Errika ! Errika ! Ce sont les tabliers !
par Boudaoud Mohamed
Il était une fois, dans un pays aujourd'hui disparu, un Sir Ministre qui, un jour, convoqua d'urgence tous ses subalternes. Il était de très mauvaise humeur, et des témoins se souviennent qu'il avait crié horriblement après tous ceux qu'il avait rencontrés sur le chemin qui menait de sa maison à la Grande Salle de Réunion. par Boudaoud Mohamed
C'était une lettre que lui avait remise un étranger, qui avait bousillé ses nerfs. Il tremblait de rage.
- Encore une fois, hurla-t-il en brandissant la lettre devant les yeux fatigués et indifférents de ses subalternes, notre École a reçu un blâme. Nos meilleurs élèves ont obtenu de très mauvais résultats à l'Examen international. Messieurs, dans la liste des peuples qui ont participé à cette compétition, nous figurons à l'avant-dernière place. C'est une honte ! Si je ne craignais pas de désobliger notre Roi, j'aurais déjà donné ma démission. Mais comment oserais-je commettre une telle indélicatesse à l'égard de Sa Majesté le Roi qui m'a toujours témoigné une confiance aveugle ? Il y a à peine deux jours, Son Excellence me disait, en me donnant de gentilles petites tapes sur l'épaule : «Va, mon fils, va. Tu fais un travail exceptionnel. Je suis persuadé qu'un beau jour tu nous mèneras sur Mars. Ce jour-là, je t'offrirai quelques-unes des perles de pluie que vient de m'offrir le Roi d'un pays où il ne pleut pas. Laisse les aigris radoter et continue ton bonhomme de chemin. Ne Nous quitte pas. Ne Nous quitte pas. Que Dieu dirige et bénisse tes pas !». Vous voyez, une démission serait une ingratitude envers Sa Majesté (un silence, puis), mais pourquoi donc sommes-nous les derniers de la classe ? Nos élèves seraient-ils tarés ? Les femmes de ce pays seraient-elles incapables de donner naissance à des enfants intelligents comme ceux qui sortent du ventre des Finlandaises ? C'est une possibilité ! Ce sont des feuilletons finlandais que le directeur de la Télévision devrait importer en masse. Ou, peut-être, faudrait-il encourager les jeunes Finlandaises à venir s'installer chez nous ? Notez l'idée, vous penserez à cette solution plus tard.
Des applaudissements et un murmure d'approbation parcoururent la Grande Salle de Réunion. Les subalternes semblaient très intéressés par la proposition de Sir Ministre de l'École. Ils étaient en train de la consigner sur leur carnet quand, brusquement, le Sir gronda :
- Y aurait-il parmi vous des fonctionnaires qui ne font pas leur travail consciencieusement ? Je sévirais ! Je les détruirais ! Certes, je suis plein de pardon, mais je vois rouge quand la Nation a mal. Mais je soupçonne plutôt les aliments que nous importons d'être trafiqués pour nous abrutir ? Il est probable aussi que c'est l'air que nous respirons qui nous rend stupides ? Aurait-il été pollué par l'Ennemi Extérieur ? Serions-nous les victimes d'une conspiration ? Qui nous veut du mal ? Dieu Tout-Puissant, protégez mon pays contre ses ennemis ! Ils sont si nombreux !
- Amen ! répondirent en choeur les subalternes qui, ayant subi à maintes reprises des tirades de ce genre, gardaient le silence jusque-là. D'instinct, ils savaient à quel moment et avec quelles paroles il fallait intervenir. Ils avaient de petits projets personnels qu'ils ne voulaient pas exposer aux sautes d'humeur de Sir Ministre. En effet, dans ce pays aujourd'hui disparu, les Chefs étaient imprévisibles comme un destin. Ils changeaient d'humeur comme la trotteuse d'une montre change de position. Encore pire, ils se froissaient pour un rien et pouvaient de ce fait devenir très dangereux. Mais ils adoraient les flatteries. Et les flatteurs bénévoles pullulaient dans cette contrée, qui vivaient la langue pendante et une brosse à la main.
- Des milliards de dollars, des millions d'élèves, continua le Sir Ministre de l'École, des millions de livres scolaires, des millions de cartables, des centaines de milliers de salles de cour, des centaines de milliers d'enseignants, des centaines de milliers de tableaux, des centaines de milliers de tables et de chaises, des milliers d'écoles primaires, des milliers de collèges, des milliers de lycées, des milliers de directeurs, des milliers d'inspecteurs, des centaines de réunions, bref, des quantités inimaginables qui font pâlir de jalousie les autres nations, et nos enfants ont été nuls à l'Examen international ! Incroyable ! Mais je ne vous ai pas convoqués pour vous rappeler que le Royaume consacre le quart de ses revenus à l'École. Nous sommes là pour réfléchir aux causes de l'humiliation que nous venons encore une fois d'essuyer. Messieurs, faites travailler vos méninges maintenant. Nous ne sortirons pas de ce lieu avant d'avoir résolu le problème.
On vit apparaître sur le visage des subalternes des grimaces qui indiquaient qu'ils s'étaient engagés dans une profonde réflexion. En vérité, depuis que ce dernier avait prononcé le mot Finlandaises, la plupart rêvassaient, l'imagination fécondée généreusement par l'idée. Ils se voyaient déjà entourés d'un harem de femelles blanches dociles, leur donnant tous les neufs mois un petit Einstein échevelé. Mais, sans crier gare, le Sir s'exclama, brisant en mille morceaux ces rêveries roses et tendres :
- Errika ! Errika ! Ce sont les tabliers !
Dans la langue maternelle de notre héros, «Errica !» signifiait «J'ai trouvé !». Des siècles plus tard, ce fameux cri sera déformé dans une baignoire par un certain Archimède qui hurlera «Eurêka !» pour une raison banale. Trafiquée, l'histoire a retenu le nom de ce personnage insignifiant, mais a enseveli celui du Sir Ministre sous les décombres de l'oubli. Les subalternes firent semblant de prêter attention.
- Oui, ce sont les tabliers que doivent porter nos élèves qui sont à l'origine des piteux résultats que nous avons obtenus. Voici ce qui a dû se passer jusqu'à maintenant. Comme il y avait trop de couleurs, les enfants ont tout le temps eu l'impression d'être dans une foire ou une kermesse, mais certainement pas dans une école. Or c'est connu, les couleurs distraient et éparpillent l'attention. Celle de l'apprenant comme celle du maître. Pour apprendre, il n'y a pas mieux qu'un environnement simplifié et sévère. En deuxième lieu, cette multitude de couleurs ont provoqué une multitude d'opinions. Chaque élève a eu de ce fait des idées personnelles sur le monde. Il y a eu des discussions, chacun défendant la couleur de sa blouse. La division s'est alors installée et l'enseignant a été, non pas face à une communauté qui avait envie d'apprendre, mais à des sauvages indociles et indisciplinés. Chaque gamin pensait à sa façon au lieu de penser comme son camarade. À la question posée par le maître, ce n'est pas une réponse, mais des réponses qui fusaient des bouches. Ce qui a ouvert la voie au désordre. À la pagaille. Or, quel est le rôle d'une école ? Bien entendu, éradiquer les différences et façonner une pensée commune. En effet, quelle délicieuse joie d'être en classe avec des frères qui pensent comme vous ! Quel confort ! Vous avez envie d'étudier ! Par contre, c'est un enfer d'être entouré d'individus qui vous contredisent tout le temps ! C'est stressant ! C'est angoissant !
(à suivre)
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