Ah, si nos aïeux disparus, qui avaient l’habitude d’exprimer les prix en dourou, pouvaient revenir parmi nous, ils seraient les plus malheureux et souhaiteraient disparaître le plus tôt possible.
En Algérie, nos grands parents avaient coutume d’estimer le prix d’une denrée par un nombre déterminé de dourou, et le dourou équivalent de cinq centimes, a même existé sous la forme de billets de cinq, huit dourous. Cela remonte aux premières années de l’indépendance au cours desquelles la courgette, qu’on aimait tant pour sa place dans divers plats, se vendait à deux centimes le kg, et il en fut de même des œufs au point d’être à la portée de toutes les bourses.
La pomme de terre et l’oignon ainsi que la salade, les haricots, la tomate, pouvaient s’acquérir à moindre prix. On était à l’époque non pas seulement de l’abondance et de la générosité, mais aussi des cultures, maraîchères au bord des rivières. Et quelle vie charmante ! On pouvait parcourir en toute sécurité la place Chouhada et les rues des alentours, de jour comme de nuit.
A l’ère des dourous
Le prix de chaque denrée, il y a de cela un peu plus de quarante ans, se calculait en dourou. C’est une vieille habitude héritée de la période coloniale. «J’ai acheté un sac de pommes de terre de 50 kg pour setine dourous», a dit un homme d’un certain âge à quelqu’un qui l’interrogeait sur la somme qu’il venait de débourser. A l’époque, avec achrine dourous, on pouvait se payer 2 kg de sardine vendue aujourd’hui plus de 300 fois plus chères. On raconte qu’en ces temps-là, deux vieux, habitués du marché hebdomadaire qui se tenait au bord d’une rivière, s’étaient disputés devant l’étal d’un boucher à propos d’un beau gigot de près de 7 kg (cuisse + filet) dont le prix a été fixé à miya dourous (5 DA ou 500 centimes d’aujourd’hui). Pendant que l’un des vieux marchandait, l’autre qui était venu par derrière fait signe de la main au boucher pour dire qu’il était acheteur à ce prix. Il se dépêcha de payer et emporta le gigot, mais après que le premier eut essayé de le saisir au collet, après une brève altercation.
A l’époque, on ne vendait qu’à l’estime, viande, légumes, fruits. Sur des lits de fougères, on alignait des tas plus ou moins grands de toutes sortes de denrées de consommation courante. Les clients choisissaient les quantités qui leur convenaient et proposaient des prix. Cela se passait dans une ambiance de convivialité et les marchands évitaient de faire les durs ; aucun n’utilisait la balance pour peser. Tout se vendait à l’estime et la générosité était de rigueur durant le mois sacré.
Que sont devenus aujourd’hui les dourous ?
L’appellation «dourous» a disparu, les jeunes ne la connaissent pas, chez les vieux, elle s’est effacée des mémoires. De plus, on rentre dans une longue histoire et le calcul se compliquerait si cette pièce avait encore cours, avec les prix actuels. Une côte de bœuf vendue à 800 DA le kg, équivalent de
16 000 dourous, est un indicateur de la dégradation du coût de la vie actuel par rapport au pouvoir d’achat.
Et si vous parlez de 16 000 dourous pour une côte de bœuf à une vieille croulante qui se rappelle bien du bon vieux temps, elle pousserait un cri d’effroi suivi de la profession de foi, en ce mois de Ramadhan. C’est encore une vieille qui, un jour, accompagnée de son fils, est passée, en 1966, au marché hebdomadaire de Tizi Ouzou. Elle y avait trouvé du très bon bifteck à 6 DA le kg (miy oua achrine dourous). C’était à quelques jours de l’Aïd Esseghir et elle avait fait la folie d’en acheter 4 kg à 24 DA. (arbaa meya ou temayine dourous).
Mais, aujourd’hui, combien coûteraient les 4 kg de bifteck, en ce mois de Ramadhan qui fait grimper les prix : un demi-million de centimes même s’il ne reste du million que le nom? Imaginez la réaction d’une ancienne habitude des dourous si vous lui demandez cette somme exagérée pour cette quantité de viande. Elle tomberait à la renverse.
Heureusement que la courgette n’a pas suivi le mouvement comme dans les années précédentes. Au moins nous allons la manger à loisir comme ingrédient précieux de la chorba ou farcie. Les spéculateurs ont pensé pouvoir tuer un maximum de profits du citron, en le vendant à 400 DA. Du jamais vu. Il est même cueilli vert et dur au point de ne donner que deux gouttes de jus pour votre chorba de Ramadhan.
En tous les cas, si l’on continue à vendre le citron à ce prix, on va finir par s’en passer ou on lui préférer le kiwi, moins cher et plus riche en vitamine C. Pour le moment, les vieux qui se souviennent bien du bon vieux temps, se croient vivre sur une autre planète. Quant aux jeunes, ils doivent voir en perspective une histoire des denrées de Ramadhan.
