On est frappé par la rupture entre, d'une part, le discours officiel
inamovible et complaisant sur le fonctionnement du système éducatif,
insistant en permanence sur les «bonnes conditions» de la rentrée
scolaire, et, d'autre part, la réalité quotidienne qui montre, au
contraire, une institution scolaire et universitaire sans âme,
fonctionnant depuis des décennies, à partir d'injonctions politiques,
excluant les principaux acteurs que sont les enseignants et les
élèves.
Le système éducatif a été conçu comme une «machine» qui se limite à
comptabiliser les flux d'entrées et de sorties des élèves et des
étudiants. Il est chosifié et profondément fragile parce qu'il
s'interdit de comprendre et d'analyser concrètement les rapports qui
se construisent à l'intérieur de la «boîte noire» (école, lycée,
université) entre tous les acteurs concernés. Or, Le débat ne peut se
réduire à une quantification qui glorifie politiquement un système
scolaire, faisant fi, depuis des décennies, de toute une réflexion
critique sur son fonctionnement quotidien. Les questions centrales
sont totalement occultées : comment faire aimer l'école à tous les
enfants ? Comment redonner sens à une pédagogie ouverte et tolérante ?
Comment permettre l'éclosion de «têtes bien faites, au lieu de têtes
bien pleines», pour reprendre les propos de Montaigne.
Le pédagogue s'efface au profit du bureaucrate aveugle qui se limite
à placer les élèves, à les compter, sans tenir compte de leurs
aspirations et de leurs attentes. Qu'importe la place sociale
dévalorisée de l'enseignant dans la société, l'essentiel est
ailleurs : la machine doit se reproduire à l'identique, même dans la
médiocrité et dans l'exclusion massive des enfants, dévoilant un
gâchis humain qui laisse perplexe sur le devenir de l'institution
scolaire.
Le système éducatif n'a pas d'identité propre. Il est en permanence
harcelé par mille et une circulaires élaborées dans des cercles
sociaux fermés qui laissent les principaux concernés, en l'occurrence
les enseignants, à la marge de la décision.
La déliquescence du système d'enseignement peut se lire au quotidien.
Des enseignants frustrés, déclassés socialement, confrontés à des
classes surchargées et à la mise en oeuvre de programmes construits en
dehors d'eux, peuvent difficilement donner sens à des formes
d'innovation pédagogique. Face à une machine centralisée qui impose
des règles uniformes, l'éducation a perdu son âme. Elle n'est plus cet
espace qui intègre le mérite, l'amour du savoir et la rigueur. Elle
n'est plus crédible, aux yeux de beaucoup d'élèves, qui clament haut
et fort, «qu'ils n'ont plus la tête aux études» (Mebtoul et al.,
2004).
Ce qui fait pourtant la force de l'éducation, c'est sa pérennité et
son autonomie face aux aléas du politique, en refusant les
expérimentations hasardeuses, rarement sous-entendues par des études
rigoureuses. Ibn Khaldoun affirmait, dès le XIVe siècle, qu'on ne peut
soumettre inconditionnellement l'éducation et la culture qui symbolise
la «permanence» à un pouvoir quelconque, politique, économique ou
social qui représente «l'éphémère» (Moatassine, 2000).
Le système éducatif n'a pas d'âme, au sens il n'a pas l'autonomie
suffisante pour se remettre en question, en s'interrogeant
profondément sur ses multiples faiblesses, sur les statuts des
enseignants, sur les différentes modalités pédagogiques à mettre en
oeuvre dans les buts de réduire l'échec scolaire, de revaloriser les
diplômes, en mettant l'accent sur la qualité et la rigueur des
enseignements, etc.
Il semble urgent de regarder lucidement la réalité quotidienne de
l'institution scolaire ou universitaire pour rompre avec l'illusion de
la massification. Elle rend aveugle l'absence de toute performance
dans la transmission et la production des savoirs. Le système éducatif
conçu par le politique a favorisé en grande partie un important
retrait des agents sociaux à l'égard des savoirs et des formes
d'ascensions sociales rapides et brutales qui lui sont désormais
extérieures. Le système éducatif produit, à l'inverse, ses chômeurs et
ses laissés-pour-compte.
On est bien dans le récit du père de famille qui demande à ses
enfants, l'obéissance et le silence. Tout ira alors pour le mieux dans
le meilleur des mondes, grâce à son rôle social de distributeur de
moyens, c'est-à-dire une faible partie de la rente pétrolière. Parce
la vision dominante devient vérité absolue, il n'est pas question de
s'aventurer dans une réflexion collective sur l'école ! N'ayant pas
les capacités de se remettre en question, le système éducatif met en
scène le statut et le pouvoir au détriment de la qualification qui
représente pourtant les compétences réelles des acteurs de
l'éducation.
Références bibliographiques
Mebtoul M., Aouari A., Kerzabi Z, Oussaci N., Lamari L., 2004, «Récits
de vie des jeunes : chômage, étude, santé, familles», Rapport de
recherche, Oran, GRAS.
