Perché au pied du mont de l’Akfadou, à quelque 300 mètres d’altitude, sur les hauteurs de la commune mère de Sidi Aïch, capitale des Ath Waghlis, le village Aït Daoud était au rendez-vous le samedi 15 août d’un événement de taille, celui de célébrer les retrouvailles d’un peuple d’une même racine dans la joie et la convivialité.
Il était aussi question de rattraper l’histoire et de la conjuguer au présent pour propulser un avenir où les coutumes traditionnelles et modernes n’en feront qu’un, sorte de chemin pour les futures générations, un chemin qu’il faut baliser par la solidarité communautaire. Lewziaa, ce rituel sacré des Kabyles, synonymes de solidarité et de fraternité, était au centre de cet événement ayant transformé la charmante localité des Aït Daoud en un théâtre de verdure où petits et grands, femmes ou hommes ont rejoint à des dizaines d’invités bien traités.
Sur les chemins qui montent
Aït Daoud, à l’instar des autres villages de Kabylie, a dû son existence à l’entraide et au bénévolat de ses habitants. Entretien des ruelles et cimetière, nettoyage des puits et bien sûr construction de mosquée, qui fait partie d’un patrimoine architectural et culturel implacable des Kabyles, sont devenus des tâches de Monsieur-tout- le-monde. C’est dans ce contexte que le comité du village, ayant réalisé des aménagements à leur lieu de culte et aux deux fontaines du village pensa à organiser cette fête grandiose pour encourager les efforts consentis et songer aussi à multiplier le travail collectif. Le programme de ces festivités est des plus riches. Un tournoi de football animé par des joueurs de la localité est préparé comme un plat d’entrée du rituel pour avoir droit à un plateau de chanteurs servi comme dessert d’un menu vairé. Samedi 15 août, 9 heures du matin. Une journée non ordinaire car elle coïncide avec le premier week-end semi-universel, mais qui n’a pu changer le quotidien des gens. Un climat très frais grâce à quelques giboulées ayant arrosé durant la nuit cette région de la vallée. Sur la route menant vers Sidi Aïch, on sent agréablement l’odeur de la terre humidifiée. Les petits vendeurs à la sauvette de fruits saisonniers squattent déjà les bordures de la RN 26 pour proposer aux passants des figues fraîches, un fruit du terroir. Surtout que l’occasion est propice, un mauvais temps surprenant et un mois de ramadan qui s’approche au triple galop et qui force les nombreux estivants à un retour précoce.Un air frais provenant de la Soummam stimule la nostalgie, si ce n’est cette désagréable fumée gênante qui provient de la décharge désastreuse de Sidi Aïch, située au nord de cette ville et jouxtant la route nationale. Yacine, notre photographe, originaire de cette région de la vallée, a pris soin de nous attendre à l’entrée de la ville pour nous accompagner jusqu’au lieu des festivités. Pour rejoindre Aït Boudaoud, il faut emprunter un chemin qui monte et qui traverse Elflaye, chef-lieu communal. L’ambiance était déjà à son comble. Yacine, qui était déjà sur les lieux la veille, n’arrête pas de parler de cette journée inoubliable, lui qui vit à la capitale ne peut qu’être émerveillé d’une animation villageoise agréable et sereine, loin des embouteillages stressants des villes. Il nous raconte les rencontres de la finale du tournoi, agrémentées d’un bon football, mais surtout l’événement le plus marquant pour ce Kabyle algérois est ce mois d’immolation de trois bœufs, sacrifiés pour la circonstance. Il dira que l’un des veaux a failli provoquer l’irréparable au moment où l’on s’apprêtait à l’égorger, n’étaient la rapidité et le courage d’un père et de son fils qui ont mis fin à la folie de l’animal.
Comme le veulent les coutumes, toute festivité débute par une commémoration à la mémoire de ceux qui ne sont plus là. Le village grouille de monde. Un membre du comité d’organisation s’empresse de dénichre aux hôtes du village un coin de stationnement tout en assurant le passage aux suivants. Nous nous joignons à cette procession qui s’apprête à s’ébranler vers le cimetière du village.
Dans le premier carré, des jeunes scouts avec des filles vêtues de traditionnelles robes kabyles portent soigneusement l’emblème national. Ceux qui forment la queue de la file sont les grabataires. Parmi eux, deux vieillards entament une discussion. "74 ans, tu es encore jeune, si L’Mouhoub. Moi du haut de mes 80 ans je ne me plains toujours pas" claironne le binôme à son compagnon d’un air humoristique.
