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Albert Cossery, subversif ou révolutionnaire?

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  • Albert Cossery, subversif ou révolutionnaire?

    Albert Cossery. Nouvelliste et romancier. Un écrivain qui a publié sept livres tout au long de sa trajectoire littéraire qui a duré plus de cinquante années. Un auteur publié par plusieurs éditeurs et traduit dans plusieurs langues qui, en 1990, a reçu le Grand prix de la francophonie de l'Académie française, et en 1995, le Grand prix Audibert pour l'ensemble de son œuvre qui évoque la sérénité, la quiétude et la plénitude. Et nous entraîne inéluctablement dans les fins fonds de cet univers misérable, impitoyable, poussiéreux, poisseux et, pourtant, profondément humain et tendre des quartiers populaires et extrêmement pauvres d'El Kahira, «Oum El Dounia» (la mère du monde). El Kahira, «la Victorieuse», la fière, l'insoumise, ce vaste espace dominé par le chaos dans lequel se débattent des êtres démunis, vivant dans le dénuement le plus total.

    Dans la «Cour des miracles»

    Des personnages que l'auteur a rencontrés et côtoyés lorsqu'il vivait dans cette ville qui prend l'allure d'une immense «Cour des miracles». «C'est très jeune que j'ai été indigné par la misère. Je fréquentais des quartiers pauvres du Caire. Je passais même des nuits entières dans ces quartiers. Ces personnages, je les ai vus. J'ai parlé avec eux», raconte l'auteur.
    Albert Cossery. Une écriture qui met en perspective une philosophie et un «way of life» qui séduisent, déstabilisent, questionnent et viennent naturellement bousculer les évidences et transgresser nos préjugés et les formatages de nos esprits incitant, ainsi, à une remise en question des valeurs qui dominent notre monde et conditionnent nos représentations. Une vision cossérienne qui se veut une invitation voire une incitation à «dépoussiérer» notre sens commun et à renouveler notre vision et notre rapport au monde.

    A travers ses histoires, l'auteur met en scène des personnages fragiles, sensibles, courageux, fascinants, attachants et libres. Des hommes, en grande majorité, qui partagent une caractéristique commune : le refus d'un monde où le matériel est érigé en dogme. Des êtres qui se rencontrent, se regardent, se reconnaissent, se lient d'amitié et s'unissent autour de valeurs et d'objectifs communs pour marquer leur opposition au monde dans lequel ils vivent et affirmer haut et fort leur refus de se conformer à l'ordre dominant.

    Rafik (les Fainéants de la vallée fertile). Samantar (Une ambition dans le désert). Haykal. (la Violence et la Dérision). Medhat (Un complot de saltimbanques). Gohar (Mendiants et orgueilleux) et tous les personnages qui gravitent autour des héros cossériens sont décrits comme des êtres marginaux, indépendants et libres de tout engagement et de toute contrainte. Des êtres qui véhiculent la croyance selon laquelle «faire un métier, n'importe lequel, est un esclavage». Des hommes qui «ont fait leur propre révolution» et refusent de se voir mourir dans la routine et la servitude favorisant ainsi «le progrès de l’esprit» au détriment du «progrès technique».

    «Eh bien, quand un homme te parle de progrès, sache qu’il veut t’asservir ! », écrit Albert Cossery dans les Fainéants de la vallée fertile. Et inévitablement, cette conception résume l’une des idées centrales de l’œuvre cossérienne selon laquelle la possession et l’accumulation des biens matériels ne sont point synonymes de bonheur et de stabilité.

    Des personnages anticonformistes


    Non conformistes. Autonomes. Affranchis, ces personnages émergent comme des individus qui ont «une tête, c’est-à-dire une liberté et capables de calculs et de manipulations… ». Ils sont des acteurs à part entière qui vivent dans leur propre monde, définissent leurs propres valeurs et choisissent leur propre style de vie.

    Et afin d’affirmer leur attitude anti-conformiste et réaliser leur retrait de la société dans laquelle ils vivent, ces individus vont déployer deux types de stratégie.

    Gohar, Rafik, Galal, Hafez et bien d’autres vont recourir à la stratégie de la non-conformisation par l’oisiveté que l’auteur définit comme «un art suprême et distingué» et qui se décline sous forme de paresse et de sommeil.
    Aussi, loin d’être improductive et négative, la notion de paresse, «cette oisiveté pensante» revêt sous la plume d’Albert Cossery une dimension essentiellement positive puisqu’elle est appréhendée comme une forme d’oisiveté indispensable à la réflexion. Et ainsi à la maturité.
    Et à l’auteur d’affirmer qu’un «paresseux intelligent, c’est quelqu’un qui a réfléchi sur le monde dans lequel il vit. Et, donc, ce n’est pas de la paresse. C’est le temps de la réflexion. Et plus vous êtes oisif, plus vous avez le temps de réfléchir. Et c’est pourquoi en Orient, c’est ce qu’on appelle la philosophie orientale… La plupart des gens ont le temps. Plus on descend vers le sud, plus il y a des prophètes, plus il y a des mages, des gens qui ont réfléchi sur ce monde».

    Cette posture est illustrée par Gohar, professeur de lettres et de philosophie à l’université qui, après avoir pris conscience que son enseignement était basé sur le mensonge et l’hypocrisie, décide de renoncer à son capital économique, social et culturel pour vivre dans la peau d’un «mendiant» dans un quartier pauvre du Caire.

