Un siècle et demi de l’émigration rifaine : de l’émigration saisonnière vers l’Algérie à l’émigration permanente vers l’Europe.
Le Rif terre de l’émigration: aux origines du mouvement migratoire dans le Rif
Le but de cette intervention est d’apporter un éclairage sur le thème de l’émigration dans le Rif. L’approche historique que nous adoptons nous permettra de comprendre les origines de ces mouvements pendant les deux derniers siècles (avant, pendant et après la colonisation). Il s’agit essentiellement de traiter le thème de la relation entre la population et les ressources du pays. Le Rif est, dans ce cas, un bon exemple à étudier, ici l’émigration a toujours été vitale et indispensable à la survie de la population. Face à la pauvreté de son territoire, l’homme rifain a toujours su trouver des ressources complémentaires ailleurs, c’est-à-dire en quittant temporairement son pays. Ce qui fait du Rif un foyer traditionnel des départs à l’étranger, dès les années soixante-dix la province de Nador comptait le taux la plus haut de l’émigration. En 1974, 45.000 émigrés originaires de cette province travaillaient en Europe, c’est presque le même nombre de Rifains qui fréquentaient chaque année l’Algérie dans les années 40. Ainsi il nous paraît indispensable de présenter la région du Rif et de brosser un tableau de la société rifaine, de son évolution dans les deux derniers siècles. Pour des raisons pratiques et méthodologiques et pour mieux cerner ce phénomène nous nous limiterons à la région du Rif Oriental qui correspond administrativement à l’actuelle province de Nador.
Le pays rifain : Le Rif des géographes est toute cette région comprise entre Tanger à l’ouest et Oued Moulouya à l’est. Pour les habitants de ce pays, ce terme ne désigne qu’une région très limitée : la côte est méditerranéenne et son arrière-pays montagneux, autour de la ville d’Al-Hoceima c’est-à-dire l’actuel Rif Central. Les géographes espagnols de l’époque coloniale utilisaient le terme Rif pour désigner toute la région mise sous le protectorat espagnol, en distinguant entre le Rif Oriental, le Rif Central et le Rif Occidental ou le pays de Jabala. Chaque région a ses particularités géographiques et humaines. Dans cette intervention, nous nous limitons notre étude à la seule région du Rif Oriental. Il s’agit d’un territoire qui occupe une surface de plus de 6 000 kilomètres carrés. C’est une zone frontière entre le Haut Rif central et le Maroc oriental. Trois domaines peuvent être étudiés afin de bien comprendre l’utilisation de l’espace :
La montagne : elle est présente au nord, mais il ne s’agit plus des montagnes élevées du Rif central. Les sommets ne dépassent guère 1.500 mètres. Ce relief compartimenté et littoral connaît un climat méditerranéen opposant une saison sèche et chaude l’été, une période pluvieuse et plus fraîche commençant à l’automne et débordant sur le printemps. Malgré l’aridité qui caractérise le climat de ces montagnes, des sources offrent de l’eau en permanence. Ce qui est à l’origine des petites zones irriguées étagées dans les montagnes. La steppe : qui domine au sud, où l’élevage prend une part importante dans l’économie de cette zone, encore plus que la culture. Et puis le littoral et la mer : l’influence de la mer est importante sur le climat du littoral. La pêche apporte des ressources d’appoints pour la population des tribus côtières telles que Temsamane, Beni Saïd, Béni Bou Gafer et B. Chiker. Il y a des raisons historiques qui expliquent que la côte est moins peuplée que les montagnes. Depuis le XVe siècle, la côte a été une ligne défensive contre les tentatives d’implantation des Espagnols.
En général, toute la vie humaine dans le Rif s’organise en fonction de la rareté de l’eau. La plus grande partie des cultures se fait l’hiver, aussi bien en plaine qu’en moyenne montagne : en été, ce ne sont partout que de vastes campagnes nues. De même, des sources au pied des montagnes servent à arroser quelques champs. Les contraintes du milieu physique et les conditions de la surpopulation ont poussé les habitants à mettre le maximum de terres en culture, toutes les parcelles cultivables, même les plus petites situées sur les pentes des collines et dans les vallées étroites, sont exploitées. La diversification de leurs ressources était une nécessité pour pouvoir survivre dans ce milieu austère. La pêche pour les tribus côtières, l’artisanat et l’émigration pour le reste de la population apportaient des compléments de ressources importants. Ainsi les Rifains ont pu souvent éviter les famines qui les menaçaient en permanence. La présence humaine dates de plusieurs millénaires. Il s’agit d’une paysannerie d’une forte tradition sédentaire.