Les icônes d’Aït Daoud
Idir Hamid, cet octogénaire est victime d’une blessure en 1951 qui lu a valu une amputation de la jambe droite. Il porte depuis une prothèse. Malgré ce handicap et le poids de son âge Da l’Hamid n’a pas courbé l’échine. Travailleur acharné et infatigable, il a participé à tous les ouvrages du village, comme il a porté sa touche dans la construction d’une bonne partie des maisons de son village. Le secret de cette vitalité est, selon lui, l’activité sans relâche mais surtout parce que le vieillard est de ceux qui ont préféré vivre ses huit décennies sur cette terre douce loin des villes polluées et stressantes. Il nous fait savoir que ce lewziaa est une tradition sacrée qui a failli disparaître des mœurs des Aït Waghlis, il ne cesse de faire des éloges aux jeunes de sa dechra pour cette relève synonyme de fidélité et de continuité. Au cimetière, les morts ont droit à une gerbe de fleurs, à l’hymne national chanté en chœur par des bambins et à une minute de silence. Une femme âgée saisit cette opportunité pour faire spontanément une sorte d’oraison funèbre. Atroune Sahra, 74 ans est une veuve du chahid Dahouméne qui fait partie des 15 plus chers fils d’Ait Daoud. Elle aime parler de son mari dont la mort a laissé des traces indélébiles dans la mémoire de la veuve. "Mon mari, accusé de chef terroriste a été arrêté par les Français, torturé puis achevé à coups de rafales en bas du village le 23 mars 1958, ce fut le 40e jour de la naissance de ma fille." Sahra, qui a enfanté en tout 13 enfants est devenue l’une des icônes des Aït Daoud, sinon de tout l’ârch Ath Waghlis. Son statut de veuve de chahid n’est que secondaire devant sa place sociale clef dans l’épanouissement et le développement de ses siens. Elle est considérée mère de tout le monde ici, étant donné qu’elle était l’accoucheuse de toutes les femmes de cette région. A El Flaye, Chemini, Sidi Aich ou Tinebdar, na Sahra n’hésite pas à assister des parturientes au moment où même la médecine moderne fait défaut dans ces montagnes austères. La sage-femme de bord, pas plus grande que deux pommes, ne se limite pas à l’obstétrique, elle pratique presque tous les soins de base pour soulager ses patients. Armée aussi d’une force morale, elle va à la rescousse des bébés, victimes du mauvais œil, pour leur psalmodier des versets coraniques. En somme, Sahra était personnage à utilité publique et irremplaçables dans la société. Outre sa fonction de couturière, le métier d’accoucheuse, elle l’a hérité chez une autre humaniste des Ath Waghlis, Slamani Randja née en 1898 et décédée le 30 novembre 1996.
Il était aussi question de rattraper l’histoire et de la conjuguer au présent pour propulser un avenir où les coutumes traditionnelles et modernes n’en feront qu’un, sorte de chemin pour les futures générations, un chemin qu’il faut baliser par la solidarité communautaire. Lewziaa, ce rituel sacré des Kabyles, synonymes de solidarité et de fraternité, était au centre de cet événement ayant transformé la charmante localité des Aït Daoud en un théâtre de verdure où petits et grands, femmes ou hommes ont rejoint à des dizaines d’invités bien traités.
Sur les chemins qui montent
Aït Daoud, à l’instar des autres villages de Kabylie, a dû son existence à l’entraide et au bénévolat de ses habitants. Entretien des ruelles et cimetière, nettoyage des puits et bien sûr construction de mosquée, qui fait partie d’un patrimoine architectural et culturel implacable des Kabyles, sont devenus des tâches de Monsieur-tout- le-monde. C’est dans ce contexte que le comité du village, ayant réalisé des aménagements à leur lieu de culte et aux deux fontaines du village pensa à organiser cette fête grandiose pour encourager les efforts consentis et songer aussi à multiplier le travail collectif. Le programme de ces festivités est des plus riches. Un tournoi de football animé par des joueurs de la localité est préparé comme un plat d’entrée du rituel pour avoir droit à un plateau de chanteurs servi comme dessert d’un menu vairé. Samedi 15 août, 9 heures du matin. Une journée non ordinaire car elle coïncide avec le premier week-end semi-universel, mais qui n’a pu changer le quotidien des gens. Un climat très frais grâce à quelques giboulées ayant arrosé durant la nuit cette région de la vallée. Sur la route menant vers Sidi Aïch, on sent agréablement l’odeur de la terre humidifiée. Les petits vendeurs à la sauvette de fruits saisonniers squattent déjà les bordures de la RN 26 pour proposer aux passants des figues fraîches, un fruit du terroir. Surtout que l’occasion est propice, un mauvais temps surprenant et un mois de ramadan qui s’approche au triple galop et qui force les nombreux estivants à un retour précoce.Un air frais provenant de la Soummam stimule la nostalgie, si ce n’est cette désagréable fumée gênante qui provient de la décharge désastreuse de Sidi Aïch, située au nord de cette ville et jouxtant la route nationale. Yacine, notre photographe, originaire de cette région de la vallée, a pris soin de nous attendre à l’entrée de la ville pour nous accompagner jusqu’au lieu des festivités. Pour rejoindre Aït Boudaoud, il faut emprunter un chemin qui monte et qui traverse Elflaye, chef-lieu communal. L’ambiance était déjà à son comble. Yacine, qui était déjà sur les lieux la veille, n’arrête pas de parler de cette journée inoubliable, lui qui vit à la capitale ne peut qu’être émerveillé d’une animation villageoise agréable et sereine, loin des embouteillages stressants des villes. Il nous raconte les rencontres de la finale du tournoi, agrémentées d’un bon football, mais surtout l’événement le plus marquant pour ce Kabyle algérois est ce mois d’immolation de trois bœufs, sacrifiés pour la circonstance. Il dira que l’un des veaux a failli provoquer l’irréparable au moment où l’on s’apprêtait à l’égorger, n’étaient la rapidité et le courage d’un père et de son fils qui ont mis fin à la folie de l’animal.
