par Eric Conan, Christian Makarian, publié le 26/01/2006 Par L'express . Fr
Entre immigration et conversions, la religion musulmane fait de plus en plus d'adeptes sur le Vieux Continent. Pendant des décennies, la plupart des pays ont compté sur leur force d'attraction et d'intégration pour que ces nouveaux fidèles se fondent dans leurs modèles. Ils s'aperçoivent aujourd'hui que certaines revendications remettent en question leurs propres valeurs. En France et chez ses voisins, analyse d'une confrontation qui bouleverse nombre d' idées reçues
Si l'on cite et récite une prédiction qu'André Malraux n'a jamais écrite - «Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas» - une autre de ses prophéties semble moins connue: «C'est le grand phénomène de notre époque que la violence de la poussée islamique. Sous-estimée par la plupart de nos contemporains, cette montée de l'islam est analogiquement comparable aux débuts du communisme du temps de Lénine. Les conséquences de ce phénomène sont encore imprévisibles.» Dès 1956, à l'orée de la décolonisation, le grand visionnaire avait ainsi balayé l'horizon, ajoutant que «les formes variées de dictature musulmane vont s'établir successivement à travers le monde arabe», que «l'Afrique noire ne restera pas longtemps insensible à ce phénomène» et que «le monde occidental ne semble guère préparé à affronter le problème».
Cette prescience politique pourrait nous inviter à considérer avec un peu d'inquiétude une autre de ses formules, énoncée lors de la campagne présidentielle de 1974: «Politiquement, l'unité de l'Europe est une utopie. Il faudrait un ennemi commun pour l'unité politique de l'Europe, mais le seul ennemi commun qui pourrait exister serait l'islam.» L'actualité européenne de ces derniers mois donne en effet l'impression que dans la plupart des pays membres l'islam est devenu sinon un ennemi, du moins un problème commun (lire les reportages en Allemagne, au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas et au Danemark). D'un seul coup, cet espace de tolérance ne supporte plus ce qu'il acceptait il y a encore peu. La Grande-Bretagne, qui a perdu son flegme, ne veut plus qu'on brûle les livres de Salman Rushdie à Bradford, l'Allemagne s'inquiète soudain des prières installées de longue date dans les jardins publics de Mannheim, l'Espagne se met à condamner des imams qui s'inspirent de trop près du Coran. Partout semble décrétée «la fin de la dictature de l'euphémisme», selon la formule du ministre français de l'Intérieur annonçant que nous sommes «en guerre» contre le «djihadisme global».
Deux événements ont précipité ce changement de climat: les massacres perpétrés au cœur du Vieux Continent par des tueurs se réclamant de l'islam et les débats sur l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne avec l'impression mitigée produite par un Premier ministre turc expliquant qu'il regrettait que ses deux filles ne puissent étudier à l'université d'Istanbul parce qu'elles étaient voilées.
En 1989, l'Europe avait cru sortir des tensions de l'Histoire avec l'effondrement de l'hydre soviétique. L'embrasement des Balkans, réactivant une histoire ancienne, constitua un premier démenti. Aujourd'hui, ce sont les Espagnols qui se sentent replongés dans l'histoire ancienne en voyant le massacre de Madrid revendiqué au nom de la «reconquête d'Al-Andalus», dont les «infidèles» ont spolié les musulmans voilà cinq siècles, mais qui reste définitivement classé «terre d'Islam», puisque conquis par Tariq ben Ziad au VIIIe siècle...
Comme si, dans l'histoire longue du continent, la parenthèse refermée de la courte confrontation Est-Ouest du XXe siècle laissait à nouveau la place au face-à-face entre Islam et Occident balisé par quelques dates immémoriales dans l'histoire de l'Europe et du monde musulman: 732, la victoire de Poitiers; 1492, la reconquête de la péninsule Ibérique; 1571, la bataille de Lépante; 1683, le siège de Vienne, et 1918, la chute de l'Empire ottoman. Une histoire qui a laissé des traces profondes dans la vie quotidienne des Européens, dont beaucoup trempent tous les jours un «croissant» dans leur café sans savoir que ce rite date de la défaite de la «Horde» (l'armée turque) devant les remparts de Vienne.
