Les quelques bribes de révélations que certains responsables politiques ou acteurs de la guerre de Libération nationale ont pu verser dans un débat qui n’en est pas un sur l’écriture de la véritable histoire de cette période cruciale de l’Algérie contemporaine n’ont apparemment acquis aucun prolongement académique lié à la recherche en histoire.
Assassinats politiques par des frères d’armes, nombre exact de chouhadas et de moudjahidine, quelques chapitres mouvementés et controversés du comportement de certains responsables de l’époque, congrès de la Soummam et d’autres épisodes mois bien connus de cette épopée du peuple algérien font presque régulièrement l’objet de mini-révélations, de jugements et de commentaires aussi bien dans la presse écrite qu’au sein de certaines institutions (APN, Sénat).
Si cette manière de procéder a le mérite de casser des tabous dans le cercle de l’hégémonie de la pensée unique et de l’unanimisme de façade qui a fait tant de mal à la mémoire collective et à la culture nationale, elle manque cependant de pédagogie, d’esprit de suite et de résultat concret. Après les remous et controverses soulevés dans l’immédiat par ces ‘’révélations’’, la tempête se dilue en fin de compte dans l’indifférence, l’apathie et la torpeur dans lesquelles évoluent la culture nationale et les institutions pédagogiques du pays.
Pourtant, l’écriture de l’histoire, sa consécration dans les manuels scolaires et sa prise en charge sur le plan de la symbolique épousent de plus en plus les contours d’un nouveau concept, à savoir le travail de mémoire, concept qui a reçu au cours de ces dernières années les faveurs des sciences humaines et de la recherche. En effet, outre la volonté de restituer les faits et d’établir une chronologie, l’investigation historique et la restitution de ses résultats ont surtout pour objectif de maintenir vivante la mémoire collective et d’établir une ‘’filiation’’ et une solidarité culturelles et morales entre les différentes générations.
Pour le cas spécifique de la guerre de Libération nationale, le travail de mémoire ne cesse de se conforter et de trouver chaque jour son terrain d’expression à travers des séminaires, des articles académiques, des conférences,…etc. Aucun support n’est négligé pour mener une si noble et si importante entreprise. Cependant, des aléas et des pesanteurs ne manquent pas de grever de temps en temps une démarche qui n’a, en réalité, rien de linéaire. C’est un chemin sinueux du fait que, des deux côtés de la Méditerranée , le regard vers le passé se nourrit non seulement des faits du passé, mais également du regard porté par les jeux et les enjeux du présent. Cette forme de ‘’brouillage’’ ou d’interférence n’est évidemment pas sans danger sur l’objectivité et la remise en contexte des événements. Un fait symptomatique de la nouvelle tendance qui se dessine en la matière : une forme de frénésie dans l’écriture de l’histoire de la guerre s’est emparée des acteurs et des chercheurs en histoire depuis au moins le début du nouveau siècle, et le décret français de février 2005 glorifiant la colonisation n’a fait qu’accélérer les choses et justifier des recherches encore plus poussées dans le domaine. Dans la foulée de l’amendement constitutionnel du 12 novembre 2008, et au-delà de la mécanique institutionnelle qu’elle se propose de réajuster, la révision du texte fondamental du pays a aussi porté aussi sur l’écriture de l’histoire de la guerre de Libération et sur la protection des symboles de cette grande épopée.
L’Histoire sous le regard colonial
C’est un fait établi que l’écriture de l’histoire du peuple algérien pendant la période coloniale a été l’apanage des écrivains et historiens de la puissance occupante. L’écriture de l’histoire avait même pris avec certains auteurs les allures d’élucubrations tendant à justifier le fait colonial. Il en est ainsi de Louis Bertrand qui pensait et disait que, en mettant les pieds en Algérie, la France ne faisait que ‘’retrouver une partie de l’Afrique latine’’ perdue pendant plusieurs siècles ; d’où la trouvaille qui a pu investir pour longtemps les bancs de l’école où on apprenait aux indigènes que leurs ancêtres étaient les Gaulois.
La falsification de l’histoire et la scotomisation d’une partie de celle-ci avaient leurs théoriciens et idéologues ainsi que leurs praticiens dans les écoles et les médias. C’est véritablement un parti pris appartenant à une grande entreprise de déculturation/acculturation propre à l’idéologie coloniale. Parallèlement, des recherches ethnographiques ont été réalisées par des personnalités officielles, des militaires ou des hommes d’église, qui ont pu révéler de grands pans de l’histoire d’Algérie contemporaine ou antique. Ces recherches, consignées dans des ouvrages spécialisés, ont connu une diffusion limitée. Leurs auteurs n’ont pu s’imposer dans le cercle des historiens que très difficilement tant était forte la volonté de maintenir la chape de silence sur les réalités historiques, sociales et culturelles d’une terre considérée comme le nouvel eldorado de la plèbe et du lumpenprolétariat de la métropole et même de toute l’Europe méditerranéenne.