Moutassime A., 2000, «Diplômés maghrébins d'ici et d'ailleurs,
trajectoires sociales et itinéraires migratoires», Revue
Correspondances, n° 63.
inamovible et complaisant sur le fonctionnement du système éducatif,
insistant en permanence sur les «bonnes conditions» de la rentrée
scolaire, et, d'autre part, la réalité quotidienne qui montre, au
contraire, une institution scolaire et universitaire sans âme,
fonctionnant depuis des décennies, à partir d'injonctions politiques,
excluant les principaux acteurs que sont les enseignants et les
élèves.
Le système éducatif a été conçu comme une «machine» qui se limite à
comptabiliser les flux d'entrées et de sorties des élèves et des
étudiants. Il est chosifié et profondément fragile parce qu'il
s'interdit de comprendre et d'analyser concrètement les rapports qui
se construisent à l'intérieur de la «boîte noire» (école, lycée,
université) entre tous les acteurs concernés. Or, Le débat ne peut se
réduire à une quantification qui glorifie politiquement un système
scolaire, faisant fi, depuis des décennies, de toute une réflexion
critique sur son fonctionnement quotidien. Les questions centrales
sont totalement occultées : comment faire aimer l'école à tous les
enfants ? Comment redonner sens à une pédagogie ouverte et tolérante ?
Comment permettre l'éclosion de «têtes bien faites, au lieu de têtes
bien pleines», pour reprendre les propos de Montaigne.
Le pédagogue s'efface au profit du bureaucrate aveugle qui se limite
à placer les élèves, à les compter, sans tenir compte de leurs
aspirations et de leurs attentes. Qu'importe la place sociale
dévalorisée de l'enseignant dans la société, l'essentiel est
ailleurs : la machine doit se reproduire à l'identique, même dans la
médiocrité et dans l'exclusion massive des enfants, dévoilant un
gâchis humain qui laisse perplexe sur le devenir de l'institution
scolaire.
Le système éducatif n'a pas d'identité propre. Il est en permanence
harcelé par mille et une circulaires élaborées dans des cercles
sociaux fermés qui laissent les principaux concernés, en l'occurrence
les enseignants, à la marge de la décision.
La déliquescence du système d'enseignement peut se lire au quotidien.
Des enseignants frustrés, déclassés socialement, confrontés à des
classes surchargées et à la mise en oeuvre de programmes construits en
dehors d'eux, peuvent difficilement donner sens à des formes
d'innovation pédagogique. Face à une machine centralisée qui impose
des règles uniformes, l'éducation a perdu son âme. Elle n'est plus cet
espace qui intègre le mérite, l'amour du savoir et la rigueur. Elle
n'est plus crédible, aux yeux de beaucoup d'élèves, qui clament haut
et fort, «qu'ils n'ont plus la tête aux études» (Mebtoul et al.,
2004).
Ce qui fait pourtant la force de l'éducation, c'est sa pérennité et
son autonomie face aux aléas du politique, en refusant les
expérimentations hasardeuses, rarement sous-entendues par des études
rigoureuses. Ibn Khaldoun affirmait, dès le XIVe siècle, qu'on ne peut
soumettre inconditionnellement l'éducation et la culture qui symbolise
la «permanence» à un pouvoir quelconque, politique, économique ou
social qui représente «l'éphémère» (Moatassine, 2000).
Le système éducatif n'a pas d'âme, au sens il n'a pas l'autonomie
suffisante pour se remettre en question, en s'interrogeant
profondément sur ses multiples faiblesses, sur les statuts des
enseignants, sur les différentes modalités pédagogiques à mettre en
oeuvre dans les buts de réduire l'échec scolaire, de revaloriser les
diplômes, en mettant l'accent sur la qualité et la rigueur des
enseignements, etc.
Il semble urgent de regarder lucidement la réalité quotidienne de
l'institution scolaire ou universitaire pour rompre avec l'illusion de
la massification. Elle rend aveugle l'absence de toute performance
dans la transmission et la production des savoirs. Le système éducatif
conçu par le politique a favorisé en grande partie un important
retrait des agents sociaux à l'égard des savoirs et des formes
d'ascensions sociales rapides et brutales qui lui sont désormais
extérieures. Le système éducatif produit, à l'inverse, ses chômeurs et
ses laissés-pour-compte.
On est bien dans le récit du père de famille qui demande à ses
enfants, l'obéissance et le silence. Tout ira alors pour le mieux dans
le meilleur des mondes, grâce à son rôle social de distributeur de
moyens, c'est-à-dire une faible partie de la rente pétrolière. Parce
la vision dominante devient vérité absolue, il n'est pas question de
s'aventurer dans une réflexion collective sur l'école ! N'ayant pas
les capacités de se remettre en question, le système éducatif met en
scène le statut et le pouvoir au détriment de la qualification qui
représente pourtant les compétences réelles des acteurs de
l'éducation.
Références bibliographiques
Mebtoul M., Aouari A., Kerzabi Z, Oussaci N., Lamari L., 2004, «Récits
de vie des jeunes : chômage, étude, santé, familles», Rapport de
recherche, Oran, GRAS.
Moutassime A., 2000, «Diplômés maghrébins d'ici et d'ailleurs,
trajectoires sociales et itinéraires migratoires», Revue
Correspondances, n° 63.
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