Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Les gangs d’Amérique centrale: entre mythes et stéréotypes

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Les gangs d’Amérique centrale: entre mythes et stéréotypes

    Le dernier conflit militaire d’Amérique centrale a beau avoir pris fin officiellement au Guatemala en 1996, la région enregistre aujourd’hui le taux d’homicides le plus élevé du monde.

    Cette nouvelle violence, qui est essentiellement constituée d’actes délictueux et criminels, et non plus politiques, est associée généralement à la violence des jeunes.

    Les pandillas [bandes de jeunes ou gangs] sont devenues le point de mire de tous les analystes, tant leur développement s’est accru au cours des vingt dernières années. On les accuse de toutes sortes de délits, qui vont du menu larcin aux attaques à main armée et du viol au trafic de drogue. Certains ont même tenté d’établir un lien entre leurs activités et les groupes d’opposition armés ou les groupes terroristes internationaux.

    Un rapport de l’US Army War College publié en 2005 assure ainsi que les gangs centraméricains représentent une “nouvelle insurrection urbaine”, dont l’objectif est de “renverser les gouvernements de la région”.

    Le phénomène social des gangs est en réalité mal compris et donne lieu à toutes sortes de mythes et de stéréotypes. Peu d’informations fiables sont disponibles, et les statistiques officielles sont d’autant plus problématiques qu’elles se fondent sur des listes incomplètes, une méthode de recueil de données imparfaite et de fortes interférences politiques. Selon les chiffres officiels, les pandillas regrouperaient près de 70 000 jeunes en Amérique centrale, mais les ONG et les universitaires estiment qu’ils pourraient être plus nombreux : jusqu’à 200 000.

    De la même façon, les estimations des violences délictuelles et criminelles attribuables aux gangs oscillent entre 10 % et 60 % de l’ensemble des violences commises dans la région. A défaut de données fiables, différentes études mettent l’accent sur la diversité des pandillas. Les gangs du Salvador, du Guatemala et du Honduras sont plus violents que ceux du Costa Rica et du Nicaragua. Et, bien que l’on ait généralement tendance à les mettre tous dans le même sac, il faut distinguer les pandillas, qui sont nationales et localisées, des maras, bandes organisées qui trouvent leurs origines à l’extérieur des frontières nationales.

    Les pandillas, qui existent depuis longtemps, ont connu un nouvel essor dans les années 1990, lorsque les militaires – soldats ou guérilleros – sont retournés, après les accords de paix, dans leurs villages. Confrontés à l’incertitude économique et politique, et formés à l’action collective, ces ex-soldats commencèrent à s’organiser sur le modèle des groupes d’autodéfense locaux. Ils cherchaient avant tout à protéger les habitants de leurs communautés. Ces pandillas, devenues au fil des ans de plus en plus hiérarchisées et ritualisées, représentaient en quelque sorte une réponse institutionnelle organique, localisée et autochtone face à l’insécurité ambiante de l’après-guerre.

    Les maras, elles, sont des organisations plus homogènes dont l’origine est directement liée à des phénomènes migratoires particuliers. Il en existe actuellement deux en Amérique centrale, la Mara Dieciocho (M18) et la Salvatrucha (MS13), et elles ne sont actives qu’au Salvador, au Guatemala et au Honduras, quoiqu’elles commencent à se propager au Mexique.

    Apparue dans la 18e Rue de Los Angeles, la Mara 18 est issue d’un gang créé dans les années 1960 par des immigrés mexicains et qui s’est développé dans les années 1970 et 1980 grâce à l’afflux de réfugiés salvadoriens et guatémaltèques. Vers 1985, des jeunes d’une deuxième vague de réfugiés salvadoriens créèrent un groupe rival : la Mara Salvatrucha, nom qui associe le mot marabunta, la migration destructrice de fourmis, à trucha, qui en argot salvadorien signifie “aigu”. En 1992, à la suite des émeutes violentes qui avaient suivi l’affaire Rodney King, l’Etat californien approuva une loi assimilant les délinquants mineurs à des adultes, ce qui permit aux autorités d’envoyer des centaines de mareros en prison. Puis, en 1996, une loi du Congrès américain autorisa l’expulsion de tout délinquant n’ayant pas la nationalité étasunienne ou qui, récemment naturalisé, ferait l’objet d’une peine supérieure à un an de prison. Entre 1998 et 2005, les Etats-Unis ont ainsi expulsé près de 46 000 Centraméricains ayant purgé leur peine, et 160 000 immigrés clandestins.

