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Robert Bourgi, émissaire officieux de la Sarkozie en Afrique

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  • Robert Bourgi, émissaire officieux de la Sarkozie en Afrique

    C'est l'histoire d'un "musulman chiite" de 64 ans qui vénère le chablis, ne dédaigne pas le travers de porc et fit baptiser ses enfants dans la foi catholique.

    L'histoire d'un avocat au Barreau de Paris qui se vante de n'avoir enfilé qu'une seule fois la robe noire plissée -le jour de sa prestation de serment, en 1993- et n'a jamais plaidé, déléguant cette tâche ingrate à son épouse, Me Catherine Vittori.

    L'histoire d'un de ces "fils spirituels" de Jacques Foccart, qui se disputèrent à son chevet la dignité de légataire du marabout africain du gaullisme et de ses avatars; le plus tenace d'entre tous, sans doute, puisque lui refit surface quand les autres héritiers présomptifs sombraient ou changeaient de cap.

    L'histoire, enfin, d'un émissaire de l'ombre qui ne sut y rester, oublieux du précepte foccartien -"En Afrique, reste à l'abri du soleil: il brûle"-, d'un missi dominici qui doit moins son pouvoir à ses talents indéniables de bonimenteur qu'à l'influence qu'on lui prête, à tort ou à raison, entre bords de Seine et palais africains.

    Robert Bourgi est en fait l'ultime porte-étendard d'un archaïsme post-colonial. Dans une France adulte, résolue à normaliser -au sens étymologique du terme- sa relation à l'Afrique subsaharienne, il officierait au mieux comme conseiller de quelque compagnie pétrolière ou émissaire à mi-temps de potentats isolés en mal d'éclaireurs.

    Dans celle de Nicolas Sarkozy et de Claude Guéant -le secrétaire général de l'Elysée-, le voici propulsé, bien au-delà d'un si trivial gagne-brioche, au rang de missi dominici redouté, voire de stratège.

    "Maître Bob" fait d'ailleurs son miel de l'ignorance conjuguée des réalités du continent noir dont pâtissent "Sarko" et son omnipotent sherpa. Il les initie, quitte à forcer sur les stéréotypes culturels et l'exotisme de pacotille, à une Afrique peuplée de zombis, de sorciers, et de "2e bureaux" -les maîtresses des puissants. Quoi de plus aisé que de convaincre les néophytes qu'au détour du bois sacré, les liens personnels et les histoires de fesses importent plus que la logique d'Etat? Vision désuète, paternaliste, condescendante du "berceau de l'humanité", mais tellement séduisante pour des esprits supposés cartésiens.

    Il y a d'ailleurs chez Robert Bourgi quelque chose de suranné. A commencer par son charme patelin de séducteur vieillissant, dont l'oeil frise à la vue d'une fringante jeunesse. L'homme ne manque certes ni d'entregent, ni d'humour, ni de cette indolence orientale qu'il pimente de jugements féroces. Il reçoit d'ordinaire dans le salon cossu du cabinet conjugal, au rez-de-chaussée d'un immeuble chic de l'avenue Pierre-1er-de-Serbie (Paris XVIe). Là, entre un buste de Napoléon et les photos dédicacées de grands de ce monde-, l'avocat distille aveux, fausses confidences, demi-vérités, et scoops minés.

    On se souvient l'avoir entendu narrer, avec un prodigieux luxe de détails, la remise par un envoyé du président ivoirien Laurent Gbagbo d'une fortune en cash dans le bureau élyséen de Dominique de Villepin, l'ami qu'il lâcha en 2005 pour rallier le panache, plus prometteur, de Nicolas Sarkozy. De même, c'est lui qui, le 7 juin dernier, offrit en exclusivité au site internet de l'hebdomadaire Le Point l'annonce du trépas, dans une clinique catalane, de son "papa" adoptif Omar Bongo Ondimba.

    Natif de Dakar, Jaffar -son prénom musulman- Bourgi est le rejeton d'une fameuse dynastie libano-sénagalaise. Prospère négociant en textile, son père Mahmoud, venu des confins sud du pays du Cèdre en 1918, croise la route tortueuse de Foccart, avec qui il tisse des relations d'affaires sur fond de commune admiration pour "le Grand Charles". De la copieuse fratrie -13 enfants-, deux autres Bourgi émergeront. L'avocat Rasseck, mais aussi et surtout l'universitaire Albert, inlassable pourfendeur des turpitudes d'une Françafrique que son cadet incarne jusqu'à la caricature. Voilà d'ailleurs des années que les deux frangins ne se parlent plus.

    Coopérant, "Bob", qui parle l'arabe et le wolof, enseigne la droit à Cotonou (Bénin), Nouakchott (Mauritanie) et Abidjan (Côte d'Ivoire), où il se lie avec un indocile prof d'Histoire nommé Gbagbo. Au rayon des missions officielles, rien, sinon, de 1986 à 1988, un poste de conseiller politique au cabinet de Michel Aurillac, ministre de la Coopération et futur fondateur du Club 89, fer de lance des réseaux néo-gaullistes dont "Bob" animera le chapitre africain. Ce qui lui valut d'ailleurs une cuisante mésaventure gabonaise.

    En 1998, c'est en effet lui qui cornaque la désolante équipée d'une douzaine de magistrats et avocats, dont Georges Fenech, Francis Szpiner et Gilles-William Goldnadel, venus cautionner à Libreville, et aux frais de la présidence gabonaise, un scrutin plus que douteux. Dans la missive qu'il adresse le 28 novembre de cet année-là à l'émir Omar pour l'informer des préparatifs de la mission, Bourgi se réjouit d'avoir recruté des observateurs présumés sûrs. Modèle de piété filiale, le courrier se termine par ses mots: "Allez Papa, vous nous reviendrez à Paris en triomphateur des élections. Dieu vous garde! Votre fidèle et respectueux Robert." Lui revint au pays avec une mallette bourrée de billets, pactole destiné semble-t-il au Club précité. Pincé à son arrivée à Roissy, le messager persistait huit ans après les faits à nier, tout comme il s'évertuait à minimiser son rôle de GO.

    Le messager l'admet pourtant: il n'a rien contre le liquide. C'est ainsi que plusieurs de ses clients -le Congolais Sassou Nguesso, l'Angolais Dos Santos, le Béninois Boni Yayi, le Centrafricain Bozizé- le rétribuent parfois. Mais qu'on se rassure: celui qui se prévaut d'avoir obtenu la tête de Jean-Marie Bockel "déclare tout au fisc". Ouf!

    Par Vincent Hugeux, l'Express
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