Par Cecilie Surasky
Une des personnes les plus en vue qui ont soutenu l’appel au BDS est l’auteure et militante canadienne, Naomi Klein, qui connaît régulièrement un énorme succès de foule, qui jouit d’une importante couverture médiatique et dont les livres se vendent comme des petits pains lors de ses tournées de promotion dans le monde.
Quand elle a publié son dernier best-seller The Shock Doctrine en hébreu et en arabe, Klein a décidé que la situation politique en Israël et en Palestine appelait une approche entièrement différente.
Opposée à l’occupation israélienne, elle a décidé de ne pas signer un contrat traditionnel pour son livre avec avances et droits d’auteur. Au lieu de cela, elle a fait don de ce livre à Andalus, une maison d’édition qui travaille activement contre l’occupation. C’est le seul éditeur israélien qui se consacre exclusivement à la traduction d’arabe en hébreu, ce que sa fondatrice, Yaël Lerer, appelle « faire de l’édition un acte de résistance ».
Klein et Lerer ont préparé une tournée de promotion qui saluerait l’appel palestinien au boycott culturel d’Israël, tout en montrant également que les boycotts ne doivent pas nécessairement exclure un dialogue et une communication des plus nécessaires.
Cela étant dit, Klein et Lerer ont utilisé la tournée pour attirer l’attention sur le boycott et la lutte palestinienne et pour provoquer un dialogue interne dans le pays au sujet du boycott comme moyen de pression sur Israël afin qu’il se conforme au droit international. Le mois dernier, j’ai rencontré Klein et Lerer à Tel-Aviv pour leur demander leurs objectifs, le sens et les détails d’un boycott culturel et aussi pourquoi Lerer, Israélienne juive, dit au monde « s’il vous plaît, boycottez-moi ».
Ci-après quelques extraits de cette interview.
Cecilie Surasky : qu’est-ce que l’appel au Boycott, au Désinvestissement et aux Sanctions ? Pourquoi le soutenez-vous ?
Naomi Klein : Boycott, Désinvestissement et Sanctions ; c’est une technique dont l’objectif est très clair : forcer Israël à se conformer au droit international.
L’appel [au BDS] a été lancé en 2005 par des groupes très divers de la société civile, des partis politiques et des syndicats palestiniens. Ce mouvement n’a toutefois pris une dimension internationale qu’au moment de l’attaque israélienne contre le Liban pendant l’été 2006.
Au milieu de cette guerre, l’écrivain John Berger a envoyé une lettre signée par de nombreux grands artistes, européens pour la plupart, qui déclaraient leur soutien à la stratégie de boycott. Quand la lettre a fait surface, j’étais en train d’écrire The Shock Doctrine, et j’ai personnellement décidé de ne pas le faire publier par un éditeur commercial assez traditionnel, ce que j’avais fait avec les traductions en hébreu de mes deux livres précédents.
Au lieu de cela, j’ai fait ce que demandait John Berger, à savoir trouver le moyen de publier le livre en hébreu en soutenant directement des groupes travaillant à la fin de l’occupation. C’est ainsi que j’ai rencontré Yaël, qui n’a rien d’une éditrice israélienne traditionnelle et qui a manifesté franchement son appui au BDS, ce qu’elle a payé au plan professionnel.
Surasky : vous avez sûrement longuement réfléchi à l’idée du boycott culturel. Beaucoup de critiques diraient que celui-ci ferme les communications au lieu de les ouvrir. Qu’est-ce qui vous a amené à sauter ce pas ?
Klein : Eh bien, c’est parce que le gouvernement israélien utilise ouvertement la culture comme un outil militaire. Bien que les officiels israéliens pensent qu’ils gagnent la bataille pour la terre, ils savent aussi que le pays souffre de ce que le monde apprend au sujet du conflit dans la région : militarisation, illégalité, occupation et Gaza.