Le Rif sous le protectorat espagnol: un héritage colonial conséquent en matière de l’émigration
Comme vous le savez bien toute la zone nord du Maroc qui va de Moulouya jusqu’à la côte atlantique a été soumise à partir de 1912 au protectorat espagnol. C’est ce qui a déterminé une orientation particulière de son développement. L’action du protectorat espagnol, sur le plan économique a été beaucoup moins importante ; pratiquement aucune infrastructure capable de favoriser l’activité économique n’existe. Peu de choses ont été entreprises pour améliorer le sort du fellah, pour moderniser l’agriculture, pour mettre en valeur les nouvelles terres. Actuellement une large partie de la classe politique marocaine pense que la marginalisation dont souffre actuellement cette région est due en partie à l'héritage colonial(1). Lors de l’indépendance du Maroc, cette région était parmi les régions les plus déshéritées du Maroc. Elle a non seulement souffert des conséquences désastreuses d’une guerre qui a duré de 1921 à 1927, mais en plus elle n’a bénéficié ni des travaux d’infrastructure nécessaires, ni d'investissements capables de générer le développement économique souhaité. Le bilan de cette colonisation à l'indépendance du pays est très maigre, la région manquait d'infrastructures nécessaires au développement économique, presque pas d'industrie, les équipements sociaux étaient modestes : quelques hôpitaux, dispensaires, orphelinats et écoles, mais des bureaux de contrôle (Oficinas de la Intervención) et les casernes militaires par tout, il y avait deux militaires au kilomètre carré, un pour dix-neuf habitants en zone espagnole contre un pour 80 habitants au Maroc français. La communication entre la zone occidentale et la zone orientale du protectorat était à peine possible. À la fin du protectorat, le réseau routier à peine dépassait 2000 kilomètres et les chemins de fer 230 kilomètres.
A notre avis, sur le plan culturel, l'Espagne a bien mieux réussi à s'implanter que la France. À titre d'exemple, la langue espagnole était parlée dans les coins les plus reculés du Rif. Ce phénomène est dû principalement à la présence des soldats et des petits paysans espagnols dans le milieu rural à côté des Rifains. À vrai dire les conditions de vie de la population espagnole n'étaient pas beaucoup mieux que celles des autochtones. Bien qu'il n'y ait pas eu une vraie élite "hispanophone". C'est un phénomène très réduit, il s'agit simplement des fils de quelques notables formés "à l'espagnole" et ont fréquenté les universités espagnoles. Sur le plan socio-économique, les changements apportés par la colonisation n’étaient pas aussi importants que dans la zone de l’occupation française. Ils n’ont modifié que partiellement l’économie de la région. L’agriculture demeurera le principal secteur de l’économie rifaine. Cependant il faut signaler que d’autres facteurs ont été à l’origine de changements Il s’agit des conséquences d’une guerre coloniale qui a duré plus de dix-huit ans (1909-1927), l’imposition d’une nouvelle administration coloniale et la participation de dizaines de milliers de rifains à la guerre civile espagnole. Sans oublier les catastrophes naturelles : sécheresses et famines qui ont entraîné des mouvements d’exode rural et d’émigration. Cette mauvaise situation héritée va s'aggraver après l'indépendance du pays à cause de certaines mesures prises par le nouveau gouvernement marocain. Dès 1958 la langue espagnole a été remplacée par la langue française dans l'administration ce qui a participé à la marginalisation de l'élite locale formée dans les écoles espagnoles. En 1963 les mêmes mesures ont été prises dans les écoles, la langue espagnole fut remplacée par la langue française. De plus cette région n'apparaîtra pas dans les programmes de développement du pays malgré la situation de crise dont elle se trouvait surtout qu’elle a subi les conséquences de la guerre de libération nationale. L’Espagne de son côté a tourné le dos à son ancienne colonie. Depuis cette date, on n’entend plus parler du Rif. Ce silence peut être justifié par les mauvais souvenirs que garde une partie de la population espagnole de ce pays. Ce n’est qu’à partir des années quatre-vingt, ce qui correspond à l’augmentation du flux migratoire marocain vers l’Espagne, que la classe politique et une large souche de la population espagnole commencent à s’intéresser au pays voisin et particulièrement à la zone nord qui représente le grand pourvoyeur de la main d’œuvre migrante. Cela correspond à l’adhésion de l’Espagne à la Communauté Européenne en 1985 et un certain dynamisme économique qu’a connu ce pays comme conséquence de cette adhésion. La présence des milliers de Marocains sur le territoire ibérique a suscité un intérêt particulier chez les universitaires espagnols, un besoin de redécouvrir cette ancienne colonie espagnole.