Par la Nouvelle République
En Algérie, nos grands parents avaient coutume d’estimer le prix d’une denrée par un nombre déterminé de dourou, et le dourou équivalent de cinq centimes, a même existé sous la forme de billets de cinq, huit dourous. Cela remonte aux premières années de l’indépendance au cours desquelles la courgette, qu’on aimait tant pour sa place dans divers plats, se vendait à deux centimes le kg, et il en fut de même des œufs au point d’être à la portée de toutes les bourses.
La pomme de terre et l’oignon ainsi que la salade, les haricots, la tomate, pouvaient s’acquérir à moindre prix. On était à l’époque non pas seulement de l’abondance et de la générosité, mais aussi des cultures, maraîchères au bord des rivières. Et quelle vie charmante ! On pouvait parcourir en toute sécurité la place Chouhada et les rues des alentours, de jour comme de nuit.
A l’ère des dourous
Le prix de chaque denrée, il y a de cela un peu plus de quarante ans, se calculait en dourou. C’est une vieille habitude héritée de la période coloniale. «J’ai acheté un sac de pommes de terre de 50 kg pour setine dourous», a dit un homme d’un certain âge à quelqu’un qui l’interrogeait sur la somme qu’il venait de débourser. A l’époque, avec achrine dourous, on pouvait se payer 2 kg de sardine vendue aujourd’hui plus de 300 fois plus chères. On raconte qu’en ces temps-là, deux vieux, habitués du marché hebdomadaire qui se tenait au bord d’une rivière, s’étaient disputés devant l’étal d’un boucher à propos d’un beau gigot de près de 7 kg (cuisse + filet) dont le prix a été fixé à miya dourous (5 DA ou 500 centimes d’aujourd’hui). Pendant que l’un des vieux marchandait, l’autre qui était venu par derrière fait signe de la main au boucher pour dire qu’il était acheteur à ce prix. Il se dépêcha de payer et emporta le gigot, mais après que le premier eut essayé de le saisir au collet, après une brève altercation.
A l’époque, on ne vendait qu’à l’estime, viande, légumes, fruits. Sur des lits de fougères, on alignait des tas plus ou moins grands de toutes sortes de denrées de consommation courante. Les clients choisissaient les quantités qui leur convenaient et proposaient des prix. Cela se passait dans une ambiance de convivialité et les marchands évitaient de faire les durs ; aucun n’utilisait la balance pour peser. Tout se vendait à l’estime et la générosité était de rigueur durant le mois sacré.
Que sont devenus aujourd’hui les dourous ?
L’appellation «dourous» a disparu, les jeunes ne la connaissent pas, chez les vieux, elle s’est effacée des mémoires. De plus, on rentre dans une longue histoire et le calcul se compliquerait si cette pièce avait encore cours, avec les prix actuels. Une côte de bœuf vendue à 800 DA le kg, équivalent de
16 000 dourous, est un indicateur de la dégradation du coût de la vie actuel par rapport au pouvoir d’achat.
Et si vous parlez de 16 000 dourous pour une côte de bœuf à une vieille croulante qui se rappelle bien du bon vieux temps, elle pousserait un cri d’effroi suivi de la profession de foi, en ce mois de Ramadhan. C’est encore une vieille qui, un jour, accompagnée de son fils, est passée, en 1966, au marché hebdomadaire de Tizi Ouzou. Elle y avait trouvé du très bon bifteck à 6 DA le kg (miy oua achrine dourous). C’était à quelques jours de l’Aïd Esseghir et elle avait fait la folie d’en acheter 4 kg à 24 DA. (arbaa meya ou temayine dourous).
Mais, aujourd’hui, combien coûteraient les 4 kg de bifteck, en ce mois de Ramadhan qui fait grimper les prix : un demi-million de centimes même s’il ne reste du million que le nom? Imaginez la réaction d’une ancienne habitude des dourous si vous lui demandez cette somme exagérée pour cette quantité de viande. Elle tomberait à la renverse.
Heureusement que la courgette n’a pas suivi le mouvement comme dans les années précédentes. Au moins nous allons la manger à loisir comme ingrédient précieux de la chorba ou farcie. Les spéculateurs ont pensé pouvoir tuer un maximum de profits du citron, en le vendant à 400 DA. Du jamais vu. Il est même cueilli vert et dur au point de ne donner que deux gouttes de jus pour votre chorba de Ramadhan.
En tous les cas, si l’on continue à vendre le citron à ce prix, on va finir par s’en passer ou on lui préférer le kiwi, moins cher et plus riche en vitamine C. Pour le moment, les vieux qui se souviennent bien du bon vieux temps, se croient vivre sur une autre planète. Quant aux jeunes, ils doivent voir en perspective une histoire des denrées de Ramadhan.
Par la Nouvelle République
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