Les partenaires étrangers sont satisfaits de la suppression de « l’effet rétroactif », mais réservent leurs commentaires. Au cas où. Le cadre réglementaire est devenu très instable en Algérie. Les ministres en sont parfois les premiers pris au dépourvu.
Par Fayçal Métaoui et Ihsane El Kadi, Alger
Pour l’ensemble des ministres présents, l’affaire est pliée. C’est la coutume. Lorsqu’un projet de texte de loi arrive au Conseil des ministres, il a reçu l’aval des services de la Présidence. A fortiori, lorsqu’il s’agit d’un décret législatif – le parlement est en congé – portant sur la loi de Finances complémentaire, qui ne sera pas débattu par le Parlement. Quelques jours plus tôt, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, répétait encore à un cercle réduit d’hommes d’affaires algériens qu’il ne reviendrait pas en arrière sur l’effet rétroactif dans cette obligation d’ouvrir le capital dans les sociétés étrangères d’importation. Alors la surprise est totale, ce mardi 21 juillet, lorsque le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, intervient à la fin de la présentation par le ministre des Finances, Karim Djoudi, sur un « point de détail ». La prise de parole est inattendue, mais son objet est encore plus surprenant. Il s’agit de l’article qui instaure l’obligation pour les sociétés étrangères d’importation de céder 30% de leur capital à un partenaire algérien. « Je ne veux pas que cette mesure soit rétroactive. Procédez immédiatement à la modification du texte », lâche le président, en arabe. Et la réunion passe à un autre point d’ordre du jour. Ainsi est scellé en moins d’une minute et devant un tour de table médusé, le sort de la disposition qui a parasité le débat économique en Algérie depuis six mois.
« Je ne veux pas que cette mesure soit rétroactive. Procédez immédiatement à la modification du texte », lâche le président, en arabe.
Cette mesure de la rétroactivité avait été sèchement déplorée, le 12 juin dernier, dans un courrier de la baronne Catherine Ashton, commissaire européenne à la Concurrence, adressé au ministre algérien du Commerce, Hachemi Djâaboub. La position d’Alger s’était alors raidie. Le Premier ministre n’a pas soufflé mot après l’intervention présidentielle, le 21 juillet. Le feuilleton procédurier sur « l’effet rétroactif » des 30%, comme on s’est mis à l’appeler dans la presse algérienne, s’est donc achevé sur un coup de théâtre à huis clos.
Imbroglio prolongé par la Banque d’Algérie
Les cadres et le personnel du Ministère des finances ont été convoqués dans la soirée même pour changer l’article qui, à l’origine, consacrait le caractère rétroactif de la mesure des 30%. Il y avait urgence, puisque le texte de la loi de Finances complémentaire devait être signé par le chef de l’Etat et publié dans le Journal officiel au courant de la même semaine. L’information sur la disparition de « l’effet rétroactif » lors du Conseil des ministres filtrera seulement plusieurs jours après vers les opérateurs économiques et les chancelleries étrangères, notamment européennes, devenues spécialistes de « l’affaire des 30% ». Un délai fatal à la Banque d’Algérie, qui a fait cavalier seul et a commis une directive aux banques commerciales interdisant la domiciliation des opérations d’importation des sociétés dont plus de 70% du capital est détenue par des étrangers. C’est le dernier épisode burlesque de ce qui restera comme la réforme la plus désastreuse pour la cohésion de l’exécutif. La Banque centrale ravale son texte du 4 août et le ministre des Finances se confond en explications surannées : « La décision de la Banque d’Algérie a été diffusée entre le moment de l’annonce de cette mesure et la décision de non-rétroactivité annoncée en Conseil des ministres lors de l’adoption de la LFC 2009. »
« Si quelqu’un doit désavouer mon texte »
Fin de l’imbroglio. Il aura duré six mois. Rarement autant de couleuvres auront été avalées. Car l’effet rétroactif a vacillé plus d’une fois depuis décembre 2008. Karim Djoudi avait affirmé, en mai dernier, dans un entretien à Washington avec le correspondant de Algérie presse service (APS), que la mesure des 30% ne sera pas rétroactive. Déclaration qui a mis en colère le Premier ministre, Ahmed Ouyahia. Il aurait déclaré : « Si quelqu’un doit désavouer le contenu de mon instruction, ce ne sera pas un de mes ministres. » Djoudi a restauré publiquement la rétroactivité, invoquant une « incompréhension de journalistes » pour se dégager de son annonce de Washington. En dehors du volte-face du ministre des Finances, aucun membre du gouvernement n’est vraiment monté au créneau pour soutenir et expliquer la mesure : tout le monde pressentait le piège d’un changement d’avis présidentiel, en dépit d’un texte d’application publié au début de l’été par le ministre du Commerce, Hachemi Djâaboub.
Qui décide à Alger ? Réponse confortée
Pour de nombreux experts, la suppression du caractère rétroactif de la mesure des 30% enlève tout intérêt au texte, puisqu’il était principalement destiné aux entreprises, notamment françaises, déjà actives en Algérie. La mesure devait concerner 1846 entreprises d’importation établies dans le pays. Ce n’est pas la première fois que le président Bouteflika bloque in extremis une mesure qu’il a inspiré au gouvernement ou fait passer par décret législatif. La loi sur les hydrocarbures d’avril 2005 a été remise en cause en juillet 2006 sur son volet le plus sensible – la concession des nouveaux gisements au profit des compagnies (étrangères) qui les découvrent – au moment ou le ministre de l’Energie, Chakib Khelil, préparait les textes d’application. Un séminaire d’Ubifrance s’était posé la question à Paris, en juillet dernier, de savoir « qui sont les décideurs économiques à Alger ? ». L’affaire de l’effet rétroactif et son dénouement enrichit la réponse.
