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Les Afghans vont se retrouver avec un président Karzaï mal réélu

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  • Les Afghans vont se retrouver avec un président Karzaï mal réélu

    Les soupçons de fraude se multiplient alors que les résultats de l'élection présidentielle afghane tombent au fur et à mesure. La Commission des plaintes électorales (ECC) a d'ailleurs annoncé ce jeudi avoir ordonné les premières annulations de votes dans cinq bureaux de la province de l'est du pays. Pouvait-on vraiment croire en des élections parfaitement régulières en Afghanistan?

    Mariam Abou Zahab, spécialiste du pays au CERI: Ces fraudes ont été préparées soigneusement à l'avance. Vraies-fausses cartes d'électeur diffusées par dizaines de milliers dans les semaines qui ont précédé le scrutin, bourrage d'urnes, complicités au sein de la Commission électorale dite "indépendante", pressions exercées lors des dépouillements...

    Tout cela était très au point, mais tout le monde a fermé les yeux sur les difficultés qui se profilaient. Il fallait que les élections aient lieu. Sans doute plus pour la communauté internationale que pour les Afghans eux-mêmes. C'est se moquer d'eux et de la démocratie.

    Y a-t-il des régions où ces fraudes pourraient être plus "lourdes"? Des candidats qui sont susceptibles d'y avoir recouru de façon plus systématique que d'autres?

    Ce sont des pratiques généralisées. Prenons la région du grand Kandahar, dans le sud. La participation y a été très faible, de l'ordre de 5 à 6% des inscrits dans certaines localités. Dans cette zone tenue par les sbires du frère d'Hamid Karzaï, qui constitue théoriquement une base pour le président sortant, il a donc fallu bourrer les urnes... On a inventé des bureaux fantômes, on a fait voter des femmes avec des vraies-fausses cartes. On s'est retrouvé avec des chiffres énormes de participation dans des coins désertiques!

    A l'inverse, dans le nord, les partisans d'Abdullah Abdullah [le principal adversaire de Karzaï dans ce scrutin, ndlr], qui n'est pas innocent, ont eu recours à ce genre de méthodes et à l'intimidation. Dans une moindre mesure, certes: si l'on devait tenir des "statistiques des fraudes", 80% seraient sans doute imputables au camp Karzaï et 20% à celui d'Abdullah.

    En revanche, s'il y a bien un candidat exempt de tout soupçon, c'est bien le candidat populiste Ramazan Bashardost [champion de la lutte anti-corruption, dont l'emblème est la colombe, ndlr]. Il est très pauvre, il n'a acheté personne. Il a pourtant recueilli 9 à 10% des votes, dont beaucoup de voix des Hazaras, son ethnie, malgré les efforts de Karzaï pour les séduire [notamment avec une loi très dure sur la condition des femmes chiites, ndlr].

    Malgré ces soupçons, la Commission électorale indépendante (IEC) continue d'égrainer les résultats partiels. Est-ce une pratique "illégale", comme l'affirme Abdullah Abdullah?

    Non, diffuser des résultats partiels n'est pas illégal. Cependant, cela ne fait que créer davantage de tension, d'autant que l'IEC ne dispose pas d'une vision globale et subit des pressions pour valider des votes non valables [elle a par exemple réintégré 200 000 bulletins d'abord jugés invalides cette semaine, ndlr].

    Ceci dit, s'il fallait attendre la fin de l'examen des plaintes pour fraude, il y en aurait pour des semaines ou des mois. Les autorités ne peuvent pas dire, dans disons trois mois, que Karzaï n'a pas été élu et qu'il faut tout recommencer... Il serait presque impossible de faire revoter la population, et ce à partir de mi-octobre, dans un pays aux trois-quarts situé à plus de 1800 m d'altitude et paralysé par la neige.

    Et s'il fallait attendre un deuxième tour, théoriquement six semaines après la validation des résultats, si Karzaï n'obtient pas 50% des voix au premier tour, le même problème se poserait...

    Oui. Et à vrai dire, tout le monde à commencer par les Etats-Unis et Karzaï serait embarrassé. Non seulement une nouvelle vague de troubles pourrait être à craindre, mais organiser un deuxième tour aurait un coût. Et il n'est pas certain qu'il apporterait davantage de légitimité au candidat élu si, comme au premier tour, deux tiers des Afghans ne se déplacent pas aux urnes.

    On parle en effet d'une participation globale de 30 à 35%. Comment l'expliquez-vous?