A suivre...
Le Rif terre de l’émigration: aux origines du mouvement migratoire dans le Rif
Le but de cette intervention est d’apporter un éclairage sur le thème de l’émigration dans le Rif. L’approche historique que nous adoptons nous permettra de comprendre les origines de ces mouvements pendant les deux derniers siècles (avant, pendant et après la colonisation). Il s’agit essentiellement de traiter le thème de la relation entre la population et les ressources du pays. Le Rif est, dans ce cas, un bon exemple à étudier, ici l’émigration a toujours été vitale et indispensable à la survie de la population. Face à la pauvreté de son territoire, l’homme rifain a toujours su trouver des ressources complémentaires ailleurs, c’est-à-dire en quittant temporairement son pays. Ce qui fait du Rif un foyer traditionnel des départs à l’étranger, dès les années soixante-dix la province de Nador comptait le taux la plus haut de l’émigration. En 1974, 45.000 émigrés originaires de cette province travaillaient en Europe, c’est presque le même nombre de Rifains qui fréquentaient chaque année l’Algérie dans les années 40. Ainsi il nous paraît indispensable de présenter la région du Rif et de brosser un tableau de la société rifaine, de son évolution dans les deux derniers siècles. Pour des raisons pratiques et méthodologiques et pour mieux cerner ce phénomène nous nous limiterons à la région du Rif Oriental qui correspond administrativement à l’actuelle province de Nador.
Le pays rifain : Le Rif des géographes est toute cette région comprise entre Tanger à l’ouest et Oued Moulouya à l’est. Pour les habitants de ce pays, ce terme ne désigne qu’une région très limitée : la côte est méditerranéenne et son arrière-pays montagneux, autour de la ville d’Al-Hoceima c’est-à-dire l’actuel Rif Central. Les géographes espagnols de l’époque coloniale utilisaient le terme Rif pour désigner toute la région mise sous le protectorat espagnol, en distinguant entre le Rif Oriental, le Rif Central et le Rif Occidental ou le pays de Jabala. Chaque région a ses particularités géographiques et humaines. Dans cette intervention, nous nous limitons notre étude à la seule région du Rif Oriental. Il s’agit d’un territoire qui occupe une surface de plus de 6 000 kilomètres carrés. C’est une zone frontière entre le Haut Rif central et le Maroc oriental. Trois domaines peuvent être étudiés afin de bien comprendre l’utilisation de l’espace :
La montagne : elle est présente au nord, mais il ne s’agit plus des montagnes élevées du Rif central. Les sommets ne dépassent guère 1.500 mètres. Ce relief compartimenté et littoral connaît un climat méditerranéen opposant une saison sèche et chaude l’été, une période pluvieuse et plus fraîche commençant à l’automne et débordant sur le printemps. Malgré l’aridité qui caractérise le climat de ces montagnes, des sources offrent de l’eau en permanence. Ce qui est à l’origine des petites zones irriguées étagées dans les montagnes. La steppe : qui domine au sud, où l’élevage prend une part importante dans l’économie de cette zone, encore plus que la culture. Et puis le littoral et la mer : l’influence de la mer est importante sur le climat du littoral. La pêche apporte des ressources d’appoints pour la population des tribus côtières telles que Temsamane, Beni Saïd, Béni Bou Gafer et B. Chiker. Il y a des raisons historiques qui expliquent que la côte est moins peuplée que les montagnes. Depuis le XVe siècle, la côte a été une ligne défensive contre les tentatives d’implantation des Espagnols.
En général, toute la vie humaine dans le Rif s’organise en fonction de la rareté de l’eau. La plus grande partie des cultures se fait l’hiver, aussi bien en plaine qu’en moyenne montagne : en été, ce ne sont partout que de vastes campagnes nues. De même, des sources au pied des montagnes servent à arroser quelques champs. Les contraintes du milieu physique et les conditions de la surpopulation ont poussé les habitants à mettre le maximum de terres en culture, toutes les parcelles cultivables, même les plus petites situées sur les pentes des collines et dans les vallées étroites, sont exploitées. La diversification de leurs ressources était une nécessité pour pouvoir survivre dans ce milieu austère. La pêche pour les tribus côtières, l’artisanat et l’émigration pour le reste de la population apportaient des compléments de ressources importants. Ainsi les Rifains ont pu souvent éviter les famines qui les menaçaient en permanence. La présence humaine dates de plusieurs millénaires. Il s’agit d’une paysannerie d’une forte tradition sédentaire.
