Les excès de la centralisation du pouvoir
L’Etat paralysé
El-Watan
30-08-2009
Par Mustapha Benfodil
Cinq mois se seront bientôt écoulés depuis la réélection de Abdelaziz Bouteflika à un troisième mandat, ceci, à la faveur d’une opération politique que d’aucuns ont qualifiée, comme de juste, de « coup d’Etat constitutionnel ». Et si l’on devait examiner, ne fût-ce que sommairement, la conduite des affaires du pays à l’aune des résultats réalisés et des chantiers lancés, au cours de ces derniers mois, force est de constater que le tâtonnement, l’improvisation, le cafouillage et le manque de rigueur demeurent les principales caractéristiques de l’action du gouvernement. En un mot : la gouvernance façon Boutef n’est pas près de changer. Et les contrecoups de la loi de finances complémentaire et ses contingents de mécontents ne sont que le dernier épisode d’une série de péripéties qui illustrent, si besoin est, l’impéritie décidément structurelle, qui frappe la gestion de l’Exécutif, et qui, en dix ans de « bouteflikisme », semble avoir irrémédiablement scellé de son emprunte indélébile la marche des affaires publiques dans notre pays.
Il suffit de sérier certains grands dossiers dont Bouteflika a hérités ou qu’il a lui-même instruits pour prendre la mesure de cette cacophonie au sommet. Au chapitre sécuritaire, on se souvient du flou qui embrumait déjà la loi sur la concorde civile, et qui nécessita la promulgation d’un « décret législatif » – un ovni juridique de l’avis des juristes –, pour faire passer sa grâce amnistiante. La loi sur la charte et la réconciliation nationale s’est illustrée également par son caractère hâtif et peu fouillé. Le référendum du 29 septembre 2005 qui l’a consacrée s’est fait sans débat contradictoire, faisant fi du sentiment des familles des victimes du terrorisme et de segments entiers de la société qui réclamaient une « moussalaha » plus équitable, fondée sur les valeurs cardinales de justice et de vérité. Depuis, le président n’a eu de cesse d’alterner un discours conciliant où il donnait du « Monsieur Hattab », et un discours qui empruntait parfois au ton « éradicateur » et une certaine littérature du « tout-sécuritaire ». Là encore, l’opinion ne savait plus comment décoder la politique sécuritaire bouteflikienne. D’un côté, le chef de l’Etat accorde de larges libéralités au courant islamiste en se répandant en générosités à l’endroit des djihadistes radicaux avec sa politique de la « main tendue ». De l’autre, il harangue les troupes de l’ANP et les services de sécurité en les appelant à plus de hargne et de vigilance dans la lutte antiterroriste tout en évoquant une « ligne rouge » qui le lierait à l’establishment militaire, et qui l’empêcherait, est-on tenté de croire, de valider le retour de l’ex-FIS sur la scène politique.
« Démobilisation » des troupes
Récemment, à l’occasion de la commémoration du 20 Août, Bouteflika maniait encore ces deux registres avec la dextérité d’un équilibriste vacillant, en déclarant : « L’Etat a tendu la main à cette catégorie d’égarés en leur offrant la chance de revenir au droit chemin et de réintégrer le peuple pour bénéficier des mesures de la concorde civile et de la réconciliation nationale. Cette main est encore tendue, compte tenu des convictions religieuses de notre peuple, de ses responsabilités historiques et ses choix stratégiques », avant de prévenir : « L’Etat reste fermement déterminé à faire face, avec toute la rigueur qui s’impose, à ceux qui ont dévié du chemin tracé par la nation, ceux-là mêmes qui refusent la main tendue en déniant à la nation le droit de vivre dans la sécurité et la quiétude et empruntent les voies de la désobéissance et du crime. » Le problème avec ce « double discours », estiment nombre d’observateurs, est qu’il a provoqué une « démobilisation » au sein de la société. En témoigne le statut des patriotes qui ont beaucoup perdu au change. Le très perspicace chroniqueur de Liberté, Mustapha Hammouche, relevait avec pertinence ce malaise dans l’une de ses récentes chroniques. Sous le titre : « Vraie guerre et illusion réconciliatrice », notre confrère écrit : « L’arrangement » a démobilisé la résistance citoyenne et sûrement perturbé le moral des troupes engagées dans la lutte antiterroriste. Les forces restées hostiles à l’aventure de « la réconciliation nationale » ont été neutralisées autrement : « Ceux qu’on n’a pas pu corrompre dans leurs convictions républicaines ont été terrorisés par les menaces qu’on a fait peser sur leur carrière, sur leurs intérêts ou sur leurs libertés », (in Liberté du 18 août 2009).
