J’ai fait partie d’un groupe d’observation des droits de l’homme au Sahara Occidental sous contrôle marocain, au cours d’un voyage qui s’est déroulé du 12 au 23 août dernier.
Symboles et mensongesNous sommes dans les « Provinces du Sud ». Une région « récupérée » selon les autorités marocaines. Le Maroc, donc. Qui en douterait ? : des drapeaux rouges frappés de l’étoile verte partout, sur la moindre cahute au milieu du désert ; des portraits du Roi, d’une taille et d’une variété qu’on ne voit pas dans les « Provinces du Nord », celles où les touristes, nombreux, trouveraient cela incongru sans doute...
Ici, visiblement, on doit rappeler qui est le Roi, au cas où les gens l’oublieraient. Les touristes… il n’y en a pas, malgré les efforts publicitaires du royaume.
Le siège de la MINURSO (MIssion des Nations Unies pour l’organisation d’un Référendum d’autodétermination au Sahara Occidental), soit l’ONU, sous la responsabilité de laquelle se trouve ce territoire non autonome aux yeux du droit international, est littéralement« cerné » par des drapeaux marocains ; lesquels donnent l’illusion que ce site officiel, hérissé de puissantes paraboles de télécommunications, relève du régime alaouite ! Et l’ONU ne fait rien, de toute évidence, pour clarifier les choses.
A partir de Tan Tan, le rituel est toujours le même : barrage de police à l’entrée et à la sortie de chaque ville ou bourgade, barrages de gendarmerie (en nombre non déterminé, parfois tous les 20 km) entre les villes. La plupart du temps polis, les policiers et les gendarmes prennent les passeports, les cartes d’identité, les papiers du véhicule et consignent tout dans des fiches qu’ils remplissent à la main, avec des recherches ubuesques sur les dates d’entrée sur le territoire, et la question, rituelle elle aussi (les Européens ne le font plus figurer sur les passeports) : « profession ? » Nos réponses : « professeur en vacances », « éditrice (de livres) », « retraité »…
On se rappelle qu’un cessez-le-feu a été signé il y a 18 ans (en septembre 1991) entre le Maroc et le Front Polisario, et qu’il a depuis été parfaitement respecté. Pas un coup de feu, pas une tentative d’attentat, pas un kamikaze, rien. Seulement, et c’est horrible, des gens qui sautent sur des mines antipersonnel (fabriquées par tous les pays occidentaux…) laissées par les belligérants dans les anciennes zones de combat.
Dix-huit ans, cela fait une génération. Alors, la raison de ces contrôles incessants?
On nous le répétera : « c’est pour votre sécurité ! » Ainsi, un soir, à 15 km de Smara, au beau milieu du désert, nous partagions avec nos hôtes sahraouis un méchoui de chèvre. Au bout d’une heure ou deux, nous avons vu des faisceaux de phares s’approcher de notre retraite ; sont descendus du véhicule quatre hommes, policiers et gendarmes réunis, deux officiers et deux non gradés le fusil mitrailleur dégagé, prêt à tirer. Après quelques échanges en arabe avec nos hôtes, ils nous ont expliqué sans rire qu’ils étaient venus voir « pour notre sécurité » !
Respect
Nous sommes arrivés dans la chaleur de l’après-midi devant la maison de Soukaina Jad Ahlou, à Smara, le 16 août. A quelques mètres de sa porte, dans la rue, une voiture bleu marine stationnait, dont les occupants ne donnaient pas grand signe de vie. Après notre arrivée, on a pu voir qu’ils se réveillaient... Bien entendu, il s’agissait de policiers, des CMI (Compagnie mobile d’intervention, l’équivalent des CRS en France), dont nous avons appris qu’ils étaient présents, jour et nuit, 365 jours par an depuis quatre ans, devant la maison de Soukaina.
Cette femme d’une cinquantaine d’années, belle et grave, est d’une dignité magnifique. En 1975, lors de l’invasion du Sahara Occidental par l’armée marocaine, elle était dans un campement avec sa famille, ses enfants, dont un bébé de deux mois qu’elle avait au sein. Ils l’ont arrêtée, battue, torturée, violée devant son jeune fils, emmenée avec des dizaines d’autres Sahraouis qui refusaient l’annexion de leur pays dans le bagne de Kalaa M’Gouna, dans l’Atlas marocain. Là, son bébé est mort de faim, comme celui de 35 autres mères qui allaitaient. Là-bas, elle est restée 16 ans, jusqu’en 1991. Elle était disparue. Ses proches la croyaient morte.
Et pourtant, elle est capable de sourire, et même de rire.
Quel danger représente donc cette femme aux yeux de la police marocaine ?
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