    De temps à autre, il met au service de Set Amina, son savoir-faire rédactionnel en écrivant leurs lettres.
    Gohar semble être fasciné car il l’assimile à un lieu où «la vie se montre à l’état brut, non dégénéré par les conformismes et les conventions établies».

    Ainsi, pour ce personnage formidablement sympathique qui nous prend aux tripes, l’oisiveté est le symbole de la liberté. C’est un état qui favorise la réflexion. C’est le moyen par lequel il affirme son individualité et son choix de vie. Une existence simple, dépouillée d’artifices et de faux semblants, sereine et authentique.

    Par ailleurs, le sommeil renvoie à l’idée du retrait de la société. Les personnages qui animent l’histoire des Fainéants de la vallée fertile (Galal, Rafik, Hafez…) sont tellement fascinés par le sommeil qu’ils le considèrent comme une «valeur suprême». Comme un moyen de refuge et de protection du monde des hommes.

    Un rempart contre l’ennui, l’exploitation, l'avilissement et l’esclavage. Un havre de paix et de sérénité. Alors que Rafik regarde son frère Galal dormir, A. Cossery écrit : «Rafik admirait ce prodigieux anéantissement qu’aucune quiétude ne venait troubler. C’était un état presque comateux, une léthargie de la conscience.»

    Cette idée de refuge dans le sommeil comme refus du monde apparaît clairement lorsque Rafik répond à cette femme qui lui déclare son amour qu’il est fait pour «dormir et vivre dans un coin, qu’il a peur des hommes car ce sont tous des criminels qui veulent toujours faire travailler les autres».

    Amusement et dérision

    Le second type de stratégie déployée par les héros cossériens concerne la non-conformisation par l’amusement et la dérision. Samantar (Une ambition dans le désert). Heykal (la Violence et la dérision). Medhat, Heymour et Imtaz (Un complot de saltimbanques) vivent dans la gaieté, la joie et la liesse tournant en dérisoire tout ce qui les entoure et en particulier la dimension oppressive du pouvoir des dirigeants de la société dans laquelle ils vivent, attitude qui vient davantage renforcer leur détachement des valeurs dominantes affirmant ainsi leur dignité. Leur liberté.

    A la lumière de cette approche, la dérision, cet «instrument» de non-violence et de plaisir poursuit un double objectif.
    D’une part, c’est une attitude contestatrice et de remise en cause de l’ordre politique et social établi.

    Heykal et ses disciples ont choisi de tourner en ridicule le pouvoir oppressif du gouverneur de la ville et de combattre son comportement tyrannique par le truchement de la dérision.

    Quelques-unes de leurs tactiques concernent la rédaction de tracts à la gloire du gouverneur, le projet d’ériger une statue en son honneur... Le but étant de le rendre ridicule aux yeux de la population et favoriser la remise en cause de son autorité. Le dialogue entre Heykal et Taher illustre bien cette idée.

    Heykal : «Aucune violence de viendra à bout de ce monde bouffon. Répondre à leur violence par la violence, c’est leur montrer que tu les prends au sérieux, c’est croire en leur justice et en leur autorité, et, ainsi, tu contribues à leur prestige. Tandis que moi, je contribue à leur perte.
    Taher : Je ne vois pas de quelle manière. Tes agissements ne sont que des farces insipides.

    Heykal : De la manière la plus simple : en suivant les tyrans sur leur propre terrain, en devenant encore plus bouffon qu’eux».

    D’autre part, la dérision revêt une dimension positive car c’est un moyen d’affirmation de soi et de développement personnel qui permet à ces individus de rire de tout, de se détacher du monde matériel et violent, de se distraire, d’être soi-même et de vivre libres. Et à la lumière de cette conception,

    Samantar nous apparaît comme «l’homme du moment présent et des plaisirs terrestres». Comme un homme qui «avait déjà fait sa révolution tout seul et jouissait avec orgueil de sa suprématie sur un monde d’esclaves. L'image d'un homme humain. Profondément humain !

  • #2
    Entre rêve et réalité

    Heykal. Samantar. Rafik. Taher. Imtaz. Medhat. Gohar. Galal. Heymour émergent comme des personnages qui rient de la vie. Jouissent du présent. Conçoivent la dérision comme une alternative à la violence qui régissent les rapports humains. Des êtres qui ont fait le choix d’une vie marginale, libérée des considérations matérielles et du poids ô combien pesant du conformisme et de l’aliénation. Des humanités qui donnent vie à nos rêves et nourrissent nos utopies.

    Oui. Les figures cossériennes ont «fait leur propre révolution». Ils nous incitent à notre tour à faire notre propre «Révolution». Car, chaque protagoniste, chaque scène, chaque parole est une invitation à une remise en question du monde dans lequel nous végétons.
    C’est une incitation à une «reprise de soi» afin de se réapproprier le cours de sa vie, de son histoire, de son destin et rompre avec la domination, les hypocrisies, les leurres, les artifices et les faux semblants. Car, pour Albert Cossery, «un grand livre vous donne une puissance extraordinaire.
    Vous pouvez être pauvre, misérable, malade, désespéré, la lecture d’un grand chef-d’œuvre vous fait oublier tout ça».
    Alors, sans perdre un seul instant, lisez et relisez Albert Cossery ! Et laissez-vous emporter par le flot des vagues du monde merveilleux de la sagesse orientale d’où se dégage un appel incessant et pressant à la Libération… Notre Libération !

    Par Nadia Agsous , la Nouvelle Republique

    œuvres complètes Albert Cossery
    Editeur : Joëlle Losfeld
    Collection : littérature étrangère
    Genre : roman contemporain

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