Comme le veulent les coutumes, toute festivité débute par une commémoration à la mémoire de ceux qui ne sont plus là. Le village grouille de monde. Un membre du comité d’organisation s’empresse de dénichre aux hôtes du village un coin de stationnement tout en assurant le passage aux suivants. Nous nous joignons à cette procession qui s’apprête à s’ébranler vers le cimetière du village.
Dans le premier carré, des jeunes scouts avec des filles vêtues de traditionnelles robes kabyles portent soigneusement l’emblème national. Ceux qui forment la queue de la file sont les grabataires. Parmi eux, deux vieillards entament une discussion. "74 ans, tu es encore jeune, si L’Mouhoub. Moi du haut de mes 80 ans je ne me plains toujours pas" claironne le binôme à son compagnon d’un air humoristique.
Les icônes d’Aït Daoud
Idir Hamid, cet octogénaire est victime d’une blessure en 1951 qui lu a valu une amputation de la jambe droite. Il porte depuis une prothèse. Malgré ce handicap et le poids de son âge Da l’Hamid n’a pas courbé l’échine. Travailleur acharné et infatigable, il a participé à tous les ouvrages du village, comme il a porté sa touche dans la construction d’une bonne partie des maisons de son village. Le secret de cette vitalité est, selon lui, l’activité sans relâche mais surtout parce que le vieillard est de ceux qui ont préféré vivre ses huit décennies sur cette terre douce loin des villes polluées et stressantes. Il nous fait savoir que ce lewziaa est une tradition sacrée qui a failli disparaître des mœurs des Aït Waghlis, il ne cesse de faire des éloges aux jeunes de sa dechra pour cette relève synonyme de fidélité et de continuité. Au cimetière, les morts ont droit à une gerbe de fleurs, à l’hymne national chanté en chœur par des bambins et à une minute de silence. Une femme âgée saisit cette opportunité pour faire spontanément une sorte d’oraison funèbre. Atroune Sahra, 74 ans est une veuve du chahid Dahouméne qui fait partie des 15 plus chers fils d’Ait Daoud. Elle aime parler de son mari dont la mort a laissé des traces indélébiles dans la mémoire de la veuve. "Mon mari, accusé de chef terroriste a été arrêté par les Français, torturé puis achevé à coups de rafales en bas du village le 23 mars 1958, ce fut le 40e jour de la naissance de ma fille." Sahra, qui a enfanté en tout 13 enfants est devenue l’une des icônes des Aït Daoud, sinon de tout l’ârch Ath Waghlis. Son statut de veuve de chahid n’est que secondaire devant sa place sociale clef dans l’épanouissement et le développement de ses siens. Elle est considérée mère de tout le monde ici, étant donné qu’elle était l’accoucheuse de toutes les femmes de cette région. A El Flaye, Chemini, Sidi Aich ou Tinebdar, na Sahra n’hésite pas à assister des parturientes au moment où même la médecine moderne fait défaut dans ces montagnes austères. La sage-femme de bord, pas plus grande que deux pommes, ne se limite pas à l’obstétrique, elle pratique presque tous les soins de base pour soulager ses patients. Armée aussi d’une force morale, elle va à la rescousse des bébés, victimes du mauvais œil, pour leur psalmodier des versets coraniques. En somme, Sahra était personnage à utilité publique et irremplaçables dans la société. Outre sa fonction de couturière, le métier d’accoucheuse, elle l’a hérité chez une autre humaniste des Ath Waghlis, Slamani Randja née en 1898 et décédée le 30 novembre 1996.
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