    Plus de 90 % de ces expulsés, dont beaucoup étaient membres de la Mara 18 et de la Salvatrucha, étaient des ressortissants du Salvador, du Guatemala et du Honduras. Lorsque ces jeunes mareros, arrivés aux Etats-Unis enfants, sont rentrés dans leur pays d’origine, qu’ils connaissaient à peine, ils ont naturellement cherché à reproduire les structures et les modes de comportement qui leur avaient permis de se forger une identité et un sentiment de sécurité aux Etats-Unis.

    La population carcérale du salvador a doublé entre 2004 et 2007

    Ils ont ainsi très vite entrepris de former, dans leur nouvel environnement, des “bandes” ou des sections locales de leurs maras, qui ont peu à peu attiré les jeunes du pays, au point que ces nouvelles maras ont rapidement supplanté les pandillas locales. Bien que chaque bande revendique ouvertement ses liens avec l’une des deux maras et bien que les bandes de différents quartiers affiliées à la même mara puissent se liguer pour se battre contre des bandes de la mara adverse, aucune n’est dotée de véritables structures fédérales et moins encore transnationales. Contrairement à ce qu’affirment souvent les médias, ni la M18 ni la Salvatrucha ne s’inscrivent dans une chaîne hiérarchique précise. Rien ne prouve que les maras du Salvador, du Guatemala ou du Honduras collaborent entre elles, et encore moins avec les maras originelles de Los Angeles. Leurs membres ne sont liés que par leur expérience commune de mareros aux Etats-Unis renvoyés dans leur propre pays. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’il n’y ait pas de maras au Nicaragua. Les Nicaraguayens représentent moins de 3 % de l’ensemble des expulsés centraméricains. De plus, ils émigrent plus volontiers en Floride, où la culture des gangs est différente de celle de Los Angeles.

    La presse à sensation ne se prive pas d’associer les pandillas et les maras centraméricaines au trafic migratoire, aux enlèvements, au trafic de drogue et au crime organisé international. Si l’on en croit différentes études, il apparaît que la grande majorité de ces gangs commettent essentiellement des vols et des agressions, et qu’il s’agit généralement d’actes de délinquance individuels. On a cependant remarqué que les maras exercent désormais un chantage sur les autobus et taxis qui traversent les territoires qu’elles contrôlent pour leur extorquer un “impôt”. Elles rançonnent également des commerçants locaux, exigeant de l’argent en guise d’“impôt de protection”.

    Depuis dix ans, les pandillas et les maras sont par ailleurs de plus en plus actives dans le trafic de drogue. Il n’y a là rien de surprenant lorsqu’on sait que la consommation de drogue est étroitement liée à l’appartenance à une pandilla ou à une mara et que l’Amérique centrale est devenue une plaque tournante du trafic : en effet, plus de 80 % de la cocaïne qui circule entre les pays producteurs andins et les consommateurs du Nord transite par la région.

    Il est toutefois certain qu’aucun de ces gangs n’intervient dans le trafic à grande échelle ni dans la vente de drogue en gros, même si certaines études montrent que les chefs des petits cartels locaux sont souvent d’anciens membres de la pandilla ou de la mara locales qui ont pour ainsi dire réussi leur “examen de passage”. Certains signes indiquent également que l’intervention des pandillas et des maras dans le trafic de drogue se traduit par des comportements plus violents. De fait, la plupart des victimes de cette violence sont les membres des gangs eux-mêmes, comme en témoignent tragiquement les véritables guerres que se livrent, par exemple, les membres de maras rivales dans les prisons guatémaltèques.

    La guerre que mènent depuis quelques années les gouvernements d’Amérique centrale contre les maras est le facteur qui a le plus contribué à intensifier la violence de ces groupes. La première phase de ce nouveau conflit régional a débuté au Salvador en juillet 2003, avec l’adoption de la politique de la “mano dura” [main dure], qui prévoyait l’emprisonnement immédiat de tout marero présumé sur la simple base de ses tatouages ou d’un comportement public susceptible d’indiquer son appartenance à une mara, ce délit étant passible de peines allant de deux à cinq ans de prison, applicables à tout marero de 12 ans ou plus. Entre juillet 2003 et août 2004, 20 000 ma**reros salvadoriens ont été arrêtés, mais 95 % ont été remis en liberté lorsque la Cour suprême a déclaré inconstitutionnelle la loi de la “mano dura”, estimant qu’elle violait la convention des Nations unies sur les droits des enfants. Une nouvelle politique, dite de la “mano super dura” [main superdure], a aussitôt pris le relais, veillant à respecter les clauses de la convention des Nations unies tout en prévoyant des peines de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans pour les mareros de plus de 18 ans et jusqu’à neuf ans pour les chefs de bande. Entre 2004 et 2007, la population carcérale du Salvador a ainsi doublé, passant de 6 000 à 12 000 détenus, dont 40 % ont été arrêtés pour leur appartenance à une mara.