Les Afriques
Par Fayçal Métaoui et Ihsane El Kadi, Alger
Pour l’ensemble des ministres présents, l’affaire est pliée. C’est la coutume. Lorsqu’un projet de texte de loi arrive au Conseil des ministres, il a reçu l’aval des services de la Présidence. A fortiori, lorsqu’il s’agit d’un décret législatif – le parlement est en congé – portant sur la loi de Finances complémentaire, qui ne sera pas débattu par le Parlement. Quelques jours plus tôt, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, répétait encore à un cercle réduit d’hommes d’affaires algériens qu’il ne reviendrait pas en arrière sur l’effet rétroactif dans cette obligation d’ouvrir le capital dans les sociétés étrangères d’importation. Alors la surprise est totale, ce mardi 21 juillet, lorsque le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, intervient à la fin de la présentation par le ministre des Finances, Karim Djoudi, sur un « point de détail ». La prise de parole est inattendue, mais son objet est encore plus surprenant. Il s’agit de l’article qui instaure l’obligation pour les sociétés étrangères d’importation de céder 30% de leur capital à un partenaire algérien. « Je ne veux pas que cette mesure soit rétroactive. Procédez immédiatement à la modification du texte », lâche le président, en arabe. Et la réunion passe à un autre point d’ordre du jour. Ainsi est scellé en moins d’une minute et devant un tour de table médusé, le sort de la disposition qui a parasité le débat économique en Algérie depuis six mois.
« Je ne veux pas que cette mesure soit rétroactive. Procédez immédiatement à la modification du texte », lâche le président, en arabe.
Cette mesure de la rétroactivité avait été sèchement déplorée, le 12 juin dernier, dans un courrier de la baronne Catherine Ashton, commissaire européenne à la Concurrence, adressé au ministre algérien du Commerce, Hachemi Djâaboub. La position d’Alger s’était alors raidie. Le Premier ministre n’a pas soufflé mot après l’intervention présidentielle, le 21 juillet. Le feuilleton procédurier sur « l’effet rétroactif » des 30%, comme on s’est mis à l’appeler dans la presse algérienne, s’est donc achevé sur un coup de théâtre à huis clos.
Imbroglio prolongé par la Banque d’Algérie
Les cadres et le personnel du Ministère des finances ont été convoqués dans la soirée même pour changer l’article qui, à l’origine, consacrait le caractère rétroactif de la mesure des 30%. Il y avait urgence, puisque le texte de la loi de Finances complémentaire devait être signé par le chef de l’Etat et publié dans le Journal officiel au courant de la même semaine. L’information sur la disparition de « l’effet rétroactif » lors du Conseil des ministres filtrera seulement plusieurs jours après vers les opérateurs économiques et les chancelleries étrangères, notamment européennes, devenues spécialistes de « l’affaire des 30% ». Un délai fatal à la Banque d’Algérie, qui a fait cavalier seul et a commis une directive aux banques commerciales interdisant la domiciliation des opérations d’importation des sociétés dont plus de 70% du capital est détenue par des étrangers. C’est le dernier épisode burlesque de ce qui restera comme la réforme la plus désastreuse pour la cohésion de l’exécutif. La Banque centrale ravale son texte du 4 août et le ministre des Finances se confond en explications surannées : « La décision de la Banque d’Algérie a été diffusée entre le moment de l’annonce de cette mesure et la décision de non-rétroactivité annoncée en Conseil des ministres lors de l’adoption de la LFC 2009. »
« Si quelqu’un doit désavouer mon texte »
Fin de l’imbroglio. Il aura duré six mois. Rarement autant de couleuvres auront été avalées. Car l’effet rétroactif a vacillé plus d’une fois depuis décembre 2008. Karim Djoudi avait affirmé, en mai dernier, dans un entretien à Washington avec le correspondant de Algérie presse service (APS), que la mesure des 30% ne sera pas rétroactive. Déclaration qui a mis en colère le Premier ministre, Ahmed Ouyahia. Il aurait déclaré : « Si quelqu’un doit désavouer le contenu de mon instruction, ce ne sera pas un de mes ministres. » Djoudi a restauré publiquement la rétroactivité, invoquant une « incompréhension de journalistes » pour se dégager de son annonce de Washington. En dehors du volte-face du ministre des Finances, aucun membre du gouvernement n’est vraiment monté au créneau pour soutenir et expliquer la mesure : tout le monde pressentait le piège d’un changement d’avis présidentiel, en dépit d’un texte d’application publié au début de l’été par le ministre du Commerce, Hachemi Djâaboub.
Qui décide à Alger ? Réponse confortée
Pour de nombreux experts, la suppression du caractère rétroactif de la mesure des 30% enlève tout intérêt au texte, puisqu’il était principalement destiné aux entreprises, notamment françaises, déjà actives en Algérie. La mesure devait concerner 1846 entreprises d’importation établies dans le pays. Ce n’est pas la première fois que le président Bouteflika bloque in extremis une mesure qu’il a inspiré au gouvernement ou fait passer par décret législatif. La loi sur les hydrocarbures d’avril 2005 a été remise en cause en juillet 2006 sur son volet le plus sensible – la concession des nouveaux gisements au profit des compagnies (étrangères) qui les découvrent – au moment ou le ministre de l’Energie, Chakib Khelil, préparait les textes d’application. Un séminaire d’Ubifrance s’était posé la question à Paris, en juillet dernier, de savoir « qui sont les décideurs économiques à Alger ? ». L’affaire de l’effet rétroactif et son dénouement enrichit la réponse.
Les Afriques
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