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L’histoire de l’émigration dans le Rif

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  • L’histoire de l’émigration dans le Rif

    Un siècle et demi de l’émigration rifaine : de l’émigration saisonnière vers l’Algérie à l’émigration permanente vers l’Europe.

    Le Rif terre de l’émigration: aux origines du mouvement migratoire dans le Rif

    Le but de cette intervention est d’apporter un éclairage sur le thème de l’émigration dans le Rif. L’approche historique que nous adoptons nous permettra de comprendre les origines de ces mouvements pendant les deux derniers siècles (avant, pendant et après la colonisation). Il s’agit essentiellement de traiter le thème de la relation entre la population et les ressources du pays. Le Rif est, dans ce cas, un bon exemple à étudier, ici l’émigration a toujours été vitale et indispensable à la survie de la population. Face à la pauvreté de son territoire, l’homme rifain a toujours su trouver des ressources complémentaires ailleurs, c’est-à-dire en quittant temporairement son pays. Ce qui fait du Rif un foyer traditionnel des départs à l’étranger, dès les années soixante-dix la province de Nador comptait le taux la plus haut de l’émigration. En 1974, 45.000 émigrés originaires de cette province travaillaient en Europe, c’est presque le même nombre de Rifains qui fréquentaient chaque année l’Algérie dans les années 40. Ainsi il nous paraît indispensable de présenter la région du Rif et de brosser un tableau de la société rifaine, de son évolution dans les deux derniers siècles. Pour des raisons pratiques et méthodologiques et pour mieux cerner ce phénomène nous nous limiterons à la région du Rif Oriental qui correspond administrativement à l’actuelle province de Nador.

    Le pays rifain : Le Rif des géographes est toute cette région comprise entre Tanger à l’ouest et Oued Moulouya à l’est. Pour les habitants de ce pays, ce terme ne désigne qu’une région très limitée : la côte est méditerranéenne et son arrière-pays montagneux, autour de la ville d’Al-Hoceima c’est-à-dire l’actuel Rif Central. Les géographes espagnols de l’époque coloniale utilisaient le terme Rif pour désigner toute la région mise sous le protectorat espagnol, en distinguant entre le Rif Oriental, le Rif Central et le Rif Occidental ou le pays de Jabala. Chaque région a ses particularités géographiques et humaines. Dans cette intervention, nous nous limitons notre étude à la seule région du Rif Oriental. Il s’agit d’un territoire qui occupe une surface de plus de 6 000 kilomètres carrés. C’est une zone frontière entre le Haut Rif central et le Maroc oriental. Trois domaines peuvent être étudiés afin de bien comprendre l’utilisation de l’espace :

    La montagne : elle est présente au nord, mais il ne s’agit plus des montagnes élevées du Rif central. Les sommets ne dépassent guère 1.500 mètres. Ce relief compartimenté et littoral connaît un climat méditerranéen opposant une saison sèche et chaude l’été, une période pluvieuse et plus fraîche commençant à l’automne et débordant sur le printemps. Malgré l’aridité qui caractérise le climat de ces montagnes, des sources offrent de l’eau en permanence. Ce qui est à l’origine des petites zones irriguées étagées dans les montagnes. La steppe : qui domine au sud, où l’élevage prend une part importante dans l’économie de cette zone, encore plus que la culture. Et puis le littoral et la mer : l’influence de la mer est importante sur le climat du littoral. La pêche apporte des ressources d’appoints pour la population des tribus côtières telles que Temsamane, Beni Saïd, Béni Bou Gafer et B. Chiker. Il y a des raisons historiques qui expliquent que la côte est moins peuplée que les montagnes. Depuis le XVe siècle, la côte a été une ligne défensive contre les tentatives d’implantation des Espagnols.

    En général, toute la vie humaine dans le Rif s’organise en fonction de la rareté de l’eau. La plus grande partie des cultures se fait l’hiver, aussi bien en plaine qu’en moyenne montagne : en été, ce ne sont partout que de vastes campagnes nues. De même, des sources au pied des montagnes servent à arroser quelques champs. Les contraintes du milieu physique et les conditions de la surpopulation ont poussé les habitants à mettre le maximum de terres en culture, toutes les parcelles cultivables, même les plus petites situées sur les pentes des collines et dans les vallées étroites, sont exploitées. La diversification de leurs ressources était une nécessité pour pouvoir survivre dans ce milieu austère. La pêche pour les tribus côtières, l’artisanat et l’émigration pour le reste de la population apportaient des compléments de ressources importants. Ainsi les Rifains ont pu souvent éviter les famines qui les menaçaient en permanence. La présence humaine dates de plusieurs millénaires. Il s’agit d’une paysannerie d’une forte tradition sédentaire.


