LE MONDE DES LIVRES | 27.08.09 |
Laurent Mauvignier n'était pas né quand son père est rentré d'Algérie, où il avait été "appelé", comme tant d'autres. Appelés à quoi, sinon à faire une guerre douteuse, dans un pays qu'ils ne comprenaient pas ? Au retour, beaucoup d'entre eux se sont murés dans le silence. Ils montraient des photos anodines. "Beaux paysages de vacances pour garder un coin de soleil dans sa tête, mais la guerre, non, pas de guerre", se souvient Rabut, le narrateur de Des hommes, aujourd'hui sexagénaire. Rabut qui pleure dans la nuit, "marqué à vie par des images tellement atroces qu'on ne sait pas se les dire à soi-même".
Il suffit d'un incident, lors d'un anniversaire célébré dans la salle des fêtes de sa petite ville, pour que les fantômes reviennent. Le cousin Bernard, dit Feu-de-Bois, a pété les plombs. Toujours crasseux, un verre dans le nez, il a voulu offrir un bijou à sa soeur. Avec quel argent, s'il vous plaît ? La soeur, affolée, n'a même pas réussi à lui dire merci. Feu-de-Bois a vu rouge, puis s'en est pris à Chefraoui, qu'il a traité de bougnoule...
PHRASES TORTURÉES
Laurent Mauvignier n'a pas son pareil pour faire danser les fantômes, traquer la souffrance des uns qui se confond avec celle des autres. Comme dans ses précédents romans, les monologues des personnages paraissent interchangeables. Cette fluidité est accentuée par un style très particulier, qui enchantera certains lecteurs et paraîtra à d'autres un peu bavard ou trop précieux. On ne voit pas très bien, par exemple, ce qu'apporte une virgule (et non deux points) pour introduire un dialogue. En revanche, la tempête qui agite ces grands blessés de guerre, revenus sans une égratignure, est superbement reproduite dans des phrases inachevées, torturées : "On avait renoncé à croire que l'Algérie, c'était la guerre, parce que la guerre se fait avec des gars en face alors que nous, et puis parce la guerre c'est fait pour être gagné alors que là, et puis parce que la guerre c'est toujours des salauds qui la font à des types bien et que les types bien là il n'y en avait pas, c'étaient des hommes, c'est tout..."
Ces jeunes appelés, morts de trouille, assistent à des horreurs commises par des officiers français, mais découvrent aussi certains des leurs, égorgés, affreusement mutilés. "Quels sont les hommes qui peuvent faire ça. Pas des hommes qui peuvent faire ça. Et pourtant. Des hommes."
Laurent Mauvignier ne fait pas le procès de la guerre d'Algérie, où même les bourreaux apparaissent comme des victimes. Seule l'occupe la douleur - une douleur indicible, enfouie dans les marécages de la mémoire, mais qui finit par remonter à la surface. "Tous ces mariages, ces naissances, ces communions et ces gueuletons avec les anciens d'Afrique du Nord, les méchouis, la nostalgie de quelque chose perdu (...). C'est bon aussi de savoir qu'on n'est pas tout seul à être allé là-bas, et, de temps en temps, pouvoir rire avec d'autres, quand la nuit c'est seul qu'il faut avoir les mains moites et affronter les fantômes."
Des hommes, de Laurent Mauvignier, Minuit, 282 p., 17,50 €.
Robert Solé
Le Monde
Laurent Mauvignier n'était pas né quand son père est rentré d'Algérie, où il avait été "appelé", comme tant d'autres. Appelés à quoi, sinon à faire une guerre douteuse, dans un pays qu'ils ne comprenaient pas ? Au retour, beaucoup d'entre eux se sont murés dans le silence. Ils montraient des photos anodines. "Beaux paysages de vacances pour garder un coin de soleil dans sa tête, mais la guerre, non, pas de guerre", se souvient Rabut, le narrateur de Des hommes, aujourd'hui sexagénaire. Rabut qui pleure dans la nuit, "marqué à vie par des images tellement atroces qu'on ne sait pas se les dire à soi-même".
Il suffit d'un incident, lors d'un anniversaire célébré dans la salle des fêtes de sa petite ville, pour que les fantômes reviennent. Le cousin Bernard, dit Feu-de-Bois, a pété les plombs. Toujours crasseux, un verre dans le nez, il a voulu offrir un bijou à sa soeur. Avec quel argent, s'il vous plaît ? La soeur, affolée, n'a même pas réussi à lui dire merci. Feu-de-Bois a vu rouge, puis s'en est pris à Chefraoui, qu'il a traité de bougnoule...
PHRASES TORTURÉES
Laurent Mauvignier n'a pas son pareil pour faire danser les fantômes, traquer la souffrance des uns qui se confond avec celle des autres. Comme dans ses précédents romans, les monologues des personnages paraissent interchangeables. Cette fluidité est accentuée par un style très particulier, qui enchantera certains lecteurs et paraîtra à d'autres un peu bavard ou trop précieux. On ne voit pas très bien, par exemple, ce qu'apporte une virgule (et non deux points) pour introduire un dialogue. En revanche, la tempête qui agite ces grands blessés de guerre, revenus sans une égratignure, est superbement reproduite dans des phrases inachevées, torturées : "On avait renoncé à croire que l'Algérie, c'était la guerre, parce que la guerre se fait avec des gars en face alors que nous, et puis parce la guerre c'est fait pour être gagné alors que là, et puis parce que la guerre c'est toujours des salauds qui la font à des types bien et que les types bien là il n'y en avait pas, c'étaient des hommes, c'est tout..."
Ces jeunes appelés, morts de trouille, assistent à des horreurs commises par des officiers français, mais découvrent aussi certains des leurs, égorgés, affreusement mutilés. "Quels sont les hommes qui peuvent faire ça. Pas des hommes qui peuvent faire ça. Et pourtant. Des hommes."
Laurent Mauvignier ne fait pas le procès de la guerre d'Algérie, où même les bourreaux apparaissent comme des victimes. Seule l'occupe la douleur - une douleur indicible, enfouie dans les marécages de la mémoire, mais qui finit par remonter à la surface. "Tous ces mariages, ces naissances, ces communions et ces gueuletons avec les anciens d'Afrique du Nord, les méchouis, la nostalgie de quelque chose perdu (...). C'est bon aussi de savoir qu'on n'est pas tout seul à être allé là-bas, et, de temps en temps, pouvoir rire avec d'autres, quand la nuit c'est seul qu'il faut avoir les mains moites et affronter les fantômes."
Des hommes, de Laurent Mauvignier, Minuit, 282 p., 17,50 €.
Robert Solé
Le Monde
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