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Maroc Cherche classe moyenne 
désespérément

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  • Maroc Cherche classe moyenne 
désespérément

    Selon une étude du haut-commissariat au Plan, elle représenterait 53 % de la population du royaume. Une proportion largement surestimée pour d’autres.

    à l’heure où le roi Mohammed VI fête ses dix ans de règne, un débat agite les observateurs du royaume. Le Maroc a-t-il enfin réussi à sortir du modèle social bipolaire et très inégalitaire qui l’a longtemps caractérisé, pour faire émerger une véritable classe moyenne ? Le 6 mai, le haut-commissariat au Plan (HCP) a tenté d’y répondre en publiant les résultats d’une étude, commencée en 2005, sur l’évolution de la société marocaine. Mais définir la classe moyenne d’un pays n’a rien d’anodin, et l’exercice purement scientifique s’est révélé très sensible sur le plan politique. En publiant ses résultats, le HCP a mis le feu aux poudres et déclenché un vif débat d’experts.

    Selon Ahmed Lahlimi, patron du HCP, la classe moyenne représenterait 53 % de la population marocaine, soit 16,3 millions de personnes, dont 62,9 % vivent en milieu urbain. Les 47 % restants se partagent entre la classe modeste (34 %) et la classe aisée (13 %). Dans les villes, 59 % de la population appartient aux classes moyennes, contre 45 % en milieu rural. Quant à la distribution régionale des classes moyennes, elle recèle quelques surprises : il y en a plus dans l’Oriental que dans les régions de Rabat ou de Tanger.

    Lahlimi le précise : « Il n’existe pas une mais des classes moyennes. » L’étude du HCP distingue trois catégories : la catégorie supérieure (28 %), dont le revenu dépasse la moyenne nationale (5 308 dirhams, 100 DH = 9 euros), la catégorie intermédiaire (42 %) et la catégorie inférieure (30 %), qui gagne environ 3 000 DH. Les classes moyennes disposent par ménage et par mois d’un revenu moyen de 4 402 DH en milieu urbain et de 4 219 DH en milieu rural.

    Guerre des définitions

    « Difficile de croire qu’on puisse gagner 3 000 DH et appartenir à la classe moyenne. Avec un tel salaire, on ne peut même pas faire vivre sa famille décemment dans une ville comme Casablanca », nuançait l’économiste Jamil Mellakhi à l’annonce des résultats de l’étude. Mais pour Lahlimi, cet argument ne vaut pas. « Pour définir la classe moyenne, a-t-il précisé, nous avons tenu compte des réalités socio-économiques du Maroc. Étant un pays pauvre, il est normal que ses classes moyennes soient pauvres. » L’économiste Driss Benali va plus loin et considère que cette catégorie sociale « se base également sur des critères socioculturels comme la préoccupation pour l’éducation, la culture, les loisirs. En tout cas, il est certain que la classe moyenne n’est pas majoritaire au Maroc. Elle représente tout au plus 30 % de la population. »

    Dans cette guerre des définitions, difficile de trancher ; la classe moyenne reste un concept très flou : certains l’abordent sous l’angle strictement économique, d’autres sous l’angle sociologique ou même idéologique. Dans Le Destins des générations (PUF, Paris, 2002), le professeur Louis Chauvel considère que « l’expression “classes moyennes” fait partie de ces appellations sans origine contrôlée ni définition, dont la popularité vient de ce que leur imprécision permet de dire tout et son contraire, plus encore dans un contexte comparatif où les traditions nationales divergent ». Pour preuve, si l’on s’en tient aux critères retenus par la Banque mondiale, les classes moyennes représenteraient 84,1 % de la population marocaine. Selon les critères en vigueur en Tunisie, ce chiffre serait de 78 %. Le HCP a retenu une « approche intermédiaire » qui se fonde sur deux critères : l’un, subjectif, prend en compte l’auto-évaluation et révèle que 55 % des ménages se classent eux-mêmes dans la catégorie « classe moyenne » ; l’autre, objectif, se réfère au revenu des ménages et à leur niveau de vie.