Suite...
Entre immigration et conversions, la religion musulmane fait de plus en plus d'adeptes sur le Vieux Continent. Pendant des décennies, la plupart des pays ont compté sur leur force d'attraction et d'intégration pour que ces nouveaux fidèles se fondent dans leurs modèles. Ils s'aperçoivent aujourd'hui que certaines revendications remettent en question leurs propres valeurs. En France et chez ses voisins, analyse d'une confrontation qui bouleverse nombre d' idées reçues
Si l'on cite et récite une prédiction qu'André Malraux n'a jamais écrite - «Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas» - une autre de ses prophéties semble moins connue: «C'est le grand phénomène de notre époque que la violence de la poussée islamique. Sous-estimée par la plupart de nos contemporains, cette montée de l'islam est analogiquement comparable aux débuts du communisme du temps de Lénine. Les conséquences de ce phénomène sont encore imprévisibles.» Dès 1956, à l'orée de la décolonisation, le grand visionnaire avait ainsi balayé l'horizon, ajoutant que «les formes variées de dictature musulmane vont s'établir successivement à travers le monde arabe», que «l'Afrique noire ne restera pas longtemps insensible à ce phénomène» et que «le monde occidental ne semble guère préparé à affronter le problème».
Cette prescience politique pourrait nous inviter à considérer avec un peu d'inquiétude une autre de ses formules, énoncée lors de la campagne présidentielle de 1974: «Politiquement, l'unité de l'Europe est une utopie. Il faudrait un ennemi commun pour l'unité politique de l'Europe, mais le seul ennemi commun qui pourrait exister serait l'islam.» L'actualité européenne de ces derniers mois donne en effet l'impression que dans la plupart des pays membres l'islam est devenu sinon un ennemi, du moins un problème commun (lire les reportages en Allemagne, au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas et au Danemark). D'un seul coup, cet espace de tolérance ne supporte plus ce qu'il acceptait il y a encore peu. La Grande-Bretagne, qui a perdu son flegme, ne veut plus qu'on brûle les livres de Salman Rushdie à Bradford, l'Allemagne s'inquiète soudain des prières installées de longue date dans les jardins publics de Mannheim, l'Espagne se met à condamner des imams qui s'inspirent de trop près du Coran. Partout semble décrétée «la fin de la dictature de l'euphémisme», selon la formule du ministre français de l'Intérieur annonçant que nous sommes «en guerre» contre le «djihadisme global».
Deux événements ont précipité ce changement de climat: les massacres perpétrés au cœur du Vieux Continent par des tueurs se réclamant de l'islam et les débats sur l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne avec l'impression mitigée produite par un Premier ministre turc expliquant qu'il regrettait que ses deux filles ne puissent étudier à l'université d'Istanbul parce qu'elles étaient voilées.
En 1989, l'Europe avait cru sortir des tensions de l'Histoire avec l'effondrement de l'hydre soviétique. L'embrasement des Balkans, réactivant une histoire ancienne, constitua un premier démenti. Aujourd'hui, ce sont les Espagnols qui se sentent replongés dans l'histoire ancienne en voyant le massacre de Madrid revendiqué au nom de la «reconquête d'Al-Andalus», dont les «infidèles» ont spolié les musulmans voilà cinq siècles, mais qui reste définitivement classé «terre d'Islam», puisque conquis par Tariq ben Ziad au VIIIe siècle...
Comme si, dans l'histoire longue du continent, la parenthèse refermée de la courte confrontation Est-Ouest du XXe siècle laissait à nouveau la place au face-à-face entre Islam et Occident balisé par quelques dates immémoriales dans l'histoire de l'Europe et du monde musulman: 732, la victoire de Poitiers; 1492, la reconquête de la péninsule Ibérique; 1571, la bataille de Lépante; 1683, le siège de Vienne, et 1918, la chute de l'Empire ottoman. Une histoire qui a laissé des traces profondes dans la vie quotidienne des Européens, dont beaucoup trempent tous les jours un «croissant» dans leur café sans savoir que ce rite date de la défaite de la «Horde» (l'armée turque) devant les remparts de Vienne.
Suite...
Commentaire