Le Rif sous le protectorat espagnol: un héritage colonial conséquent en matière de l’émigration
Comme vous le savez bien toute la zone nord du Maroc qui va de Moulouya jusqu’à la côte atlantique a été soumise à partir de 1912 au protectorat espagnol. C’est ce qui a déterminé une orientation particulière de son développement. L’action du protectorat espagnol, sur le plan économique a été beaucoup moins importante ; pratiquement aucune infrastructure capable de favoriser l’activité économique n’existe. Peu de choses ont été entreprises pour améliorer le sort du fellah, pour moderniser l’agriculture, pour mettre en valeur les nouvelles terres. Actuellement une large partie de la classe politique marocaine pense que la marginalisation dont souffre actuellement cette région est due en partie à l'héritage colonial(1). Lors de l’indépendance du Maroc, cette région était parmi les régions les plus déshéritées du Maroc. Elle a non seulement souffert des conséquences désastreuses d’une guerre qui a duré de 1921 à 1927, mais en plus elle n’a bénéficié ni des travaux d’infrastructure nécessaires, ni d'investissements capables de générer le développement économique souhaité. Le bilan de cette colonisation à l'indépendance du pays est très maigre, la région manquait d'infrastructures nécessaires au développement économique, presque pas d'industrie, les équipements sociaux étaient modestes : quelques hôpitaux, dispensaires, orphelinats et écoles, mais des bureaux de contrôle (Oficinas de la Intervención) et les casernes militaires par tout, il y avait deux militaires au kilomètre carré, un pour dix-neuf habitants en zone espagnole contre un pour 80 habitants au Maroc français. La communication entre la zone occidentale et la zone orientale du protectorat était à peine possible. À la fin du protectorat, le réseau routier à peine dépassait 2000 kilomètres et les chemins de fer 230 kilomètres.
A notre avis, sur le plan culturel, l'Espagne a bien mieux réussi à s'implanter que la France. À titre d'exemple, la langue espagnole était parlée dans les coins les plus reculés du Rif. Ce phénomène est dû principalement à la présence des soldats et des petits paysans espagnols dans le milieu rural à côté des Rifains. À vrai dire les conditions de vie de la population espagnole n'étaient pas beaucoup mieux que celles des autochtones. Bien qu'il n'y ait pas eu une vraie élite "hispanophone". C'est un phénomène très réduit, il s'agit simplement des fils de quelques notables formés "à l'espagnole" et ont fréquenté les universités espagnoles. Sur le plan socio-économique, les changements apportés par la colonisation n’étaient pas aussi importants que dans la zone de l’occupation française. Ils n’ont modifié que partiellement l’économie de la région. L’agriculture demeurera le principal secteur de l’économie rifaine. Cependant il faut signaler que d’autres facteurs ont été à l’origine de changements Il s’agit des conséquences d’une guerre coloniale qui a duré plus de dix-huit ans (1909-1927), l’imposition d’une nouvelle administration coloniale et la participation de dizaines de milliers de rifains à la guerre civile espagnole. Sans oublier les catastrophes naturelles : sécheresses et famines qui ont entraîné des mouvements d’exode rural et d’émigration. Cette mauvaise situation héritée va s'aggraver après l'indépendance du pays à cause de certaines mesures prises par le nouveau gouvernement marocain. Dès 1958 la langue espagnole a été remplacée par la langue française dans l'administration ce qui a participé à la marginalisation de l'élite locale formée dans les écoles espagnoles. En 1963 les mêmes mesures ont été prises dans les écoles, la langue espagnole fut remplacée par la langue française. De plus cette région n'apparaîtra pas dans les programmes de développement du pays malgré la situation de crise dont elle se trouvait surtout qu’elle a subi les conséquences de la guerre de libération nationale. L’Espagne de son côté a tourné le dos à son ancienne colonie. Depuis cette date, on n’entend plus parler du Rif. Ce silence peut être justifié par les mauvais souvenirs que garde une partie de la population espagnole de ce pays. Ce n’est qu’à partir des années quatre-vingt, ce qui correspond à l’augmentation du flux migratoire marocain vers l’Espagne, que la classe politique et une large souche de la population espagnole commencent à s’intéresser au pays voisin et particulièrement à la zone nord qui représente le grand pourvoyeur de la main d’œuvre migrante. Cela correspond à l’adhésion de l’Espagne à la Communauté Européenne en 1985 et un certain dynamisme économique qu’a connu ce pays comme conséquence de cette adhésion. La présence des milliers de Marocains sur le territoire ibérique a suscité un intérêt particulier chez les universitaires espagnols, un besoin de redécouvrir cette ancienne colonie espagnole.
A suivre...
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