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Sabrina Saqeb députée pour le droit des femmes en Afghanistan

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  • Sabrina Saqeb députée pour le droit des femmes en Afghanistan

    Sabrina Saqeb a de grands yeux et des mèches châtains qui cherchent à s'affranchir du voile bleu lui encadrant le visage. Elle marche dans les vastes couloirs de la Wolesi Jirgha (Assemblée nationale), une forteresse cernée de béton piqué de barbelés, où la rumeur de Kaboul ne parvient qu'assourdie. Elle s'assoit à une longue table où elle reçoit les visiteurs. Son temps est compté, car une délégation de diplomates britanniques patiente dans l'antichambre.

    A 29 ans, la députée est l'une des figures les plus en vue du mouvement des femmes en Afghanistan. Elle est de tous les combats, n'hésitant pas à défier en séance plénière, et même dans la rue, les notables les plus fondamentalistes. Elle s'est récemment illustrée lors de l'âpre controverse autour d'un projet de loi légalisant de grossières discriminations contre les femmes. Ce code de la famille destiné à la communauté chiite (15 % de la population) avait été directement négocié entre le président afghan, Hamid Karzaï, et l'ayatollah intégriste Asef Mohseni, un allié électoral précieux à flatter avant le scrutin présidentiel du 20 août.

    Sabrina Saqeb a bataillé dans les commissions, guerroyé à coup d'amendements. Epaulée par une autre parlementaire, Shinkaï Karokhel, elle a fini par arracher des concessions et édulcorer légèrement le texte. L'article sur le divorce a été assoupli : la femme pourra conserver la garde d'un fils jusqu'à 8 ans (au lieu de 2 ans) et d'une fille jusqu'à 9 ans (au lieu de 7 ans).

    L'article sur le remariage après la mort du mari est lui aussi amendé : la femme peut se remarier après une période de trois ans (au lieu de quatre-vingt-dix-neuf ans). Quant à l'interdiction de l'épouse de sortir sans la permission de son mari, les deux jeunes députées ont échoué à supprimer l'article mais ont obtenu qu'il soit assorti d'une condition : "sauf circonstances exceptionnelles". Au final, ces amendements étaient, dit-elle, "très insuffisants".

    Sabrina Saqeb a été formée à l'école des idées éclairées. Son père était un communiste qui a payé son opposition à l'invasion soviétique par de longs séjours en prison. La famille a dû s'exiler en Iran, où la jeune femme a grandi, étudié l'anglais, découvert la pesante réalité d'un régime islamiste. A l'instar de la plupart des intellectuels afghans réfugiés en Iran, elle en revint armée d'idées libérales.

    Dans le Kaboul post-2001, à l'heure où on ne parlait des talibans qu'au passé, elle croit à une nouvelle ère. Elle travaille pour une organisation non gouvernementale (ONG) tchèque, s'engage dans le mouvement olympique afghan - le basket-ball est sa passion - et se présente aux élections législatives de 2005. "C'est ma mère qui m'a poussée. Elle disait qu'il fallait que je m'engage pour l'avenir de l'Afghanistan, particulièrement pour la nouvelle génération."

    De tous ses combats parlementaires, l'agitation autour du code chiite de la famille fut à n'en pas douter sa grande affaire. Au printemps, quand elle comprend que la bataille législative est perdue, elle alerte les médias étrangers. La presse locale, qui ne s'était jusque-là guère saisie du dossier, suit. La communauté internationale s'émeut. La controverse s'enflamme autour d'une disposition de la loi imposant aux épouses de se plier aux sollicitations sexuelles de leur mari, article qualifié par les groupes de femmes de "légalisation du viol".

    M. Karzaï, qui vient de promulguer le texte, est embarrassé. A la mi-avril, Sabrina Saqeb et sa soeur Diana, une documentariste, descendent dans la rue. Elles déroulent leurs calicots aux portes même de l'université islamique privée de Khatam-ul-Nabieen, le fief de l'ayatollah Mohseni, dans le quartier chiite de Kaboul. En riposte, l'ayatollah mobilise ses partisans et les deux camps se font face, séparés par un abysse d'incompréhension. Les insultes fusent. "Vous êtes contre l'islam", lancent les manifestants pro-Mohseni. Des échauffourées éclatent. La fièvre retombée, Sabrina se félicite : "C'est un événement, c'est la première fois dans l'histoire de l'Afghanistan que des femmes manifestent contre une loi d'inspiration religieuse !"

    Sous la pression internationale, et dans le plus grand secret, M. Karzaï supprime l'article controversé. Mais la polémique rebondit, début août, quand filtre la version revue et corrigée par le président. Le texte autorise l'époux à retirer toute forme d'assistance - logement, nourriture, traitement médical - à sa femme si celle-ci manque à ses "devoirs de la charia " (loi islamique), une formule générale qui inclut notamment l'obligation de satisfaire les désirs sexuels du mari. "Même en Iran, la législation est plus libérale !", tempête Zia Moballegh, l'animateur de Rights and Democracy, une ONG qui milite pour l'instauration d'un code de la famille (pour chiites et sunnites) le plus favorable possible aux intérêts des femmes. La tactique est assez fine. En puisant leur référence dans la loi iranienne, les réformateurs afghans tentent de se protéger de l'infâme accusation d'être "vendus à l'Occident".

    Par le Monde
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