    Le Rif sous le protectorat espagnol: un héritage colonial conséquent en matière de l’émigration

    Comme vous le savez bien toute la zone nord du Maroc qui va de Moulouya jusqu’à la côte atlantique a été soumise à partir de 1912 au protectorat espagnol. C’est ce qui a déterminé une orientation particulière de son développement. L’action du protectorat espagnol, sur le plan économique a été beaucoup moins importante ; pratiquement aucune infrastructure capable de favoriser l’activité économique n’existe. Peu de choses ont été entreprises pour améliorer le sort du fellah, pour moderniser l’agriculture, pour mettre en valeur les nouvelles terres. Actuellement une large partie de la classe politique marocaine pense que la marginalisation dont souffre actuellement cette région est due en partie à l'héritage colonial(1). Lors de l’indépendance du Maroc, cette région était parmi les régions les plus déshéritées du Maroc. Elle a non seulement souffert des conséquences désastreuses d’une guerre qui a duré de 1921 à 1927, mais en plus elle n’a bénéficié ni des travaux d’infrastructure nécessaires, ni d'investissements capables de générer le développement économique souhaité. Le bilan de cette colonisation à l'indépendance du pays est très maigre, la région manquait d'infrastructures nécessaires au développement économique, presque pas d'industrie, les équipements sociaux étaient modestes : quelques hôpitaux, dispensaires, orphelinats et écoles, mais des bureaux de contrôle (Oficinas de la Intervención) et les casernes militaires par tout, il y avait deux militaires au kilomètre carré, un pour dix-neuf habitants en zone espagnole contre un pour 80 habitants au Maroc français. La communication entre la zone occidentale et la zone orientale du protectorat était à peine possible. À la fin du protectorat, le réseau routier à peine dépassait 2000 kilomètres et les chemins de fer 230 kilomètres.

    A notre avis, sur le plan culturel, l'Espagne a bien mieux réussi à s'implanter que la France. À titre d'exemple, la langue espagnole était parlée dans les coins les plus reculés du Rif. Ce phénomène est dû principalement à la présence des soldats et des petits paysans espagnols dans le milieu rural à côté des Rifains. À vrai dire les conditions de vie de la population espagnole n'étaient pas beaucoup mieux que celles des autochtones. Bien qu'il n'y ait pas eu une vraie élite "hispanophone". C'est un phénomène très réduit, il s'agit simplement des fils de quelques notables formés "à l'espagnole" et ont fréquenté les universités espagnoles. Sur le plan socio-économique, les changements apportés par la colonisation n’étaient pas aussi importants que dans la zone de l’occupation française. Ils n’ont modifié que partiellement l’économie de la région. L’agriculture demeurera le principal secteur de l’économie rifaine. Cependant il faut signaler que d’autres facteurs ont été à l’origine de changements Il s’agit des conséquences d’une guerre coloniale qui a duré plus de dix-huit ans (1909-1927), l’imposition d’une nouvelle administration coloniale et la participation de dizaines de milliers de rifains à la guerre civile espagnole. Sans oublier les catastrophes naturelles : sécheresses et famines qui ont entraîné des mouvements d’exode rural et d’émigration. Cette mauvaise situation héritée va s'aggraver après l'indépendance du pays à cause de certaines mesures prises par le nouveau gouvernement marocain. Dès 1958 la langue espagnole a été remplacée par la langue française dans l'administration ce qui a participé à la marginalisation de l'élite locale formée dans les écoles espagnoles. En 1963 les mêmes mesures ont été prises dans les écoles, la langue espagnole fut remplacée par la langue française. De plus cette région n'apparaîtra pas dans les programmes de développement du pays malgré la situation de crise dont elle se trouvait surtout qu’elle a subi les conséquences de la guerre de libération nationale. L’Espagne de son côté a tourné le dos à son ancienne colonie. Depuis cette date, on n’entend plus parler du Rif. Ce silence peut être justifié par les mauvais souvenirs que garde une partie de la population espagnole de ce pays. Ce n’est qu’à partir des années quatre-vingt, ce qui correspond à l’augmentation du flux migratoire marocain vers l’Espagne, que la classe politique et une large souche de la population espagnole commencent à s’intéresser au pays voisin et particulièrement à la zone nord qui représente le grand pourvoyeur de la main d’œuvre migrante. Cela correspond à l’adhésion de l’Espagne à la Communauté Européenne en 1985 et un certain dynamisme économique qu’a connu ce pays comme conséquence de cette adhésion. La présence des milliers de Marocains sur le territoire ibérique a suscité un intérêt particulier chez les universitaires espagnols, un besoin de redécouvrir cette ancienne colonie espagnole.

