyen entre la finale du 100mètres à Pékin et à Berlin a été le même: 9'' 96. Quand Bolt va plus vite, les autres régressent. Que peuvent-ils tenter de faire pour accrocher les deux seules places qui restent sur le podium ? Modifier les normes d'entraînement, changer de discipline, ou se faire aider… par la pharmacopée.

    L'exemple le plus probant concerne le dauphin annoncé de Bolt, le Jamaïcain Yohan Blake, 19 ans, qui court le 100 mètres en 9''93. En juin, il a été contrôlé positif à un stimulant – comme quatre autres compatriotes – et n'a pas été aligné pour le relais 4×100 à Berlin. C'est là tout l'effet pervers de la domination d'Usain Bolt : elle incite au dopage, à se procurer de nouvelles molécules plus performantes.

    Mais pas question pour les dirigeants de l'athlétisme de remettre en cause les exploits d'Usain Bolt, même si planent les soupçons de dopage sur son île. "Ce n'est pas le genre de Bolt, assure Bernard Amsalem, président de la Fédération française d'athlétisme. Je le vois courir depuis qu'il a l'âge de 14 ans et déjà il était hors du commun." Même explication pour Lamine Diack. Le public, lui, veut croire qu'il représente l'athlète ultime et propre.

    Et si quelqu'un parvient demain à chatouiller Usain Bolt, voire à le battre? Les doutes seront difficiles à dissiper. Lors de la finale du 100 mètres, le deuxième, Tyson Gay, a terminé en 9'' 71, record des Etats-Unis, soit 13 centièmes derrière. Sur 200 mètres, l'écart est abyssal, avec 62 centièmes. In fine, Usain Bolt va devenir "l'indice Bolt": plus on se rapprochera de lui, plus le dopage sera avéré.

    "Si, comme il en est capable, il continue à gagner avec autant d'écart sur ses rivaux pendant encore quelques années, le sport pourrait perdre de son intérêt", souligne l'Américain Michael Johnson, dont le record du monde du 200 mètres, qui paraissait imbattable, a été pulvérisé par Bolt à Berlin. A court terme, peut-être pas. Le public va continuer à le suivre, l'encourager à battre des records du monde, que seul lui est capable d'établir. Mais Usain Bolt risque de s'ennuyer. Il devrait un jour se diriger vers le 400 mètres.

    A long terme, l'athlétisme peut perdre de son intérêt. Si les chronos hors du temps de Bolt perdurent ou s'il n'en bat plus, qui voudra continuer à suivre une discipline où les performances seront portées disparues ?
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
Chargement...
X