  • #2
    Les politiques répressives en amérique centrale sont un échec

    Pratiquement dans le même temps, en août 2003, le Honduras imposait une politique similaire dite de “tolérance zéro”, partiellement inspirée de l’initiative de l’ancien maire de New York Rudy Giuliani. Cette mesure a entraîné une réforme du Code pénal et le vote d’une loi qui punissait le délit d’appartenance à une mara de douze ans de prison, peine qui fut par la suite portée à trente ans d’emprisonnement. Parallèlement, le Honduras a adopté des mesures visant à resserrer la collaboration entre la police et l’armée dans la lutte contre les maras, au travers de patrouilles urbaines conjointes renforcées, dans certains cas, par des blindés. Le Guatemala a pour sa part mis en place son “plan coup de balai” en janvier 2004.

    Si les populations centraméricaines, angoissées par l’activité des maras et des pandillas, ont accueilli favorablement toutes les mesures visant à durcir les peines et la législation, les associations de défense des droits de l’homme les ont en revanche dénoncées, estimant qu’elles risquaient d’encourager les abus systématiques des droits de n’importe quel suspect. Amnesty International a présenté des éléments – corroborés par le département d’Etat américain – prouvant qu’il existait au Honduras et au Guatemala des escadrons de la mort paramilitaires qui cherchaient délibérément à exterminer les mareros et ciblaient souvent toute la jeunesse marginale.
    En septembre 2003, lors du sommet régional des chefs d’Etat réuni à Tegucigalpa, les gouvernements centraméricains ont plaidé en faveur d’une coopération et scellé des alliances pour affronter ce qu’ils qualifiaient de “menace de déstabilisation plus immédiate que n’importe quelle guerre ou guérilla conventionnelle”. Le 15 janvier 2004, le Salvador, le Guatemala, le Honduras et le Nicaragua ont accepté de lever tous les obstacles juridiques à la traque des mareros et pandilleros de toute nationalité sur l’ensemble de l’Amérique centrale. Le 8 mars 2005, le président du Salvador, Tony Saca, et son homologue guatémaltèque, Oscar Berger, se sont mis d’accord pour mettre en place une force commune de sécurité chargée de patrouiller sur leur frontière commune et de contrer l’activité des maras.

    Les gouvernements centraméricains ont également tenté d’entraîner les Etats-Unis dans cette “guerre”. En décembre 2004, le FBI a créé un groupe de travail sur les maras. En février 2005, l’agence de renseignements américaine annonçait l’ouverture à San Salvador d’un bureau spécial chargé de coordonner la lutte contre les maras et pandillas à l’échelle de la région.
    Les dirigeants militaires centraméricains ont officiellement invité l’armée étasunienne à les aider à mettre sur pied une force multinationale d’intervention pour endiguer les maras et les pandillas d’Amérique centrale – projet qui n’a toujours pas été concrétisé.

    Ces initiatives, qui, au départ, semblaient réduire la délinquance des gangs, ont été des succès éphémères. Plusieurs études montrent que les maras et les pandillas se sont radicalisées tout en se faisant plus discrètes. Leurs membres optent désormais pour des symboles d’appartenance moins ostentatoires, par exemple en effaçant leurs tatouages pour éviter d’être repérés et arrêtés par la police.

    Il est évident que la politique répressive des gouvernements centraméricains est un échec. Elle semble avoir aggravé le problème, radicalisant les pandillas et les maras et de déclenchant une spirale de la violence faite de vengeances et de représailles. Cette répression est contre-productive en ceci qu’elle est peut-être en train de générer un nouveau type de gangs “étatiques”, dont l’objectif est maintenant de défier l’Etat. De plus, aucune répression ne saurait régler les problèmes sous-jacents qui sont à l’origine de ces phénomènes sociaux.

    Les gouvernements centraméricains s’en prennent aux pandillas et aux maras pour ne pas avoir à adopter d’autres mesures susceptibles de résoudre l’exclusion sociale, l’absence de débouchés et les abîmes d’inégalité sur lesquels ils assoient leur pouvoir et leurs privilèges. Cette situation a des conséquences plus graves que la paralysie sociale. Pour ceux qui s’accrochent à leur pouvoir, les maras et les pandillas deviennent en réalité d’excellents boucs émissaires auxquels on fait porter la responsabilité de l’instabilité de la région, occultant ainsi les causes profondes du problème.

    Par Dennis Rodgers; Courrier International

    Commentaire

    Chargement...
    X