    A suivre...

  • #2
    Suite -I-

    L’histoire de l’émigration dans le Rif: L’émigration saisonnière vers l’Algérie

    Le Rif a été historiquement et géographiquement une région ouverte sur l’ouest algérien. Tout au long des siècles derniers des liens se sont tissés entre le Rif et l’Oranie. Les relations commerciales remontent au temps les plus reculés. Depuis plusieurs siècles, Oran est le port du grand marché du Rif qui concurrence avec celui de Melilla situé au plein Rif Oriental. Ces liens apparaîtront également lorsque l’émir Abd El Kader, chef de la résistance algérienne, se réfugia au Maroc, il trouva l’appui des tribus rifaines. La conquête française a élargi ses relations en facilitant les moyens de transport. Dès le début du défrichement des terres et l’implantation d’une nouvelle économie de type coloniale en Algérie, les Rifains commença à se rendre en Algérie à la recherche du travail chez les colons français. L’un des premiers témoignages qu’on a pu avoir dans ce cas, situe le début de cette émigration vers la moitié du XIXe siècle :

    "Le 18 novembre de la même année 1852, agissant sans doute en représailles, les Espagnols de Melilla s’emparent d’une barque marchande appartenant à des Geulaya, et qui faisait route tribu viennent maintenant louer leurs bras colons à l’époque des moissons"(2).

    En s’appuyant sur les " Archivo Histórico Nacional " de Madrid, D. Hart signale que la première mention des relations de Ait Ouariaghel avec l’Algérie date de 1856(3).

    En 1859, dans le Maroc inconnu, A. Mouliéras(4) rappelle que chaque année plus de 20.000 Rifains viennent travailler chez les colons en Algérie. Louis Milliot(5) rapporte vers 1934 que "cette émigration remontait aussi loin que les souvenirs des générations actuelles et d’après les témoignages des anciens colons d’Oranie, il y a une cinquantaine d’année au moins que le défrichement et les moissons y sont exécutés par des travailleurs rifains". Les informations recueillies par R. Bossard auprès des "vieux" du Rif oriental montrent que dans le douar de Lemsaratte(6), la commune rurale de Dar Kebdani, on allait en Algérie dés avant la guerre avec les Espagnols, probablement avant 1909. Les Guelaya étaient les premiers parmi les Rifains à émigrer vers l’Algérie, étant donnée leur situation près de Melilla, d’où ils embarquaient en bateau vers Oran. Cette émigration qui remonte au début de la deuxième moitié du XIXe siècle est devenue plus importante dans la dernière décennie du XIXe siècle, lorsqu’une liaison maritime fut établie entre Melilla et Oran. Melilla ne devint un véritable port qu’après 1892 et les bateaux firent alors la navette entre cette enclave et l’Algérie. Ils ont même participé à la construction des chemins de fer de l’Afrique noire en 1895(7). En 1896, il y avait 15.524 Marocains en Algérie, le département d’Oran regroupait 11.824(8).

    "De longue date, nous connaissons le Rifain, qui a coutume de venir en Algérie faire la moisson et les vendanges, comme un laborieux travailleur, courageux et probe. D’autres fois il se montre un cheminot précieux et bien des kilomètres de rail furent posés par lui, en Oranie principalement"(9).

    Nous trouvons les traces de cette émigration dans la littérature orale Rifaine sous forme de chansons. Dans la chanson suivante les Rifains expriment le regret des absents en Algérie :

    "Oh, Moha, mon pigeon, toi qui fait la moisson au Tassala Reviens, reviens, ô mon frère, assez pour toi de misère.
    Voici que les garçons couchent dans la maison et les héritiers se partagent ta terre"(10).