Rente, scandales et corruption
Au chapitre économique, les exemples ne manquent pas. A commencer par l’affaire Khalifa laquelle, on ne le dira pas assez, restera comme l’archétype des connexions malsaines entre le pouvoir politique et les milieux d’affaires. Elle incarne jusqu’à la caricature le laxisme, l’incompétence, l’inconséquence et le manque de sérieux des autorités économiques, particulièrement bancaires, et, bien sûr, politiques du pays qui ont mis en péril la trésorerie d’institutions entières et d’entreprises d’envergure après les avoir mises à la merci d’un aventurier de la finance déguisé en golden boy, fort de protections solides tapies dans les hautes sphères. Et c’est avec cette même légèreté faussement émue que l’on épilogue sur le « scandale du siècle ». Pour qu’à la fin, seuls les lampistes paient pendant que les gros parrains savourent tranquillement leurs dividendes, eux-mêmes protégés par une justice aux ordres. Citons, dans la foulée, d’autres scandales qui trahissent cette même impéritie managériale et ce manque flagrant de prévoyance : l’affaire Tonic Emballage, l’affaire de la BCIA bank, ou encore cette énième affaire, révélée par le quotidien El Khabar dans sa livraison d’hier, et qui oppose El Baraka Bank aux minoteries du général Larbi Belkheir à Ghardaïa. Autant d’esclandres financiers où des sommes colossales sont en jeu et dont le montant dépasserait largement le budget d’un ministère. Ils en disent long sur les conditions aventureuses de l’investissement en Algérie et les mœurs du « tbezniss » sous nos cieux. Dans le même ordre d’idées, on peut citer tous les dysfonctionnements relevés dans l’un des piliers du programme présidentiel, à savoir le Plan national du développement agricole (PNDA) et son corollaire, le FNDRA, deux instruments censés booster une agriculture moribonde. Là encore, les ratés sont légion. Cerise sur le gâteau : le scandale de la CNMA, la Caisse nationale de mutualité agricole qui a englouti quelque 70 milliards de dinars. C’est aussi cela l’ère Bouteflika : de l’argent qui coule à flot dans les caisses de l’Etat à la faveur de la bonne conjoncture pétrolière et cette même manne qui vient renflouer les comptes privés d’une tripotée de rentiers et autres « tycoons » fabriqués par le système et disséminés dans tout le pays. Cela explique, dans une certaine mesure, le soutien électoral inconditionnel apporté par la majorité de nos capitaines d’industrie au président Bouteflika et à son programme économique alors même qu’ils ne tarissent pas de critiques acerbes, « off the record », au sujet de sa stratégie économique et ses choix jugés néfastes pour la stabilité du marché algérien et le climat des affaires à Alger.
L’Etat paralysé
El-Watan
30-08-2009
Par Mustapha Benfodil
Cinq mois se seront bientôt écoulés depuis la réélection de Abdelaziz Bouteflika à un troisième mandat, ceci, à la faveur d’une opération politique que d’aucuns ont qualifiée, comme de juste, de « coup d’Etat constitutionnel ». Et si l’on devait examiner, ne fût-ce que sommairement, la conduite des affaires du pays à l’aune des résultats réalisés et des chantiers lancés, au cours de ces derniers mois, force est de constater que le tâtonnement, l’improvisation, le cafouillage et le manque de rigueur demeurent les principales caractéristiques de l’action du gouvernement. En un mot : la gouvernance façon Boutef n’est pas près de changer. Et les contrecoups de la loi de finances complémentaire et ses contingents de mécontents ne sont que le dernier épisode d’une série de péripéties qui illustrent, si besoin est, l’impéritie décidément structurelle, qui frappe la gestion de l’Exécutif, et qui, en dix ans de « bouteflikisme », semble avoir irrémédiablement scellé de son emprunte indélébile la marche des affaires publiques dans notre pays.
Il suffit de sérier certains grands dossiers dont Bouteflika a hérités ou qu’il a lui-même instruits pour prendre la mesure de cette cacophonie au sommet. Au chapitre sécuritaire, on se souvient du flou qui embrumait déjà la loi sur la concorde civile, et qui nécessita la promulgation d’un « décret législatif » – un ovni juridique de l’avis des juristes –, pour faire passer sa grâce amnistiante. La loi sur la charte et la réconciliation nationale s’est illustrée également par son caractère hâtif et peu fouillé. Le référendum du 29 septembre 2005 qui l’a consacrée s’est fait sans débat contradictoire, faisant fi du sentiment des familles des victimes du terrorisme et de segments entiers de la société qui réclamaient une « moussalaha » plus équitable, fondée sur les valeurs cardinales de justice et de vérité. Depuis, le président n’a eu de cesse d’alterner un discours conciliant où il donnait du « Monsieur Hattab », et un discours qui empruntait parfois au ton « éradicateur » et une certaine littérature du « tout-sécuritaire ». Là encore, l’opinion ne savait plus comment décoder la politique sécuritaire bouteflikienne. D’un côté, le chef de l’Etat accorde de larges libéralités au courant islamiste en se répandant en générosités à l’endroit des djihadistes radicaux avec sa politique de la « main tendue ». De l’autre, il harangue les troupes de l’ANP et les services de sécurité en les appelant à plus de hargne et de vigilance dans la lutte antiterroriste tout en évoquant une « ligne rouge » qui le lierait à l’establishment militaire, et qui l’empêcherait, est-on tenté de croire, de valider le retour de l’ex-FIS sur la scène politique.