    Il y a d'abord la menace des taliban. La peur des roquettes. Et puis la désillusion: beaucoup se sont dit que s'ils ne votaient pas Karzaï, leur voix ne serait pas prise en compte.

    Entre ces différents scenarii - Karzaï élu au premier tour malgré des fraudes soupçonnées; Karzaï en ballottage dans l'attente d'un second tour hypothétique et potentiellement dangereux; ou un vide constitutionnel en attendant un nouveau vote, une fois les fraudes avérées -, aucun ne semble pouvoir apporter de légitimité solide...

    Non, les Afghans vont se retrouver avec un président Karzaï mal réélu. C'est triste et insultant pour eux, on leur a volé le scrutin. La plupart se faisaient peu d'illusions, mais les jeunes éduqués nourrissaient cependant un certain espoir. Ceux qui ont participé à la campagne sur Internet ou dans les meetings "à l'américaine" du candidat Ashraf Ghani, par exemple, l'ancien ministre des Finances crédité d'un petit 3-4%. Ces jeunes qui pourraient participer à la reconstruction de leur pays doivent être d'autant plus dégoûtés qu'ils y ont cru.

    Le bilan des élections provinciales est-il aussi sombre?

    La campagne dont les enjeux locaux étaient très forts a été extrêmement violente, des candidats ont subi des attaques. Mais aucun résultat ne semble encore être sorti. On oublierait presque qu'il y avait autre chose que la présidentielle. Quand on pense qu'il y a aussi des législatives prévues en 2010...

    Doit-on craindre des violences post-électorales?

    Les gens vont rendre les Occidentaux responsables de cette élection volée. Ceci dit, dernièrement, les forces internationales ont semblé tout faire pour être haïes [notamment avec le bombardement de Kunduz, ndlr]. On peut craindre une vague de violences urbaines contre les Occidentaux. Abdullah Abdullah avait tenu des propos ambigus pendant la campagne à ce sujet: il n'est pas sûr qu'il parvienne à tenir ses troupes...

    Il est trop tard pour gagner les coeurs et les esprits

    Plus dangereux encore, il pourrait y avoir des tensions inter-ethniques. De toutes les menaces, taliban y compris, c'est d'une nouvelle guerre civile comme celle de 1992-1995 dont les Afghans ont le plus peur. Une période noire marquée par le pouvoir des chefs de guerre.

    C'est bien ce que les Occidentaux n'ont pas compris. En 2001, les Afghans pensaient qu'ils les débarrasseraient de ces seigneurs de guerre. Au contraire, les Occidentaux leur ont donné des armes contre les taliban! Et aujourd'hui on les retrouve au Parlement ou au gouvernement. Karzaï a même choisi l'un d'entre eux comme futur vice-président [Mohammed Qasim Fahim (d'origine tadjike, ancien de l'Alliance du Nord, ndlr]...

    Autant vous dire que la population se pose sérieusement des questions! L'intervention internationale n'a-t-elle pour seul but que de s'assurer des bases militaires dans la région, par exemple? Malgré les moyens affichés, comment se fait-il que beaucoup n'aient pas un meilleur accès à la santé ou à l'électricité qu'en 2001? Pour gagner les coeurs et les esprits, selon l'expression consacrée, c'est vraiment trop tard.

    Equipe anti-fraude

    La nature contestable des élections présidentielle et provinciales du 20 août rend le travail de la Commission des plaintes électorales (ECC) vital. Elle a pour mission d'enquêter sur les quelque 2600 plaintes déposées auprès d'elle, dont 690 ont été classées "priorité A" (bourrage des urnes, intimidation d'électeurs et bureaux de vote fantômes).

    Jour et nuit, l'équipe anti-fraude trime dans deux villas d'un riche quartier de Kaboul, pendant que des tireurs d'élite arpentent le toit. Elle a le pouvoir d'ordonner un recomptage ou la tenue d'une nouvelle élection. Dotée d'un budget de 13 millions de dollars, la Commission a été créée, avec l'aide de l'ONU.

    Mais sa légitimité est remise en cause, notamment par des experts ou le candidat Abdullah. Et le fait que des "internationaux" soient présents dans la direction (contrairement à la Commission électorale indépendante, 100% afghane) pourrait servir d'argument à Hamid Karzaï pour écarter les critiques de l'ECC si cette dernière décide de relancer le scrutin.

    Elle cessera d'exister 30 jours après la certification finale des résultats.


    Par l'Express
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