Charles-Robert Ageron, Charles-André Julien et d’autres chercheurs versés dans la sociologie comme Jacques Berque et Yves Lacoste ont naturellement donné leurs lettres de noblesse à l’étude des sociétés maghrébines colonisées en mettant en relief la profondeur historique des peuples en question, les différentes civilisations qui les ont marqués et leur capacité à s’assumer en tant que sociétés organisées d’une façon autonome par rapport aux schémas coloniaux.
Le travail de recherche du professeur Charles-Robert Ageron, disparu il y une année, symbolisa cet effort d’une certaine élite libérale française à comprendre la société algérienne sous domination coloniale et à en saisir les profonds mouvements.
" Le professeur Charles-Robert Ageron est un des historiens français qui ont le plus contribué à l’écriture de l’histoire maghrébine et œuvré courageusement pour la décolonisation de l’histoire algérienne. Il consacra passionnément plus d’une décennie de recherche dans les dépôts et fonds d’archives algériens et français pour réaliser une thèse sous la direction d’un autre éminent ‘’maître’’, le fameux Charles-André Julien, qui l’honora du bonnet de docteur en histoire ‘’Les Algériens musulmans et la France : 1871-1919’’. Sujet fort original et sensible, elle fut un véritable chef-d’œuvre d’où jaillit une authentique passion pour la terre, la culture et les hommes ", estime Kamal Filali de l’Université de Constantine (département d’histoire). Et il ajoute : " Depuis qu’il occupa la chaire de professeur agrégé en 1947, son combat politique n’a cessé de s’éclaircir et de se consolider en faveur d’une riche coopération scientifique franco-maghrébine basée sur le respect mutuel des deux cultures. Il résista courageusement à tous les soubresauts et les perturbations qu’avaient traversés les relations entre la France et l’Algérie pour y rester et œuvrer au rapprochement des deux communautés (…) Outre le professeur dispensateur de cours magistraux, Ageron était un infatigable chercheur de terrain et eut la chance de vivre, en témoin oculaire et en observateur lucide les élans historiques et grandes mutations vécues par l’Algérie depuis la Seconde Guerre mondiale ".
L’on se doute bien que, en dehors de ces exceptions qui accordent un regard lucide sur la société et le peuple algériens, une historiographie qui a longtemps fait l’impasse sur les réalités anciennes du pays ne puisse nullement se prévaloir d’une quelconque objectivité au sujet d’une guerre présentée pendant des décennies comme une simple opération de ‘’maintien de l’ordre’’ en Algérie ou, plus confusément, comme les ‘’Événements d’Algérie’’.
Assassinats politiques par des frères d’armes, nombre exact de chouhadas et de moudjahidine, quelques chapitres mouvementés et controversés du comportement de certains responsables de l’époque, congrès de la Soummam et d’autres épisodes mois bien connus de cette épopée du peuple algérien font presque régulièrement l’objet de mini-révélations, de jugements et de commentaires aussi bien dans la presse écrite qu’au sein de certaines institutions (APN, Sénat).
Si cette manière de procéder a le mérite de casser des tabous dans le cercle de l’hégémonie de la pensée unique et de l’unanimisme de façade qui a fait tant de mal à la mémoire collective et à la culture nationale, elle manque cependant de pédagogie, d’esprit de suite et de résultat concret. Après les remous et controverses soulevés dans l’immédiat par ces ‘’révélations’’, la tempête se dilue en fin de compte dans l’indifférence, l’apathie et la torpeur dans lesquelles évoluent la culture nationale et les institutions pédagogiques du pays.
Pourtant, l’écriture de l’histoire, sa consécration dans les manuels scolaires et sa prise en charge sur le plan de la symbolique épousent de plus en plus les contours d’un nouveau concept, à savoir le travail de mémoire, concept qui a reçu au cours de ces dernières années les faveurs des sciences humaines et de la recherche. En effet, outre la volonté de restituer les faits et d’établir une chronologie, l’investigation historique et la restitution de ses résultats ont surtout pour objectif de maintenir vivante la mémoire collective et d’établir une ‘’filiation’’ et une solidarité culturelles et morales entre les différentes générations.
Pour le cas spécifique de la guerre de Libération nationale, le travail de mémoire ne cesse de se conforter et de trouver chaque jour son terrain d’expression à travers des séminaires, des articles académiques, des conférences,…etc. Aucun support n’est négligé pour mener une si noble et si importante entreprise. Cependant, des aléas et des pesanteurs ne manquent pas de grever de temps en temps une démarche qui n’a, en réalité, rien de linéaire. C’est un chemin sinueux du fait que, des deux côtés de la Méditerranée , le regard vers le passé se nourrit non seulement des faits du passé, mais également du regard porté par les jeux et les enjeux du présent. Cette forme de ‘’brouillage’’ ou d’interférence n’est évidemment pas sans danger sur l’objectivité et la remise en contexte des événements. Un fait symptomatique de la nouvelle tendance qui se dessine en la matière : une forme de frénésie dans l’écriture de l’histoire de la guerre s’est emparée des acteurs et des chercheurs en histoire depuis au moins le début du nouveau siècle, et le décret français de février 2005 glorifiant la colonisation n’a fait qu’accélérer les choses et justifier des recherches encore plus poussées dans le domaine. Dans la foulée de l’amendement constitutionnel du 12 novembre 2008, et au-delà de la mécanique institutionnelle qu’elle se propose de réajuster, la révision du texte fondamental du pays a aussi porté aussi sur l’écriture de l’histoire de la guerre de Libération et sur la protection des symboles de cette grande épopée.