    Le Maroc n’est pas le seul pays à passer sa classe moyenne au crible, la crise financière internationale ayant révélé la souffrance et la fragilité de cette catégorie sociale. Fortement endettés, souvent contraints de multiplier les emplois à temps partiel, les membres des classes moyennes ne sont jamais à l’abri d’un basculement dans la classe inférieure. Au Maroc, tous les économistes s’accordent à dire qu’il y a eu une profonde paupérisation de la classe moyenne entre les années 1970 et aujourd’hui. Avec la stagnation des salaires et l’augmentation du coût de la vie, le pouvoir d’achat de ces catégories a sensiblement diminué. « C’est exactement ce que dit l’étude, rappelle Lahlimi. Entre 1985 et 2007, la situation de la classe moyenne s’est dégradée. Ce sont les classes les plus riches et les plus pauvres qui ont le plus bénéficié des politiques publiques. »

    Une priorité nationale

    Plus que sa véracité scientifique, c’est la signification politique du rapport qui est montré du doigt. « En affirmant que 53 % de la population fait partie de la classe moyenne, Lahlimi essaie surtout de prouver que la politique des autorités est un succès et que le Maroc est en train de rattraper son retard, notamment sur la Tunisie », explique, sous le couvert de l’anonymat, un journaliste marocain. Pour les autorités, les classes moyennes sont depuis cinq ans l’objet de toutes les attentions. Le roi lui-même n’a cessé de réaffirmer la nécessité que « toutes les politiques publiques soient stratégiquement vouées à l’élargissement de la classe moyenne, pour qu’elle soit le socle de l’édifice social, la base de la stabilité et un puissant catalyseur de la production et de la créativité ».

    Au ministère de l’Urbanisme, c’est presque un sacerdoce. Pour permettre à la classe moyenne d’accéder au logement, le gouvernement a prévu de produire 50 000 villas économiques entre 2008 et 2012. Il s’est également engagé à garantir des crédits immobiliers à hauteur de 800 000 DH par le biais du Fogarim, un fonds de garantie bancaire pour les revenus irréguliers et modestes. Mais l’enquête du HCP a changé la donne. Si l’on tient compte des revenus définis par Lahlimi, la capacité d’endettement de la classe moyenne supérieure ne peut pas dépasser 3 000 DH par mois. À ce rythme, impossible pour elle d’accéder à des logements de 800 000 DH.

    « Il faut jouer sur d’autres leviers pour améliorer les revenus de la classe moyenne », considère Lahlimi. Parmi eux, les transferts sociaux et la fiscalité. Selon le HCP, une révision à la baisse de l’impôt sur le revenu de 20 % améliorerait de 1,2 % le revenu disponible de la classe moyenne et augmenterait le volume de la consommation globale de près de 0,8 %.

    L’éducation en question

    Pour Rachid Benmokhtar, président de l’université Al Akhawayn, la réforme de l’éducation nationale est prioritaire. « Dans les années 1960 et 1970, l’école a pu jouer un rôle d’ascenseur social et de mobilité, mais ce n’est malheureusement plus le cas aujourd’hui. Seulement 15 % des élèves atteignent l’enseignement supérieur, ce qui est un des taux les plus bas du monde. » Cela suppose que les filières soient mieux adaptées au marché de l’emploi, surtout quand on sait que 31 % des diplômés de la classe moyenne sont au chômage.

    « La classe moyenne ne se décrète pas. On ne peut la faire émerger qu’en luttant contre l’économie de rente, les privilèges et les passe-droits, en instaurant la transparence et en permettant l’égalité des chances entre tous les Marocains », conclut Mohamed Laenser, secrétaire général du Mouvement populaire. Si la question des classes moyennes est aussi sensible, c’est sans doute parce qu’à travers elles c’est tout le projet de société du Maroc qui est en jeu. Et c’est à l’aune de cette catégorie sociale que pourront se juger concrètement les résultats des réformes entreprises depuis dix ans. Entre-temps, le Maroc reste encore loin d’un pays modèle en la matière, la Tunisie, où 80 % de la population fait partie de la classe moyenne, ce qui assure une véritable stabilité sociale au pays.
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