    Quant aux causes de cette émigration sont liés directement aux conditions dures du Rif et le maque de ressources suffisantes pour la population. L’irrégularité de la pluie entraînait souvent des sécheresses accompagnées de famines. A la fin du XIXème siècle, le Marquis de Segonzac, signale que dans Le Cap des Trois Fourches (tribu de Guelaya), qu’il visita, il n’avait pas plu cette année-là en février et que la prospérité était exceptionnelle, mais que depuis six ans les pluies étant très limitées et les récoltes ne suffisaient plus, les jeunes hommes avaient dû s’expatrier(11). Devant les fortes densités et afin d’éviter la famine les Rifains ont dû constamment rechercher des ressources d’appoint. R. Bossard affirme que les migrations de travail paraissent depuis, 100 à 150 ans au moins, indissociables de l’histoire des populations du Rif oriental et de leur évolution économique(12). Pendant la période précoloniale, l’émigration touchait toutes les couches sociales, mais c’était surtout les petits propriétaires et les paysans sans terres qui émigraient le plus, ainsi que les commerçants. Les véritables causes de l’émigration à cette époque-là, se trouvaient dans la pauvreté du pays rifain au niveau des ressources. Tous les écrits des voyageurs français et espagnols qui ont visité le Rif à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, en donnèrent l’image d’un pays pauvre, aride et incapable de nourrir convenablement sa population: une population formée de paysans sédentaires très attachés à la terre symbole de leur identité. L’agriculture a toujours été à la base de leur vie économique. La société rifaine était une société où prédominait l’élément paysan. La terre formait la base de la rivalité entre les couches sociales dont les membres n’étaient pas tous les propriétaires. Dans ces conditions de surpopulation, la propriété était très morcelée. Toutes les parcelles cultivables, même les plus petites situées sur les pentes des collines et dans les vallées étaient exploitées. Ceci entraînait un déséquilibre entre le nombre d’habitants et la superficie cultivable.

    Selon Fernando Benedicto Pérez(13), cette surpopulation représentait un facteur négatif insurmontable, elle est la cause primordiale de l’émigration rifaine. L’aridité du climat et l’irrégularité des pluies représentant un danger permanent qui menace la vie des habitants et les incite à émigrer. Ce sont les années de la sécheresse qui connaissent le plus grand nombre d’émigrants. Les famines de la fin du XIXe siècle, citées par Segonazac, en est le meilleur exemple. El Telegrama del Rif(14) du 29 mai 1908 signale que le nombre d’émigrants rifains ayant emprunté le bateau à Melilla pour se rendre à Oran n’atteint pas 7.000, alors que les années précédentes, il dépassait 15.000. Ceci est dû principalement au fait que la récolte était bonne dans le Rif, et que beaucoup de Rifains n’ont pas quitté leurs foyers. D’autres ont trouvé du travail dans les chantiers des compagnies minières. Cependant il faut signaler que l’ampleur de cette émigration n’a jamais été mesurée de façon précise. Les auteurs de la fin XIXe siècle évaluent le nombre d’émigrants entre 30.000 et 35.000. En 1904, la Société Royale de Géographie de Madrid l’estimait entre 40.000 et 50.000. Les statistiques algériennes de 1911 concernant les étrangers évaluent leur nombre à 102.065 dans le département d’Oran et 58.268 à Alger. Il est à signaler que les Marocains, dont le nombre est estimé à 19.442, ne sont pas classés parmi les étrangers.

    A suivre .....