Le ministère des Affaires étrangères a donc lancé une campagne intitulée « Israël au-delà du conflit » ; celle-ci utilise la culture, les films, les livres, l’art, le tourisme et le monde universitaire pour créer toutes sortes d’alliances entre l’État d’Israël et les pays occidentaux ; son but est de promouvoir l’image d’un pays normal, heureux, se substituant à celle d’une puissance occupante agressive.
C’est pour cette raison qu’on n’entend plus parler de toutes parts que de festivals de films et de foires du livre avec « un coup de projecteur spécial sur Israël ».
Et donc, bien qu’en général je convienne entièrement que la culture est positive, les livres sont positifs et les films sont positifs et que que la communication, c’est merveilleux, nous devons savoir que nous avons affaire à une stratégie officielle visant à coopter tout cela pour rendre une occupation brutale plus acceptable.
Il y a d’autres choses qui relèvent de cette catégorie : l’État d’Israël recrute ouvertement les militants gays et lesbiennes ainsi que le féminisme dans ce conflit en confrontant le fondamentalisme du Hamas au libéralisme prétendument éclairé d’Israël, autre justification pour infliger aux Palestiniens une punition collective (peu importe que des juifs ultra- orthodoxes en Israël soient de plus en plus puissants et intolérants). C’est une stratégie très sophistiquée.
Cela signifie que nous devons trouver des stratégies tout aussi raffinées pour défendre la culture et les droits humains tout en rejetant toute tentative d’utiliser notre travail et de nos valeurs pour blanchir la hideuse réalité de l’occupation et de la ségrégation.
Surasky : vous avez fait une tournée de promotion de votre livre différente de toutes les autres tournées. Yaël Lerer, votre maison Andalus a publié le livre en hébreu. À première vue, il est incohérent de venir en Israël - Palestine, et d’y faire une tournée de promotion d’un livre, tout en soutenant le boycott. Pourtant vous y êtes arrivée. Pouvez-vous expliquer ?
Yaël Lerer : Andalus a fait face à cette contradiction depuis le début. Nous publions des écrivains arabes qui s’opposent à la « normalisation » de l’occupation, tout comme nous. Et nous essayons toujours de trouver la manière de résoudre ces contradictions.
En fait, c’est la première fois que nous avons fait une tournée de promotion, car normalement nous réglons ces contradictions en traduisant les livres, mais sans organiser d’événement. Nos écrivains ne viennent jamais ici. Ce défi s’est donc posé pour la première fois.
Nous avons organisé un grand lancement de l’édition en hébreu, non pas à Tel-Aviv, mais à Haïfa, au théâtre arabe, et nos invités venaient, non pas des institutions israéliennes officielles, mais des institutions palestiniennes minoritaires. (Comme vous le savez, les Palestiniens forment une minorité de 20 % en Israël).
Cet événement ne s’adressait toutefois pas uniquement aux Palestiniens- nous avons invité également des Israéliens juifs. On pouvait lire partout en hébreu « Naomi Klein vient à Haïfa, venez l’écouter ».
En même temps il était important que le premier événement concerne l’édition arabe à Jérusalem-Est et à Ramallah, et que, avant les réceptions de promotion, Naomi participe à une manifestation à Bil’in contre le mur de séparation.
Nous avons donc parlé avec le public israélien lors des événements et par l’intermédiaire des médias israéliens. Le livre est disponible en hébreu. En même temps, nous avons pris très fermement position contre la normalisation. Nous n’avons pas agi comme si tout était normal.
Klein : c’est exactement ça. Il ne s’agit pas de boycotter les Israéliens. C’est boycotter l’illusion que tout est normal en Israël , chose que les producteurs culturels sont habituellement invités à faire.
On a terriblement déformé la campagne de boycott en prétendant qu’elle vise les Israéliens, ou les juifs, ou qu’elle est antisémite. Avec cette tournée, nous essayons de dissiper ce malentendu.
Nous suivons des règles claires : nous ne participons pas à une foire du livre patronnée par l’État ; par exemple, j’ai refusé des invitations à venir en Israël pour parler dans des festivals de films patronnés par l’État ou à des événements de ce type.
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