« Démobilisation » des troupes
Récemment, à l’occasion de la commémoration du 20 Août, Bouteflika maniait encore ces deux registres avec la dextérité d’un équilibriste vacillant, en déclarant : « L’Etat a tendu la main à cette catégorie d’égarés en leur offrant la chance de revenir au droit chemin et de réintégrer le peuple pour bénéficier des mesures de la concorde civile et de la réconciliation nationale. Cette main est encore tendue, compte tenu des convictions religieuses de notre peuple, de ses responsabilités historiques et ses choix stratégiques », avant de prévenir : « L’Etat reste fermement déterminé à faire face, avec toute la rigueur qui s’impose, à ceux qui ont dévié du chemin tracé par la nation, ceux-là mêmes qui refusent la main tendue en déniant à la nation le droit de vivre dans la sécurité et la quiétude et empruntent les voies de la désobéissance et du crime. » Le problème avec ce « double discours », estiment nombre d’observateurs, est qu’il a provoqué une « démobilisation » au sein de la société. En témoigne le statut des patriotes qui ont beaucoup perdu au change. Le très perspicace chroniqueur de Liberté, Mustapha Hammouche, relevait avec pertinence ce malaise dans l’une de ses récentes chroniques. Sous le titre : « Vraie guerre et illusion réconciliatrice », notre confrère écrit : « L’arrangement » a démobilisé la résistance citoyenne et sûrement perturbé le moral des troupes engagées dans la lutte antiterroriste. Les forces restées hostiles à l’aventure de « la réconciliation nationale » ont été neutralisées autrement : « Ceux qu’on n’a pas pu corrompre dans leurs convictions républicaines ont été terrorisés par les menaces qu’on a fait peser sur leur carrière, sur leurs intérêts ou sur leurs libertés », (in Liberté du 18 août 2009).
Rente, scandales et corruption
Au chapitre économique, les exemples ne manquent pas. A commencer par l’affaire Khalifa laquelle, on ne le dira pas assez, restera comme l’archétype des connexions malsaines entre le pouvoir politique et les milieux d’affaires. Elle incarne jusqu’à la caricature le laxisme, l’incompétence, l’inconséquence et le manque de sérieux des autorités économiques, particulièrement bancaires, et, bien sûr, politiques du pays qui ont mis en péril la trésorerie d’institutions entières et d’entreprises d’envergure après les avoir mises à la merci d’un aventurier de la finance déguisé en golden boy, fort de protections solides tapies dans les hautes sphères. Et c’est avec cette même légèreté faussement émue que l’on épilogue sur le « scandale du siècle ». Pour qu’à la fin, seuls les lampistes paient pendant que les gros parrains savourent tranquillement leurs dividendes, eux-mêmes protégés par une justice aux ordres. Citons, dans la foulée, d’autres scandales qui trahissent cette même impéritie managériale et ce manque flagrant de prévoyance : l’affaire Tonic Emballage, l’affaire de la BCIA bank, ou encore cette énième affaire, révélée par le quotidien El Khabar dans sa livraison d’hier, et qui oppose El Baraka Bank aux minoteries du général Larbi Belkheir à Ghardaïa. Autant d’esclandres financiers où des sommes colossales sont en jeu et dont le montant dépasserait largement le budget d’un ministère. Ils en disent long sur les conditions aventureuses de l’investissement en Algérie et les mœurs du « tbezniss » sous nos cieux. Dans le même ordre d’idées, on peut citer tous les dysfonctionnements relevés dans l’un des piliers du programme présidentiel, à savoir le Plan national du développement agricole (PNDA) et son corollaire, le FNDRA, deux instruments censés booster une agriculture moribonde. Là encore, les ratés sont légion. Cerise sur le gâteau : le scandale de la CNMA, la Caisse nationale de mutualité agricole qui a englouti quelque 70 milliards de dinars. C’est aussi cela l’ère Bouteflika : de l’argent qui coule à flot dans les caisses de l’Etat à la faveur de la bonne conjoncture pétrolière et cette même manne qui vient renflouer les comptes privés d’une tripotée de rentiers et autres « tycoons » fabriqués par le système et disséminés dans tout le pays. Cela explique, dans une certaine mesure, le soutien électoral inconditionnel apporté par la majorité de nos capitaines d’industrie au président Bouteflika et à son programme économique alors même qu’ils ne tarissent pas de critiques acerbes, « off the record », au sujet de sa stratégie économique et ses choix jugés néfastes pour la stabilité du marché algérien et le climat des affaires à Alger.
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