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    • #3
      Suite -II-

      Le faible volume des capitaux investis et la petite taille des entreprises industrielles n’ont occasionné que très peu d'occasions de travail sur place. A titre d’exemple, l’effectif de la population active employée dans l’industrie en 1953 est de 9.713 personnes, soit 0.94 % de la population totale de la zone espagnole(15). Les mines de Beni-Bou-Ifrou employaient de 2.500 à 3.000 ouvriers dans les meilleures conditions d’exploitation minière. En général, ces emplois n’étaient pas de grande importance par rapport aux besoins de la population. Selon A. Sekrouhi(16), l’intervention coloniale espagnole se limitait à la mainmise sur les circuits d’échange et de distribution et à leur extension à tout l’espace colonisé, ce qui a accentué localement la masse disponible pour l’émigration. Les sources espagnoles insistent sur l’importance de ce mouvement migratoire. Un recensement local en 1922, effectué chez les Beni-Bou-Gafer permet de savoir que plus de la moitié des foyers ont leur chef de famille en Algérie. Dans certains cas, chez les Beni-Saïd ou chez les Beni-Chiker ou encore les Kebdana, le nombre de travailleurs en Algérie était proportionnellement plus important que celui des ouvriers émigrés actuellement en Europe, conclue R. Bossard en 1979(17). Ce mouvement préoccupait les autorités espagnoles, dès les années trente des statistiques sur le nombre de départs et de retours par tribus ont été établies, au début elles n’avaient qu’une faible valeur, ce n’est qu’à partir de la deuxième guerre mondiale que les informations sont devenues plus satisfaisantes. D’après L. Milliot, dans les années trente, un quart ou un cinquième de la population de certaines tribus rifaines était obligé de se déplacer à l’extérieur, notamment en Algérie pour pouvoir subsister. Les travaux publics et les mines ont attiré surtout les gens des tribus où le travail s’est développé, notamment dans les régions minières, comme celle de Beni-Bou-Ifrour. Dans ces dernières, l’émigration était très réduite. F.-B Pérez note dans ce cas : "il est nécessaire de noter que le Rifain n’est pas nomade et s’il s’expatrie, c’est qu’il est poussé par le manque de ressources"(18). Par contre, ceux qui vivaient près des lieux de travail, comme les mines et les routes en construction, préféraient travailler sur place en tant que journaliers, même à un salaire inférieur à celui offert par les colons français en Algérie. Mais une fois les occasions de travail sur place deviennent rares, ils prennent le chemin de l'émigration. En réalité, il y avait un grand déséquilibre entre le nombre d’habitants disponibles pour le travail et la capacité de travail dans la région du Rif. La colonisation agricole était très limitée. Elle consiste en quelques exploitations aux environs de Melilla appartenant à la " Compañía Española de colonización et quelques autres fermes entre Monte-Aruit et Azib de Midar. Les plus prospères semblent être celles qui se trouvaient sur la rive gauche de Moulouya dans les plaines de Sebra et Garet et qui ont pu bénéficier de l'exemple de l'expérience des exploitations françaises d'en face. Ce facteur intervient de façon importante en ce qui concerne l’origine tribale des émigrants. Les trois-quarts des émigrants (76.7 %) proviennent des quatre tribus de Temsaman, Beni Saïd, Beni Touzine et Tafersit. L’émigration atteint, dans ces régions, vingt pour cent de l’effectif total des hommes des 15-50 ans. Là où les occasions de travail sur place sont rares. Par contre, pour les tribus proches de Melilla comme Guelaya, beni-Bou-Yahyi, Beni Ulichek, Oulad Settout et Metalsa, malgré leur proximité de l’Algérie par rapport aux précédentes, elles ne présentent que 3,3 émigrants pour cent hommes en âge de travail(19). Ceci est dû au fait que les mines de Beni-Bou Ifrour et les petits villages autour de Melilla fournissaient de nombreuses journées de travail aux habitants. Mais sur l’ensemble de la région, il faut bien dire que ce ne sont là que des débouchés infimes par rapport aux besoins de la population. La pénétration de l’économie capitaliste dans le Rif, même d’une façon modérée et moins marquée que dans la zone du protectorat français, créa chez le paysan rifain le besoin d’un salaire. Ce besoin est devenu plus indispensable avec l’imposition du Terbib par les autorités espagnoles et aussi pendant les années de famine et de sécheresse. La colonisation de l’Algérie et la création des vignobles d’Oranie créèrent un besoin important de la main d’œuvre. Le défrichement d’une grande partie des terrains de colonisation en Oranie fut commencé par la main d’œuvre espagnole. Mais celle-ci s’est rapidement fixée sur des propriétés acquises par son travail et n’a plus fourni d’effectifs suffisants pour les travaux de la terre. La population algérienne avait été refoulée et manifestait peu d’enthousiasme à travailler sur les exploitations de nouveaux maîtres, ce qui la faisait traiter de " paresseuse " par ces derniers. Nous avons là une autre raison qui encouragea les Rifains à aller demander un complément de moyens de subsistance à la colonisation française en Algérie. Selon le témoignage de quelques auteurs, les colons français étaient très satisfaits des travaux effectués par les ouvriers rifains. Ils les trouvaient d’excellents travailleurs, les préféraient aux Algériens, car ils pouvaient effectuer n’importe quel travail demandé sans se plaindre. Leur but essentiel était de travailler durement et pour longtemps.