L’Histoire sous le regard colonial
C’est un fait établi que l’écriture de l’histoire du peuple algérien pendant la période coloniale a été l’apanage des écrivains et historiens de la puissance occupante. L’écriture de l’histoire avait même pris avec certains auteurs les allures d’élucubrations tendant à justifier le fait colonial. Il en est ainsi de Louis Bertrand qui pensait et disait que, en mettant les pieds en Algérie, la France ne faisait que ‘’retrouver une partie de l’Afrique latine’’ perdue pendant plusieurs siècles ; d’où la trouvaille qui a pu investir pour longtemps les bancs de l’école où on apprenait aux indigènes que leurs ancêtres étaient les Gaulois.
La falsification de l’histoire et la scotomisation d’une partie de celle-ci avaient leurs théoriciens et idéologues ainsi que leurs praticiens dans les écoles et les médias. C’est véritablement un parti pris appartenant à une grande entreprise de déculturation/acculturation propre à l’idéologie coloniale. Parallèlement, des recherches ethnographiques ont été réalisées par des personnalités officielles, des militaires ou des hommes d’église, qui ont pu révéler de grands pans de l’histoire d’Algérie contemporaine ou antique. Ces recherches, consignées dans des ouvrages spécialisés, ont connu une diffusion limitée. Leurs auteurs n’ont pu s’imposer dans le cercle des historiens que très difficilement tant était forte la volonté de maintenir la chape de silence sur les réalités historiques, sociales et culturelles d’une terre considérée comme le nouvel eldorado de la plèbe et du lumpenprolétariat de la métropole et même de toute l’Europe méditerranéenne.
Charles-Robert Ageron, Charles-André Julien et d’autres chercheurs versés dans la sociologie comme Jacques Berque et Yves Lacoste ont naturellement donné leurs lettres de noblesse à l’étude des sociétés maghrébines colonisées en mettant en relief la profondeur historique des peuples en question, les différentes civilisations qui les ont marqués et leur capacité à s’assumer en tant que sociétés organisées d’une façon autonome par rapport aux schémas coloniaux.
Le travail de recherche du professeur Charles-Robert Ageron, disparu il y une année, symbolisa cet effort d’une certaine élite libérale française à comprendre la société algérienne sous domination coloniale et à en saisir les profonds mouvements.
" Le professeur Charles-Robert Ageron est un des historiens français qui ont le plus contribué à l’écriture de l’histoire maghrébine et œuvré courageusement pour la décolonisation de l’histoire algérienne. Il consacra passionnément plus d’une décennie de recherche dans les dépôts et fonds d’archives algériens et français pour réaliser une thèse sous la direction d’un autre éminent ‘’maître’’, le fameux Charles-André Julien, qui l’honora du bonnet de docteur en histoire ‘’Les Algériens musulmans et la France : 1871-1919’’. Sujet fort original et sensible, elle fut un véritable chef-d’œuvre d’où jaillit une authentique passion pour la terre, la culture et les hommes ", estime Kamal Filali de l’Université de Constantine (département d’histoire). Et il ajoute : " Depuis qu’il occupa la chaire de professeur agrégé en 1947, son combat politique n’a cessé de s’éclaircir et de se consolider en faveur d’une riche coopération scientifique franco-maghrébine basée sur le respect mutuel des deux cultures. Il résista courageusement à tous les soubresauts et les perturbations qu’avaient traversés les relations entre la France et l’Algérie pour y rester et œuvrer au rapprochement des deux communautés (…) Outre le professeur dispensateur de cours magistraux, Ageron était un infatigable chercheur de terrain et eut la chance de vivre, en témoin oculaire et en observateur lucide les élans historiques et grandes mutations vécues par l’Algérie depuis la Seconde Guerre mondiale ".
L’on se doute bien que, en dehors de ces exceptions qui accordent un regard lucide sur la société et le peuple algériens, une historiographie qui a longtemps fait l’impasse sur les réalités anciennes du pays ne puisse nullement se prévaloir d’une quelconque objectivité au sujet d’une guerre présentée pendant des décennies comme une simple opération de ‘’maintien de l’ordre’’ en Algérie ou, plus confusément, comme les ‘’Événements d’Algérie’’.
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