      A Suivre....

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      • #4
        Suite -III-

        Avant de quitter le Rif, l’ouvrier prépare un repas particulier auquel il invite ses voisins et les membres de sa grande famille. Et d’après L. Milliot " l'ouvrier doit s’adresser aux bureaux d’ "intervenciones " pour procurer un passeport non timbré qui lui est délivré sur feuille simple, moyennant une redevance très modique d’une peseta, sans photographie ni aucune formalité tracassière. Le plus souvent, les immigrants possèdent, en outre, une carte d'identité avec photographie et signalement dite "tarjeta de Identidad""(20). À nos connaissances et d’après les enquêtes que nous avons menées auprès des anciens émigrés, nous avons constaté que rares étaient les émigrants qui respectaient ces formalités administratives. Notamment ceux qui empruntaient la voie terrestre et partaient en général à pied. Pour son transport, le travailleur rifain a besoin d’une certaine avance en argent. Quand il ne la possède pas, il est obligé d’avoir recours à l’emprunt ou de partir à pied en parcourant les risques de la route, comme c’était le cas pendant les années de famine dans le Rif (1941-1944). Les ouvriers qui partaient à pied pour la première fois préféraient être accompagnés des anciens émigrants qui connaissaient le chemin par expérience. En partant du Rif ils empruntent des itinéraires déterminés par l’expérience des anciens et fixés par la coutume. Il y avait deux itinéraires principaux : celui qui passait par Taourirt et aboutissait à Oujda, emprunté surtout par les Metalsa et les Beni-Bou-Yahyi. Puis la basse Moulouya, franchie au pont international la route de Berkane ou aux multiples gués situés en amont ou en aval. Une partie de ces émigrants voyageait à pied et une autre utilisait les autocars qui circulaient dans la zone espagnole et traversaient le Maroc oriental. Les départs du douar s’effectuaient généralement en groupe afin d’éviter les dangers de la route, car le voyage n’était pas toujours sûr, surtout lors du retour. Quelle que soit la saison, grâce au mouvement incessant de va-et-vient entre le Rif et l’Algérie, les intéressés se trouvent toujours en nombre suffisant pour poursuivre le voyage. Ce mouvement leur permet, d’autre part, d’être renseignés progressivement sur l’état du marché de la main d’œuvre et le développement de la saison des travaux. Ce sont des informations ainsi échangées en cours de la route qui les guident vers telle ou telle région algérienne. En plus des dangers que représente le voyage à pied, il n’est pas avantageux en termes économiques car l’ouvrier perd en temps et en nourriture l’équivalent du transport en autocar. Cependant, la moitié des émigrants empruntant la voie terrestre voyageaient à pied, afin d’échapper aux formalités de contrôle administratif instauré pour la traversée de la zone française et la pénétration en Algérie. Les autorités espagnoles essayaient de contrôler ce courant migratoire et de l’arrêter complètement en période de difficultés. Par exemple, en 1928 après la conquête totale du pays, les autorités ont développé une intense campagne de propagande en faveur d’un détournement de ce courant vers le sud de l’Espagne pour travailler dans la récolte des olives. Mais les problèmes économiques et sociaux de l’Andalousie ont rendu cette initiative impossible. Le développement de ce mouvement dépendait des facteurs économiques propres aux deux pays à savoir le Maroc et l’Algérie. Les opérations militaires de la conquête de 1924 à 1928 ont provoqué une telle raréfaction de travailleurs rifains en Algérie, que des émissaires recruteurs étaient envoyés d’Algérie, afin de ramener les équipes qui faisaient défaut dans les exploitations. D’après le Rapport Mensuel du protectorat français de janvier 1930, les Espagnols ont pris des mesures pour limiter et contrôler cette émigration. Les Caïds dressaient des listes de ceux qui se trouvaient en Algérie(21). " Dans la circonscription de Melilla de sévères mesures auraient été prises pour empêcher l’exode habituel des indigènes vers l’Algérie ou le Maroc oriental. Les autorités espagnoles auraient promis que d’importants travaux servaient prochainement entrepris pour utiliser la main d’œuvre" (22). Il faut signaler que les chiffres fournis par les différentes sources ne sont qu’approximatifs. Il est difficile de donner une valeur absolue aux chiffres fournis par les services des Douanes aux frontières, parce que d’une part, le contrôle ne s’opérait pas sur la totalité des voies d’accès: et d’autre part, chaque individu venant et retournant fréquemment plusieurs fois au cours de la même année. En outre, les Rifains essayaient d’échapper à tout contrôle dans la mesure du possible. Et aussi sur les chantiers algériens, les employeurs commettaient des erreurs dans l’appréciation de l’origine ethnique de leurs ouvriers. Les statistiques dont nous disposons sont de deux sources. Il y a les statistiques des entreprises de transports maritimes qui donnent les chiffres des ouvriers rifains débarqués par elles à Oran : 5.500 en 1930, 15.400 en 1931, et 11.300 en 1932. Une autre source d’information résulte d’un relevé qui a été effectué sur les transports espagnols empruntant la route du pont international de la Moulouya. Celui-ci représente les chiffres suivants : 19.000 en 1930, 34.000 en 1931 et 29.800 en 1932. D’après les statistiques algériennes, le nombre de Marocains dans le département d’Oran en 1936 est de 19.902, dont 4.395 vivaient dans la ville d’Oran et 15.507 dans les autres communes. Les communes qui comptaient plus de mille Marocains en 1936 sont les suivantes(23).

        - Aïn-Temouchent 1.390
        - Aïn –Kial 1.286
        - Er-Rahel 1.297
        - Hammam-Bou-Hdjar 1.034
        - Laferriere 1.114
        - Rio-Salado 1.292


        A Suivre...

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        • #5
          Suite -IV-

          Nous signalons que ces statistiques fournies par les recensements algériens comportent le nombre non seulement des Rifains, mais aussi de tous les Marocains installés dans le département d’Oran. Après la deuxième guerre mondiale, ce phénomène a pris une grande ampleur. Les sécheresses et les famines des années quarante ont fait augmenter le nombre d’émigrants d’une manière spectaculaire. Nous avons plus d’information sur cette période grâce aux "Anuarios Estadísticos de la zona de Protectorado Español en Marruecos " qui fournissaient des renseignements et des statistiques annuels sur cette émigration. Ces annuaires présentent le nombre de départs et de retours des émigrants, classés par tribu et par sexe. Cependant, ces statistiques paraissent sous- évaluées, compte tenu du fait qu’il s’agit d’un mouvement difficile à contrôler et que les renseignements concernant certaines tribus ne sont pas fournies régulièrement. De plus, ces données ne couvrent qu’une période limitée de l’histoire de ce mouvement. 1941, année de la grande famine dans le Rif, a connu le plus grand flux migratoire vers l’Algérie : plus du quart de la population masculine de certaines tribus du Rif oriental se trouvait en Algérie, comme le montre le tableau suivant :

          Le pourcentage des ouvriers émigrés par rapport à la population masculine de certaines tribus du Rif oriental en 1941.

          Tribu Émigrants hommes Population masculine % de l’émigration

          Temsaman 1.567 7.504 20.8%

          B. Saïd 1.544 5.617 27.5%

          B. Touzine 1.193 8.246 14.5%

          Tafersit 301 1.636 18.4%

          Total 4.605 22.999 20%

          Source : Anuario Estadístico de la Zona del Protectorado 1942.

          L’Anuario Estadístico de 1942 estime la main d’œuvre marocaine disponible dans la zone espagnole pour l’émigration à 40.000 ouvriers dans le milieu rural et à 6.000 dans les noyaux urbains. Ces années de famine ont également entraîné un mouvement d’exode vers le Gharb et vers la région de Loukos et Jbala. " À Tétouan, Tanger, Larache et sur la côte atlantique, nous trouvons plusieurs familles d’origine rifaine ", écrit Pérez en 1948(24). En 1957 D.M. Hart signale à Tanger le groupe des Rifains qu’il estime à 25 ou 30.000 personnes, venues pour la plupart "à pieds et à demi-morts de faim en 1945 "(25).

          Ce phénomène a permis aux Rifains de se mettre en contact avec l'économie coloniale. Le travail, chez les colons français en Algérie, était la première forme de salariat connue par les Rifains. L’impact de cette émigration sur la société rifaine apparaît dès le début du XXe siècle: "les Marocains, qui dans les débuts n’achetaient que des produits de toute première nécessité, se créaient des besoins grâce à l’argent qu’ils rapportent de leur séjour en Algérie: ils voyaient leur puissance d’achat s’augmenter "(26). Les sommes d’argent rapportées dans le Rif servaient de complément de ressources. Ils permettaient aussi à quelques-uns d'acquérir des lopins de terre. À notre avis les conséquences de cette émigration sur la société rifaine étaient aussi importantes que les changements introduits par la colonisation espagnole. La colonisation a participé à l’intensification de ce phénomène, en privant un grand nombre de paysans de leurs terres sans créer sur place un nombre important d’emplois d’ouvriers agricoles. Avant la colonisation espagnole, cette émigration avait un caractère saisonnier, les séjours des Rifains étaient courts de trois à quatre mois, mais pendant la période coloniale, les séjours commençaient à être plus longs. Comme en témoigne M. Pascalet, premier Vice-Président de la Chambre de commerce d’Oujda " cet exode commence au Rif dès la fin de moi de mai et dure de quatre à cinq mois. La moisson finie, ils se livrent au travail de la vigne ou s’embauchent dans les entreprises de dépicage pour attendre les vendanges. Ils ne retournent chez eux qu’en septembre. Quelques-uns, très rares, restent en Algérie pour piocher la vigne"(27) . Mais ils ont toujours gardé le contact avec leur pays. À tour de rôle et aux frais du groupe, ils retournent chez eux pour aller voir leur famille et leur portant leurs économies et celles des autres membres du groupe. Ces émissaires, véritables " rekkas " ou " bouchta " (déformation du terme français la poste) qui faisait plusieurs allers-retours entre l’Algérie et le Rif. À Misserghin, près d’Oran, il y a avait un village presque entièrement formé par des Rifains fixés définitivement dans le pays. Et grâce au mouvement de va-et-vient entre le Rif et l’Algérie, les intéressés étaient plus en contact avec l’actualité dans le Rif. Aussi, le fait de vivre ensemble constituait un facteur favorable au maintien des relations avec leur pays. La vie en groupe qu'ils menaient leur permettait de réaliser des économies. D’après plusieurs témoignages, le Rifain dépensait la moitié de son salaire dans la nourriture en Algérie et rapportait l’autre moitié dans sa tribu. À part la nourriture, les ouvriers rifains n’effectuaient aucun achat à l’intérieur du territoire algérien : les premiers achats avaient lieu à Oujda. Les sommes d’argent rapportées chaque année dans le Rif sont estimées à environ 50 millions de francs en 1932(28). En 1952, M. Counil parle d’un milliard de francs. La somme rapportée par chaque ouvrier dans sa tribu est estimée à 27.000 francs en 1952, en prenant pour base un salaire moyen de 300 francs par jour pour un séjour de six mois par année : (300 x 30 x 6) / 2 = 27.000 francs(29). Ces sommes d’argent ramenées d’Algérie ont contribué légèrement à modifier les modes de consommation dans le Rif et à l’acceptation des types d’échanges de nature capitaliste. Plusieurs facteurs faisaient varier le nombre d’émigrants d’une année sur l’autre : les récoltes dans le Rif, la concurrence des machines agricoles plus perfectionnées, les événements politiques, les mesures administratives, et les crises économiques. Mais jusqu’à l’indépendance de l’Algérie en 1962, l’émigration ne s’est jamais complètement arrêtée. Elle a certainement connu une baisse au moment du déclenchement de la guerre de libération algérienne à partir de 1952. Il faut signaler à cette occasion que beaucoup de Marocains de cette région ont aidé les Moujahidines algériens dans leur lutte contre la colonisation française. Le long séjour de Houari Boumediene dans le petit village de Segangan près de Nador à la fin des années cinquante est très significatif dans ce cas. L’arrêt immédiat de ce mouvement au moment de l’indépendance de l’Algérie a eu des conséquences catastrophiques sur la région. Ceci est coïncidé avec les difficultés économiques, dues aux départs des capitaux espagnols. Rapidement ce courant migratoire a pris une autre direction pour se diriger vers les pays du Nord-Ouest européen à partir des années soixante.

          Suite : http://www.generiques.org/migrations...act_aziza.html
          Dernière modification par absent, 22 septembre 2009, 23h31.

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